Le cofondateur du centre d’appels Webhelp a annoncé son retrait de la direction opérationnelle de l’entreprise pour se consacrer à sa fondation Art Explora et à son fonds d’investissement ArtNova.
Paris. Frédéric Jousset (50 ans, diplômé d’HEC) a cofondé en 2000 la société de centre d’appels Webhelp qui emploie aujourd’hui 65 000 personnes dans le monde. Il détient 25 % de l’entreprise, soit une valorisation de 250 millions d’euros selon le magazine Challenges. Il préside de 2011 à 2015 le conseil d’administration de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris. En 2012 il crée, avec le Louvre, un fonds de dotation en faveur des public défavorisés. En 2014 il reprend l’exploitation de l’hôtel-restaurant Le Relais de Chambord. En 2016 il rachète Beaux Arts Magazine. Il crée en novembre 2019 la fondation Art Explora « qui ambitionne de réduire la fracture culturelle », et en octobre 2020 le fonds d’investissement ArtNova « dédié à l’accompagnement des projets entrepreneuriaux dans le secteur culturel ».
Oui, c’est ambitieux, mais pourquoi la France, qui abrite les sites culturels les plus visités au monde et le siège de l’Unesco, n’accueillerait-elle pas aussi le siège d’une grande organisation internationale philanthropique dans le domaine culturel ? Cette fondation vient en tout cas combler un manque : en Europe, grâce à l’histoire, il y a une abondante offre culturelle que viennent soutenir et enrichir de nombreux mécènes et fondations. La demande en revanche reste bien trop concentrée : seul un Français sur deux fréquente un musée chaque année, et le problème est identique partout en Europe, même en Angleterre où les musées sont gratuits. Art Explora intervient dans l’angle mort des politiques publiques ou des organismes caritatifs privés, pour essayer de diminuer la fracture culturelle. On l’a bien vu avec la crise des « gilets jaunes », il y a une France qui se sent délaissée, au point – et cela m’a beaucoup marqué – d’attaquer le Louvre ou l’Arc de triomphe, c’est-à-dire des sites publics. Cette France voit ces lieux comme des symboles d’une culture bourgeoise parisienne qui les exclut. Il faut donc stimuler et élargir la demande. C’est une forme de révolution copernicienne : il faut à la fois que la culture aille vers les gens et lever les freins à la visite.
Il y a d’abord l’éloignement physique, qui renchérit le coût de la visite car s’y ajoute celui du déplacement, voire du logement. Ensuite, de nombreuses politiques tarifaires incitatives sont méconnues. On n’imagine pas toujours, surtout ceux qui en ont le plus besoin, pouvoir trouver des places d’opéra ou de théâtre à moins de 50 euros. Et puis surtout il y a l’anticipation d’une expérience de visite désastreuse, avec de l’attente, une médiation absente ou absconse, et cette anticipation peut venir du souvenir d’une première visite, souvent scolaire, ratée car trop longue et ennuyeuse.
Parce que les freins sont pluriels, la fondation y répond par des programmes différents. Et comme une start-up, elle veut tester, innover jusqu’à ce qu’elle trouve les bonnes formules. Contrairement à l’État qui est souvent tétanisé par l’échec ou le principe de précaution, une fondation privée peut prendre le risque d’innover et de se tromper. La fondation est aussi là pour aider le milieu culturel à mener des actions ambitieuses à destination des publics éloignés, le « hors les murs » qui est souvent le parent pauvre des contrats de performance et des rapports d’activité. C’est le sens du « Prix européen Art Explora-Académie des beaux-arts », doté de 150 000 euros annuels, qui récompense des projets innovants de démocratisation culturelle. C’est déjà un succès, la fondation a reçu pour sa première édition plus de 350 candidatures de musées petits ou grands de vingt pays d’Europe ; ce sont autant d’expériences à partager.
Nous aurons également des programmes numériques. Art Explora lancera en juin prochain un module d’apprentissage grand public de l’histoire de l’art en onze parcours avec, pour récompense, un certificat délivré par Art Explora et Sorbonne Université. Ces cours seront délivrés en français et en anglais et nous espérons attirer des centaines de milliers d’apprenants. Notre ambition est que ce certificat devienne pour la culture l’équivalent des tests de langue Toefl.
Nous faisons les deux, et d’ailleurs pas simplement en France. Nous donnons 80 000 euros au Mucem [Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, à Marseille] pour financer son projet de bus gratuit afin d’aller chercher des visiteurs dans les quartiers excentrés, et nous finançons le musée mobile [MuMo] du Centre Pompidou. Le projet de catamaran, le plus grand du monde, est d’une certaine façon dans la même logique : 60 % de la population mondiale vit à moins d’une heure des côtes. Alors oui le budget est élevé, mais il est en ligne avec le coût de la construction d’un musée à la fréquentation importante. On vise entre 1500 et 2500 personnes par jour dans le bateau et le « village » installé sur le port, soit environ 400 000 personnes par an, car nous pensons rester une dizaine de jours dans chaque port. Par ailleurs « ArtExplorer » est un bateau à voile, par nature écologique, et inclusif car il peut aller dans les petits ports éloignés avec son faible tirant d’eau. C’est un concept innovant pour apporter la culture à des populations qui en manquent. Il y aura dans le bateau une exposition d’œuvres d’art ancien ou contemporain, numériques ou physiques, prêtées par des lieux culturels des villes où le bateau s’arrête. Certaines œuvres exposées seront produites dans notre programme de résidence « Villa Art Explora à Montmartre », où nous inviterons des artistes des pays visités. On ne veut pas être un exportateur de la culture occidentale, mais un connecteur de scènes locales. Le « village » sera constitué de conteneurs réaménagés qui abriteront des ateliers éducatifs, des projections vidéo, des zones d’écoute de la musique… Le programme va démarrer en 2023 dans plusieurs ports de la Méditerranée : Cannes pendant le Festival, Gênes, Venise pendant la Biennale, Tunis, Rabat…
Les coûts de fonctionnement d’Art Explora sont d’environ 900 000 euros en salaires et 500 000 euros en frais divers, auxquels s’ajoutent les coûts des programmes. J’ai doté la fondation de 4 millions d’euros, non consomptibles (on peut utiliser seulement les revenus de placement), et chaque année j’apporterai 4 millions d’euros, permettant donc de financer pour 2,6 millions d’actions.
À terme, la fondation (qui a vocation à devenir une fondation d’utilité publique) sera financée par des dons de particuliers, d’entreprises partenaires et de collectivités locales, car le budget d’Art Explora ira bien au-delà de 4 millions d’euros. Ma contribution sera limitée à 20 ou 30 % de son budget, et couvrira les frais de fonctionnement, ce qui permettra de garantir à nos mécènes une efficacité sans frottement de leur contribution aux projets soutenus tout en défiscalisant 60 % des apports. C’est dans cette logique d’ouverture que la fondation ne porte pas mon nom et que je serai minoritaire dans la gouvernance, où seront représentées des personnalités qualifiées et des institutions indépendantes.
Par ailleurs, le fonds d’investissement ArtNova, qui rassemble mes participations dans différentes entreprises du domaine culturel [voir l’encadré], abondera le capital permanent de la Fondation à hauteur de 50 % des plus-values de cession éventuelle des participations et des dividendes de la concession de l’hôtel de Chambord. J’en profite pour vous annoncer que nous venons de faire une nouvelle acquisition : le salon Sitem [Salon international des musées] qui se tiendra cette année fin mars avec une date de repli en mai.
Un entrepreneur ne devrait-il racheter que des clubs de sport ? Je ne suis heureusement ni le premier ni le dernier entrepreneur à faire du mécénat culturel et mon patrimoine, comme je viens de vous le dire, va justement servir à financer des actions que j’espère efficaces dans la culture qui est ma passion.
Nous sommes arrivés au bout du programme, mais je vais continuer à soutenir le musée. En plus du Fonds Jousset de 1 million d’euros pour les publics empêchés, j’ai redonné 2 millions d’euros cette année : 1 million d’euros via Art Explora qui a permis de financer une acquisition et va aider à la refonte du site du Louvre, et 1 million d’euros via Webhelp pour l’achat d’un tableau de Fragonard.
C’est l’histoire d’une très belle idée qui a été mal mise en œuvre initialement. Le ministère n’a jamais tranché sur l’étendue des offres culturelles et hésite encore à en faire un « GPS de la culture », alors qu’il y a des sites référents dans chaque domaine, à l’exemple d’Allociné. La volonté de généraliser le Pass culture est bien là. Pour cela, il faut que l’application soit rapidement accessible dans l’Apple Store et Google Play, et surtout avoir des offres uniques et exceptionnelles, comme un concert avec une star du rap à Versailles pour attirer les jeunes, à l’image de Netflix et ses séries d’appel. Le Pass doit faire rêver.
• Beaux Arts & Cie et Le Quotidien de l’Art : 100 % de participation
• Point Parole : 100 %
• Artips : 100 %
• Artsper : 30 %
• Patrivia : 2 %
• Arteum : 5 %
• Emissive 2,5 %
• Sitem : 100 %
• Le Relais de Chambord : 100 %
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Frédéric Jousset : « Art Explora veut tester et innover »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°559 du 22 janvier 2021, avec le titre suivant : Frédéric Jousset, entrepreneur et mécène : « Art Explora veut tester et innover »