PARIS
Hier boudée, ignorée ou moquée, l’institution séduit désormais des artistes contemporains en vue, à l’instar de Fabrice Hyber ou Jean-Michel Othoniel. Décryptage d’une révolution de palais en cours.
En novembre 2018, Jean-Michel Othoniel était élu à l’Académie des beaux-arts, au fauteuil d’Eugène Dodeigne, dans la section sculpture. Il s’en était fallu de peu pour qu’il soit battu par Orlan. Le coude-à-coude ne manque pas de piquant, surtout quand on sait la totale indifférence du milieu de l’art vis-à-vis de l’institution et le refus de nombre d’artistes de renom, tel Pierre Soulages, de siéger sous la coupole. En 2016, la célébration de son bicentenaire n’avait d’ailleurs pas pu gommer le fossé entre la scène artistique et la belle endormie, comme on la surnommait alors au sein même de l’Institut de France. Son rôle de conseil auprès de l’État n’était plus que l’ombre de lui-même. On ne la consultait plus guère et ses rares prises de parole sur tel ou tel sujet se heurtaient à l’indifférence générale. On s’interrogeait régulièrement de son utilité. La suppression par André Malraux des prix de Rome et du lien qui unissait l’Académie des beaux-arts à l’Académie de France à Rome avait acté, en 1968, cette situation de décalage. « Au fil du temps, l’Académie a perdu l’essentiel de ses missions en matière de conseil, de formation et de relations internationales », relevait la Cour des comptes en 2015 dans son rapport sur l’Institut de France et ses cinq académies. « Nous payons encore notre péché originel d’avoir laissé passer les impressionnistes », nous disait son ancien secrétaire perpétuel Arnaud d’Hauterives (1933-2018) pour expliquer ce sévère constat.
Rien au cours de cette année 2016 ne semblait évoluer au sein de l’institution ni dissocier l’Académie de l’académisme dont on la revêtait régulièrement. Du moins en apparence. Car du côté des sections composition musicale, gravure et architecture, profondément renouvelées dans leurs membres depuis les années 2000, des désirs de renouveau se manifestaient à huis clos. Aujourd’hui comme hier, le compositeur et chef d’orchestre Laurent Petitgirard, successeur en février 2017 d’Arnaud d’Hauterives à la direction de l’Académie, ne mâche d’ailleurs pas ses mots sur « l’inertie » ambiante de l’époque. « On ne tenait pas compte de la difficulté qu’il y avait à intégrer certains plasticiens. Ce qui n’était pas le cas pour d’autres disciplines », dit le musicien. De fait, la section architecture rassemblait déjà un bel aréopage. Dominique Perrault et Jean-Michel Wilmotte avaient rejoint Paul Andreu et Aymeric Zublena. La section création artistique dans le cinéma et l’audiovisuel n’était pas en reste avec Roman Polanski, Régis Wargnier, Jean-Jacques Annaud et Jacques Perrin ni la section photographie avec Yann Arthus-Bertrand, Sebastião Salgado, Jean Gaumy et Bruno Barbey.
D’aucuns ont vu toutefois dans l’élection de Philippe Garel en 2015, mais surtout dans celle de Jean-Marc Bustamante en décembre 2016, l’amorce d’une ouverture dans la section peinture. Le choix de ce dernier au fauteuil de Zao Wou-Ki a introduit en effet un trublion dans une section hermétique aux artistes polymorphes de son temps. Jean-Marc Bustamante avait aussi le double avantage d’être alors directeur de l’École nationale des beaux-arts de Paris. Son arrivée au sein de l’Académie marquait la réconciliation de l’ENSBA et de l’Académie des beaux-arts. Tout un symbole !
Mais la révolution du palais de l’Académie des beaux-arts s’est surtout opérée deux mois plus tard lorsque Laurent Petitgirard a succédé à Arnaud d’Hauterives démissionnaire de ses fonctions de secrétaire perpétuel pour des raisons de santé. L’institution s’ouvrait à une nouvelle ère. La décision de Gérard Garouste de candidater au siège de Georges Mathieu après avoir été sourd à diverses sollicitations par le passé n’a d’ailleurs pas été étrangère à ces évolutions. Fabrice Hyber, Jean-Michel Othoniel et Jean Gaumy rappellent de leur côté le rôle déterminant dans leurs candidatures des discours de Jean-Michel Wilmotte, Dominique Perrault et Paul Andreu sur l’Académie, ses attraits et fonctions notamment de soutien aux artistes.
La donne change vite au sein de ce cénacle de rencontres improbables. L’élection dans la section membres libres de l’historien de l’art et écrivain Adrien Goetz et celle de Bruno Mantovani et de Régis Campo dans la section composition musicale ont consolidé le coup de jeune à la compagnie apportée par Fabrice Hyber et Jean-Michel Othoniel. Élections et installations se succèdent depuis deux ans à un rythme soutenu. Du jamais vu. « Désormais, la vacance d’un siège à la suite d’un décès ne dépasse pas un an », souligne Laurent Petitgirard. La dynamique enclenchée se doit de fait d’être soutenue. La création en avril 2018 d’une section chorégraphie y participe. Le nom d’Angelin Preljocaj circule pour un de ses quatre fauteuils. Tania Mouraud devrait candidater pour sa part au fauteuil d’Arnaud d’Hauterives. Son élection ferait d’elle la première artiste femme à figurer dans la section peinture. Tout un symbole pour une académie où la représentativité féminine demeure dérisoire (cinq académiciennes sur cinquante-quatre élus) malgré les élections récentes d’Astrid de La Forest (section gravure), de Murielle Mayette-Holtz (section membres libres) et de Coline Serreau (section création artistique dans le cinéma et l’audiovisuel). « C’est ce qui m’a conduit à inciter Orlan et d’autres femmes artistes à candidater », confie Fabrice Hyber, que l’on dit particulièrement actif au sein de l’Académie. L’artiste n’ignore pas, lui dont la première candidature fut retoquée, l’importance du renouvellement en cours. « On n’est plus dans un titre honorifique ni dans le sacre d’une carrière ou d’une reconnaissance, explique Jean-Michel Othoniel. Si, autrefois, on le vivait comme tel en endossant un bel habit, la nouvelle génération d’artistes vient avec l’envie de faire autre chose que de venir aux séances du mercredi. C’est ce côté honorifique, cette vanité de se présenter qui m’ont d’ailleurs retenu et conduit à déposer ma candidature le dernier jour, encouragé par Adrien Goetz », voire même à la tenir secrète jusqu’à ce que son élection soit acquise. Car personne ne l’ignore : l’Académie demeure encore pour beaucoup une institution d’un autre âge. « Je sais ce que l’Académie est venue chercher chez moi : une autre vision de l’art avec un parcours à l’étranger comme Mathieu ou Pierre-Yves Trémois en leur temps », relève Jean-Michel Othoniel. « Il faut se méfier des cases dans lesquelles on met des artistes qui ont appartenu à d’autres générations », rétorque-t-il à un milieu de l’art ou à un marché trop empressé à cataloguer, rejeter ou adouber untel ou untel. « C’est ce dialogue justement intergénérationnel et interdisciplinaire qui fait de l’Académie des beaux-arts un endroit unique. » « Il faut être curieux pour entrer à l’Académie, curieux d’abord des autres sections et des autres académies », rappellent Fabrice Hyber et Jean-Marc Bustamante chacun à sa manière. « Il s’agit d’être actif », poursuit Jean Gaumy.
Avec ce renouvellement en profondeur et cet élargissement des profils, les séances du mercredi ont pris en peu de temps une autre figure. Les rangs sont moins clairsemés et les implications plus grandes pour reconnecter l’Académie des beaux-arts avec le terrain. Une remise à plat et une meilleure dotation des prix, bourses ou résidences attribués par l’institution aux artistes est en cours. Les débats autour du sens qu’il y a aujourd’hui à différencier la section peinture de la section sculpture mobilisent tout autant et la question de les regrouper sous l’appellation « arts plastiques » soulève des protestations. Reste que le recrutement des nouveaux venus difficilement classables dans l’une ou l’autre catégorie la pose. Le dialogue réamorcé de son côté par Laurent Petitgirard avec tout ce que compte Paris en personnalités influentes, notamment en politique, tend de son côté à tisser des liens. Depuis juin 2017 se sont ainsi succédé François Hollande, Nicolas Sarkozy, les ministres Jean-Michel Blanquer, Bruno Le Maire, Nicole Belloubet, Claudia Ferrazzi (conseillère culture d’Emmanuel Macron), Valérie Pécresse et Jacques Toubon.
Les discours en séances plénières de l’ancienne ministre de la Culture Françoise Nyssen et de Ségolène Royal, les contacts noués par Laurent Petitgirard avec l’actuel ministre de la Culture Franck Riester renforcent le sentiment d’être à nouveau considéré, voire écouté : la dépêche de l’AFP mentionnant que le ministre de la Culture se rangeait derrière l’avis de l’Académie des beaux-arts sur la question de la restitution du patrimoine culturel africain n’a pas manqué d’être remarquée.
Le travail entrepris semble porter ses fruits. La rénovation programmée de la salle Comtesse de Caen lui permettra de bénéficier par ailleurs d’espaces adéquats pour ses expositions. En attendant, le colloque « L’art peut-il vivre sans le marché de l’art ? », organisé par l’Académie avec le Conseil des ventes, se tient le 17 avril dans le tout nouvel auditorium de l’Institut de France construit par l’architecte Marc Barani, tout fraîchement élu au siège de Claude Parent.
« Membre depuis 40 ans de Magnum, j’ai l’habitude des collégiales, des discussions et des intelligences collectives qui se développent, se confrontent sans uniformité de style. Les discussions que nous avons à l’Académie m’ouvrent à des expertises fortes. J’ai besoin d’être enrichi par les autres, mon désir de transdisciplinarité est d’ailleurs animal. C’était toujours passionnant d’écouter Paul Andreu à qui j’avais demandé de faire le discours de mon installation. Sa mort le lendemain m’a fait chialer. J’avais invité aussi ce jour-là des membres de l’Académie des sciences, dont Yves Coppens. C’était assez nouveau pour l’Académie des beaux-arts. Le dialogue avec les autres académies de l’Institut de France est important. Il serait bien qu’il se développe de part et d’autre. »
Jean Gaumy (1948), élu le 13 avril 2016, siège créé par le décret du 23 décembre 2015 (section photographie)
« Nous sommes dans un monde où les artistes sont très seuls. Le monde de l’art a beaucoup changé en trente ans. Il s’est énormément professionnalisé, cette idée de groupe d’artistes a vraiment disparu. Ma génération a vécu un isolement. La Villa Médicis m’a permis de rencontrer beaucoup de gens ; j’ai plein d’amis de ce séjour dans des domaines que je n’aurais jamais soupçonné de rencontrer. Cette élection tombe à un moment où j’avais besoin de retrouver cela. À l’Académie, je peux discuter avec un compositeur de musique contemporaine, savoir quels sont ses engagements, ce qu’il défend comme je peux le faire avec un cinéaste ou un photographe. Que les artistes aient une voix à travers l’Académie m’intéresse, car ce n’est pas une parole qui est forcément entendue par les décideurs. C’est réellement une chance de pouvoir réfléchir tous domaines confondus aux soutiens que l’on peut apporter aux artistes, qu’ils soient jeunes ou âgés, ou de se pencher sur le sens aujourd’hui de l’exposition. »
Jean-Michel Othoniel (1964), élu le 13 novembre au fauteuil d’Eugène Dodeigne (section sculpture)
« De manière générale, j’aime beaucoup retrouver des gens avec qui je n’ai
Fabrice Hyber (1961), élu le 25 avril 2018 au fauteuil de Chu Teh-Chun (section peinture).
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Grand dépoussiérage sous la coupole
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°721 du 1 mars 2019, avec le titre suivant : Grand dépoussiérage sous la coupole