Maintenant généralisée à tous les jeunes entre 15 et 18 ans, l’application qui permet d’utiliser sa bourse pour souscrire à des offres culturelles laisse entrevoir toutes ses potentialités.
France. Après avoir longtemps fait du surplace et été critiqué par les élus d’opposition, le Pass culture commencerait-il à être mieux accepté par le monde politico-culturel ? C’est ce que pense Sébastien Cavalier, le nouveau président de la SAS (société par actions simplifiée) qui gère le programme, exhibant fièrement sur son smartphone un passage récent (le 10 février) de Jean-Luc Mélenchon dans l’émission de France 2, « Élysée 2022 », dans lequel le candidat de La France Insoumise déclarait : « D’une certaine manière, l’idée n’est pas si mauvaise que cela. »
Chez les « jeunes », en tout cas, c’est un plébiscite. Depuis la généralisation du Pass en mai dernier, après plusieurs années d’expérimentation, près de 900 000 jeunes de 18 ans étaient inscrits fin décembre et le cap du million a été dépassé à ce jour, tandis que 430 000 jeunes entre 15 et 18 ans se sont enregistrés depuis que le Pass leur a été ouvert (entre le 10 et le 30 janvier en fonction de leur âge). Des chiffres massifs à mettre cependant en regard des populations concernées – soit 3,4 millions de bénéficiaires possibles – et de la prodigalité de l’offre : « Envoyer des chèques, c’est facile », lançait une députée de l’opposition lors de l’audition de Sébastien Cavalier devant la commission Culture de l’Assemblée nationale. Le président de la SAS répond à cela que le taux de pénétration du Pass (environ 75 %) est le même pour les jeunes vivant dans les quartiers défavorisés ou en zone rurale, témoignant de la réussite de l’objectif de démocratisation du Pass. Il lance prochainement une nouvelle campagne de recrutement dans les réseaux sociaux pour « aller chercher » les non-inscrits. « Ce sont des campagnes qui passent sous le radar des adultes, mais qui marchent très bien », explique-t-il au Journal des Arts.
Quant à l’utilisation de la bourse de 300 euros pour les jeunes de 18 ans, beaucoup se sont gaussés qu’une bonne partie de l’argent a servi à acheter des mangas. Ces BD japonaises représentent en effet la majorité des achats de livres, eux-mêmes constituant 56 % de l’utilisation du Pass. « Oui, mais cela a amené les jeunes chez les libraires, répond Sébastien Cavalier [les jeunes doivent récupérer leur achat en librairie] qui en ont profité pour leur vendre d’autres types de livres. 185 000 titres différents ont été achetés via le Pass. » Il pronostique également que la fréquentation des cinémas (17 % en 2021 alors que les salles obscures ont été fermées plusieurs mois) va augmenter en flèche, comme les achats de billets pour les concerts de musique, limités en 2021 pour les mêmes raisons.
L’enjeu aujourd’hui est de convaincre les bibliothèques et musées d’être plus largement présents dans l’appli et avec des offres adaptées. Jusqu’à présent, ces lieux n’ont pas été très allants, considérant que leur gratuité pour les jeunes était un argument suffisant. C’est une faiblesse et donc une opportunité pour ces établissements qui ont du mal à trouver les bons canaux de communication vers cette tranche d’âge. Or le Pass est en train de bâtir un outil de communication culturelle massif vers les jeunes. En les incitant à aller sur l’appli pour découvrir les offres, le portail pourrait s’imposer comme leur première source d’information dans la culture. 12 000 lieux et services ont aujourd’hui mis en ligne des offres plus ou moins adaptées, un nombre que la SAS souhaite augmenter, notamment auprès des offreurs gratuits que sont les bibliothèques et musées, grâce à son équipe de délégués en région.
Tout naturellement, avec une communauté aussi large d’utilisateurs, vient l’idée « d’éditorialiser » l’appli en diversifiant les modes d’accès aux offres et en concevant des sorties réservées aux jeunes, un club VIP en somme. C’est ainsi que 100 jeunes du Pass ont eu accès à la cérémonie d’entrée au Panthéon de Joséphine Baker.
Mais la véritable révolution pourrait bien venir de l’utilisation du Pass dans le cadre de la classe. Depuis le début de l’année, les 15-17 ans bénéficient d’une bourse individuelle de 20 à 30 euros selon leur âge, qui va les familiariser avec l’outil, et d’une part dite collective de 20 à 30 euros selon la classe. Concrètement dans une classe de 35 élèves de 4e par exemple, le professeur en charge du programme d’Éducation artistique et culturelle (EAC) va disposer d’une somme de 875 euros (25 € x 35 élèves) à utiliser pour un projet collectif en « achetant » des offres collectives que les lieux culturels ont mises en ligne sur un site spécifique. L’objectif est de simplifier au maximum la gestion administrative de la sortie scolaire pour faciliter l’appropriation du projet par la classe et le professeur. Nous y reviendrons dans un prochain article sur l’Éducation artistique et culturelle.
Sont donc en train de se constituer à la fois le premier outil d’information culturelle auprès des jeunes et une base gigantesque de données sur leurs pratiques culturelles. Dès lors, l’objectif est d’inciter les jeunes à consulter et acheter des offres différentes de ce vers quoi ils vont naturellement. « Le contraire d’Amazon qui vous propose toujours le même type de produit que vous avez acheté », affirme Sébastien Cavalier. C’est l’enjeu de diversité. Mais qu’est-ce que la diversité culturelle (lire un manga et Balzac ?) et comment la mesurer ? La SAS a demandé à un laboratoire de Normale Sup de travailler sur le sujet. De quoi réjouir une nouvelle fois Jean-Luc Mélenchon qui, au cours de la même émission de télévision, a déclaré être un fana des jeux vidéo, en tant qu’art total qui fait même appel à des littéraires.
La SAS Pass culture : L’esprit start-up
Entreprise. De l’extérieur, les locaux ne payent pas de mine. Mais une fois franchie la cour de cet immeuble dans la partie « bobo » du XVIIIe arrondissement de Paris, on entre dans une véritable ruche où s’agitent en tous sens des jeunes, un ordinateur portable à la main. Et comme dans toutes les start-up Internet, on retrouve le coin cafétéria et le baby-foot. Quatre-vingt-douze personnes y travaillent (moyenne d’âge de moins de 30 ans), ils n’étaient que trente-six fin 2020. Des effectifs qui vont augmenter car la SASU (une société commerciale avec l’État comme unique actionnaire) prévoit d’internaliser les équipes de développeurs. À leur tête jusqu’en septembre dernier Damien Cuier qui a été remplacé, un peu contre son gré – il n’a pas voulu que ses propos soient cités dans cet article – par Sébastien Cavalier qui a longtemps dirigé les services culturels de Marseille. « Je retrouve au Pass la même expérimentation qu’à Marseille », nous explique-t-il. Combien cela coûte-t-il ? 20 millions d’euros, dont une moitié sert à payer les salaires et un gros quart les coûts de développement. « Moins de 8 % du budget », se félicite le président de la SAS. Oui, mais le budget est considérable, 243 millions d’euros de crédits paiement dans la loi de finances 2022, soit plus que le budget pour les écoles d’art et d’architecture, par exemple.
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Le Pass culture, « une idée pas si mauvaise »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°584 du 4 mars 2022, avec le titre suivant : Le Pass culture, « une idée pas si mauvaise »