FRANCE
Les goûts et programmes culturels des deux finalistes du second tour de la présidentielle n’ont rien en commun.
Tout ou presque oppose les deux candidats à la présidence de la République, et leur rapport à la culture ne fait que confirmer cette opposition. Si on connaît l’intérêt d’Emmanuel Macron pour le théâtre, la littérature, la musique (il a appris à jouer du piano pendant dix ans à Amiens), on serait bien en peine de trouver une affinité pour une forme de culture, ou sa pratique, chez Marine Le Pen. La candidate du Rassemblement national n’a jamais laissé filtrer la moindre confession en la matière, au point que même sa fiche Wikipédia, pourtant très détaillée sur sa vie intime, n’en fait pas mention. À se demander si ce peu d’information ne révèle pas tout simplement une apathie culturelle.
En 2017, les candidats s’étaient prêtés au jeu habituel des médias en répondant à des questionnaires sur leur livre, film ou musique préféré(e). Personne n’est dupe de la sincérité des réponses, rédigées par des communicants et à peine validées par les candidats. Ainsi, le lecteur du Journal du dimanche avait appris que le livre préféré de Marine Le Pen était La Légende des siècles de Victor Hugo, tandis qu’Emmanuel Macon s’était dit bien en peine d’en citer un tant ses auteurs favoris étaient nombreux (Stendhal, Camus…). Côté série, la candidate de l’ex-Front national avait cité Downton Abbey, alors que celui d’En Marche ! avouait ne pas regarder de série en raison de leur caractère addictif (ce qui supposait qu’il y avait succombé !). Depuis, Marine Le Pen a « adoré “Game of Thrones” », et, dans le registre cinématographique, Bac Nord (2020), Braveheart (1995) et Le Père Noël est une ordure (1982).
Officiellement, les deux prétendants se rejoignent dans leurs goûts musicaux, très « chanson française » : Dalida pour Marine Le Pen, et Aznavour, Ferré, Johnny Hallyday pour Emmanuel Macron. Il y avait sans doute une part de vérité dans ces fausses confidences du président qui avait participé aux funérailles quasi nationales du rocker. Rien que de très convenu pour une élection nationale où il faut montrer que l’on ressemble à l’électorat populaire. C’est à cette aune que l’on pourrait gloser sur le peintre préféré de Marine Le Pen, Botticelli (dont les reproductions ornent quantité de boîtes de bonbons ou de posters), ou le tableau préféré du candidat-président : Les Demoiselles d’Avignon. Un choix pesé au trébuchet par ses spin doctors : le chef-d’œuvre de Picasso annonce le cubisme, renvoyant une image de modernité, et les nus du « bordel » ont un petit côté canaille de nature à gommer une image – à l’époque – un peu trop lisse du candidat. Depuis, Emmanuel Macron a progressé dans sa découverte des arts visuels des XXe et XXIe siècle. On en a eu un témoignage avec Anselm Kiefer invité au Panthéon et l’œuvre commandée à Daniel Buren pour la verrière du jardin d’hiver du palais de l’Élysée.
C’est d’ailleurs ici que ce portrait croisé trouve sa limite : l’un a exercé le pouvoir exécutif et l’autre pas. La fonction présidentielle a donné l’occasion au locataire actuel de l’Élysée de montrer sa proximité sinon son intérêt pour toutes les formes artistiques et culturelles tandis que la 11e circonscription du Pas-de-Calais (Hénin-Beaumont) dont Marine Le Pen est la députée offre moins d’opportunités. De cette confrontation avec le milieu culturel et la réalité de l’action publique sont nées des inflexions dans les engagements de campagne du candidat La République en marche, ossature de sa politique culturelle. Le soutien massif à la Culture pendant la pandémie de Covid-19 n’est pas la moindre des volte-face du très libéral ex-ministre de l’Économie.
Il est alors difficile de comparer les propositions, par nature électoralistes, de Marine Le Pen au bilan d’Emmanuel Macron. Surtout que la première n’a pas jugé utile pendant très longtemps d’évoquer la culture dans sa campagne. Depuis quelques jours seulement, son site Internet nous en dit un peu plus. La candidate du « pouvoir d’achat », qui a habilement lissé son image en tirant profit de la radicalité d’Éric Zemmour, a mis de l’eau dans le vin de son programme culturel. Alors qu’en 2017 elle voulait « remettre en ordre le statut d’intermittent du spectacle» (France Culture), cinq ans plus tard elle ne veut plus « mettre en cause les aides dont bénéficient aujourd’hui la création et la promotion des différents secteurs de l’activité culturelle, et notamment pas le régime des intermittents du spectacle ». Mais le « en même temps » à la mode Le Pen s’empresse dans la même phrase de montrer sa préférence : « l’accent des politiques publiques sera mis sur la protection et la mise en valeur de notre patrimoine, matériel et immatériel ». Absente des « 22 mesures pour 2022 », la culture, survolée dans son « projet présidentiel », est réduite au seul secteur du patrimoine parmi les 17 livrets thématiques du programme. Et là, surprise, au lieu d’un catalogue de généralités comme on en a beaucoup lu dans la littérature des autres candidats, le livret présente une longue analyse et une liste très détaillée de recommandations techniques, manifestement rédigée par un spécialiste du sujet dans un esprit à la fois très conservateur (renforcement du rôle des architectes des Bâtiments de France) et libéral (allégement de la fiscalité sur le patrimoine). Son auteur veut tripler à 1 milliard d’euros le budget consacré à la restauration des monuments historiques et consacrer la moitié du « 1 % artistique » à la protection du patrimoine au détriment de la création. On ne se refait pas.
Symétriquement, le programme culturel d’Emmanuel Macron, aussi succinct en 2022 qu’il était volumineux en 2017, oublie le patrimoine au profit de la création, du Pass culture et du métavers. Si ce dernier est réélu, les postulants à la Rue de Valois sont nombreux, à commencer par Roselyne Bachelot qui se verrait bien gérer l’après-crise. Mais qui pour la remplacer à ce portefeuille si Marine Le Pen est élue ? Ce n’est pas la moindre des incertitudes dans une élection qui n’a jamais été aussi déterminante pour la France.
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Macron-Le Pen : portrait culturel croisé
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°587 du 15 avril 2022, avec le titre suivant : Macron-Le Pen : portrait culturel croisé