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L’Institut de France et les académies : un archipel peu navigable

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 2 septembre 2021 - 1045 mots

PARIS

La Cour des comptes invite d’urgence le palais Conti à réformer sa gouvernance, faire la revue des sites patrimoniaux et réorganiser sa chaîne financière.

Séance solennelle sous la coupole de l'Académie
Séance solennelle sous la coupole de l'Académie
© Académie des Beaux-Arts / Photo Patrick Rimond

Paris. « Carence dans la gestion des legs », « patrimoine en partie laissé à l’abandon », « agence comptable sinistrée », comme d’habitude, le vocabulaire de la Cour des comptes dans son rapport sur le palais Conti ne fait pas dans la nuance. Il est vrai que c’est son cinquième audit sur la vénérable maison et qu’elle commence sérieusement à s’impatienter contre cet ovni institutionnel qui peine à se réformer.

Pour bien comprendre les reproches et leurs causes, il est nécessaire d’expliquer d’abord le fonctionnement particulier du palais Conti. L’Institut de France et les cinq académies sont en effet des entités distinctes, cohabitant dans un même lieu – l’ancien collège des Quatre-Nations – et ayant mutualisé certaines fonctions gérées par l’Institut – comptabilité, finances… Ces entités disposent chacune de leur propre patrimoine immobilier et financier, constitué au fil du temps par de nombreux dons et legs, et abritent leurs propres fondations. Dans les faits cependant, c’est l’Institut qui dispose du patrimoine et des revenus les plus importants, suivi de l’Académie des beaux-arts. Ainsi le domaine de Chantilly ou le Musée Jacquemart-André appartiennent à l’Institut, tandis que le Musée Marmottan Monet est dans le giron de l’Académie des beaux-arts. Très soucieuses de leur indépendance comme cela transparaît dans leurs réponses à la Cour des comptes, les académies doivent s’accommoder avec l’Institut dont on devine que son chancelier, l’ancien ministre Xavier Darcos, aimerait bien qu’il soit plus dirigiste. Il en résulte un « empilement » de strates décisionnelles, sans doute à l’origine des « désordres » pointés par les magistrats de la Rue Cambon, malgré plusieurs réformes passées et en cours.

Un patrimoine à entretenir

De ces « désordres », deux domaines retiennent plus particulièrement l’attention : les sites patrimoniaux et la chaîne financière. L’Institut et les académies possèdent dix-huit sites, le plus souvent via des fondations dont plusieurs abritent des musées. Certains sont gérés en direct comme le Musée Marmottan Monet ou la maison et les jardins de Monet à Giverny, d’autres ont été confiés à concessionnaires : la villa Kérylos au Centre des monuments nationaux (CMN), le Musée Jacquemart-André à Culturespaces ou le château de Langeais à la société Kléber Rossillon. La Cour est très critique sur le laxisme dans le suivi de certains concessionnaires.

C’est surtout Culturespaces qui est dans le viseur des magistrats à qui ils reprochent « une politique scientifique inexistante », « des travaux d’investissement peu nombreux » et même « des résultats médiocres » dans sa gestion du Musée Jacquemart-André. Ils font grief à Culturespaces de ne pas avoir entretenu la villa Kérylos lorsqu’il la gérait – la villa a été transférée au CMN en 2016 – et font un rapport accablant – photos à l’appui, ce qui est très rare dans les rapports de la Cour – sur l’état de la villa Ephrussi de Rothschild (Saint-Jean-Cap-Ferrat). « Les désordres actuels résultent d’une délégation de service public entachée de nombreuses irrégularités, d’une gestion conduite par le délégataire ayant privilégié une approche commerciale et festive de l’exploitation de la villa au détriment de son entretien… » La Cour recommande de résilier au plus vite le contrat avec Culturespaces, nonobstant d’éventuelles poursuites. Une recommandation déjà mise en œuvre par Laurent Petitgirard, le secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts qui indique que des discussions en ce sens sont en cours.

La Cour consacre bien sûr de longs développements au domaine de Chantilly très affecté par le retrait anticipé du prince Aga Khan et par la crise sanitaire. Le domaine est dans une situation financière délicate – l’État a dû mettre la main à la poche –, qui ne lui permet pas d’assurer son fonctionnement et encore moins d’effectuer d’indispensables travaux d’investissement estimés à 17 millions d’euros. Elle recommande, par ailleurs, de confier le manoir de Kerazan « en déshérence », dont l’Institut « ne sait que faire », au CMN, voire céder le site à une société privée qui pourrait en faire un hôtel et transférer les collections à un musée de la région. De manière générale, la Cour aimerait bien que l’Institut et les académies rentrent dans le rang et établissent des schémas pluriannuels de travaux prioritaires comme le font les opérateurs de l’État et demandent le label « Musée de France » très prescripteur pour les musées qui ne l’ont pas encore (château de Langeais, villa Kérylos…)

Revoir la chaîne financière

L’argent manque évidemment pour effectuer tous ces travaux. La Cour estime à 63 millions d’euros le montant des travaux à réaliser d’ici 2024 dans les sites de l’Institut et des académies, dont 25 millions pour le seul palais Conti. Une somme que le groupe ne peut pas financer sur ses fonds propres, alors que par ailleurs l’Institut est structurellement déficitaire depuis 2018 en raison de la forte augmentation de ses charges consécutive à « la professionnalisation de ses services ». C’est ainsi que son budget prévisionnel 2021 affiche un déficit de 4,2 millions d’euros.

Il a pourtant des marges de manœuvre. L’Institut a ainsi récemment construit un auditorium – qui n’a été utilisé par les académies que trente-huit jours en 2019 – et acheté un immeuble mitoyen – pour y ouvrir un restaurant pour les salariés – pour la coquette somme de 46 millions d’euros –, une décision contestable pour la Cour. L’Institut et les académies pourraient aussi tirer un meilleur profit de leur immense parc d’immeubles de rapport (40 000 m²) en revoyant certains loyers et en mettant davantage en concurrence les gestionnaires, ce qu’ils ont commencé à faire. Ils pourraient aussi mieux gérer leurs portefeuilles financiers « conséquents » de 921 millions d’euros. Ces actifs sont principalement logés dans six fonds communs de placements qui sont trop similaires et aux performances très médiocres. De sorte qu’avec un prélèvement mensuel de 2 % chaque année sur ces fonds – taux inadapté selon la Cour –, le capital a baissé depuis 2013.

Encore faut-il qu’il y ait une vraie solidarité financière entre les six entités et qu’il y ait plus de rigueur dans la comptabilité. « La gestion comptable de l’Institut et des académies est dans une situation de grave désordre à laquelle il convient de remédier de manière prioritaire », écrivent les magistrats. Ce n’est pourtant que l’une des priorités que Xavier Darcos doit gérer tout en transigeant avec des secrétaires perpétuels qui ont le temps pour eux.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°572 du 3 septembre 2021, avec le titre suivant : L’Institut de France et les académies : un archipel peu navigable

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