PARIS
Être élu à l’Académie française ne m’oblige aucunement à développer une « défense et illustration » du système académique, mais rien ne m’interdit non plus de réfléchir sur le sens historique et, disons le mot, philosophique de ce destin maintenant long de près de quatre siècles.
Le public connaît un peu l’Académie française, et guère les quatre autres qui, avec elle, constituent l’Institut de France. Je voudrais dire ici quelques mots, à titre d’exemple, de l’Académie des beaux-arts. Les lecteurs du Journal des Arts eux-mêmes la connaissent-ils vraiment ? Il y a fort à parier que non. Savent-ils, pour commencer, qu’en font aujourd’hui partie Carolyn Carlson aussi bien que Gérard Garouste, William Christie et Georg Baselitz, ou encore Norman Foster ou Coline Serreau ? Espérons du moins qu’ils ont remarqué que l’an dernier cette institution séculaire avait admis en son sein Catherine Meurisse, autrement dit une femme, une quadragénaire, une bédéaste et une rescapée de Charlie Hebdo…
On dira qu’il ne s’agit là que d’un affichage symbolique – mais qui ne voit que les sociétés tiennent aussi à coups de symboles ? On dira, surtout, que dans cette liste manquent tel ou telle – mais qui peut raisonnablement penser que, même si elle accueillait dix fois plus d’artistes l’Académie en question réussirait à contenter ses contempteurs ? On ne prétend pas ici rassembler les « meilleurs » – catégorie indéfinissable et, au reste, toujours datée – mais, de manière tout empirique, une compagnie de talents élus par cooptation. Et puis l’essentiel est ailleurs : il est dans ce que cette distinction, à elle seule, témoigne de l’importance qu’une nation accorde aux artistes. On ne peut pas se plaindre, comme en ce moment, de ce que les professionnels de la culture ne seraient pas estimés en haut lieu comme « de première nécessité » et juger inutile l’existence des académies, dont l’inexistence dans certains pays dit beaucoup sur le peu de cas qui y est fait des domaines qu’elles entendent illustrer.
On admettra cependant que, dans la société d’aujourd’hui, cette fonction honorifique ne saurait suffire à justifier ces institutions. Or c’est là, il faut bien le reconnaître, que les académiciens ne savent pas faire leur communication, pour ne pas dire leur publicité. Car la vie quotidienne d’une académie comme celle des beaux-arts n’est pas de parader. Sa mission principale est de soutenir la création, au travers de multiples encouragements, en espèces sonnantes et trébuchantes – prix de consécration ou de découverte aussi bien que résidences d’artistes –, mais, plus encore, au travers d’une politique sophistiquée de partenariat avec des organismes de la société civile. Pour se limiter à la terrible année 2020, on aura ainsi vu l’Académie ouvrir un nouveau lieu d’exposition au sein même du Quai de Conti (le Pavillon Comtesse de Caen), renforcer son soutien aux deux Cités des arts, en direction d’artistes précarisés par la pandémie, et accueillir en son sein un nouveau prix, celui de la fondation Art Explora, abondant (à hauteur de 150 000 euros) le budget de trois institutions (cette année-là trois musées européens, en Espagne, en France et au Royaume-Uni) dans leur politique en direction des publics défavorisés ou exclus.
Voilà qui devrait suffire, mais puisque nous parlons de la France, je sens bien monter l’objection finale : tout cela est bel et bon mais, dès lors que les « autorités publiques » le font aussi bien, pourquoi ne le feraient-elles pas seules ? La réponse va de soi, mais elle est fondée sur une donnée que le grand public ignore : les académies s’administrent d’autant plus librement qu’elles financent leurs activités à plus de 90 % sans l’aide de l’État. Autrement dit l’exact inverse, dans ce pays, des institutions culturelles standards. Comme l’Institut le répondait en 2015 à la Cour des comptes : « L’Institut et les académies ne sont pas des opérateurs de l’État et ils n’ont pas d’autorité de tutelle. » Il y avait, dans ce rappel, un peu d’impertinence, et une certaine fierté.
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Quand « académique » n’est pas un gros mot
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°563 du 19 mars 2021, avec le titre suivant : Quand « académique » n’est pas un gros mot