PARIS
Avec un patrimoine évalué à 238 millions d’euros et des revenus confortables, notamment fonciers, l’Académie des beaux-arts est dans une situation économique enviable. Indépendante, elle n’échappe pas pour autant au contrôle de la Cour des comptes qui s’est montrée assez critique dans son dernier rapport. Quai de Conti, on affirme vouloir moderniser la gestion.
PARIS - On dit l’Académie des beaux-arts riche, très riche. Elle l’est. Si l’on se réfère au dernier rapport de la Cour des comptes d’avril 2015, son patrimoine est évalué en 2012 à 238 millions d’euros, loin d’atteindre celui de l’Institut (990 millions d’euros), mais supérieur à celui de l’Académie des sciences (136 millions d’euros) et de l’Académie française (129 millions d’euros). L’ordonnance royale du 21 mars 1816 lui a permis – et lui permet encore à l’instar de l’Institut et des cinq autres académies – de disposer de ressources propres, de détenir et recevoir des propriétés par dons. Les collections de la Fondation Marmottan Monet et de la Fondation Claude Monet-Giverny, issues de legs, en sont ses deux plus beaux fleurons. Son patrimoine immobilier, fort de treize immeubles et neuf appartements essentiellement dans Paris intra muros avec 17 300 m2 et 90 millions de valeur vénale, rivalise avec celui de l’Institut de France (16 500 m2, 103 millions d’euros). La répartition des 20 millions d’euros de ressources en 2014 montre bien l’importance des deux musées : « 41,5 % proviennent des entrées du Musée Marmottan et de Giverny, 18,5 % de leurs boutiques, 14,9 % des produits immobiliers, 14,7 % des placements financiers et 10,6 % du mécénat et autres ressources », précise-t-on à l’Académie. La contribution au budget de la Villa Ephrussi de Rothschild, sous convention avec Culturespaces depuis 1992, est pour sa part modeste : 100 000 euros de redevances calculées au prorata du nombre d’entrées et de produits vendus. La subvention annuelle de l’État perçue via l’Institut de France est tout aussi minime : moins de 70 000 euros que l’Académie attribue aujourd’hui aux aides aux artistes (lire JdA 459).
Une autonomie hasardeuse
La loi de programme pour la recherche du 18 avril 2006, confirmée en 2012, a par ailleurs renforcé sa liberté de gestion. Au-delà de modifier son statut en « une personne morale de droit public à statut particulier placé sous la protection du président de la République » (art. 35), cette loi lui accorde une autonomie sans précédent. L’article 36 le stipule : « L’institut et les académies s’administrent librement. Leurs décisions entrent en vigueur sans autorisation préalable. Ils bénéficient de l’autonomie financière sous le contrôle de la Cour des comptes. » Une indépendance que cette dernière, dans son rapport pour la période de 2005 à 2013, critique à plusieurs reprises. Le jugement est en particulier sévère envers un fonctionnement « marqué par l’opacité, l’absence de règles formalisées et une gestion caractérisée par d’importants dysfonctionnements et lacunes ». Le titre donné au rapport claque comme une sentence sans appel : « L’institut de France et les cinq académies : un patrimoine exceptionnel, une gestion manquant de rigueur. » D’autres sous-titres évoquent « les errements passés soldés tardivement » ou « la faiblesse de la gestion immobilière locative ». Quai de Conti on assure que ces errements ne sont « certes pas si anciens, mais révolus ». Et de préciser que « tous les appartements sont loués au prix du marché et tous sont occupés ».
La ponction sur les revenus financiers des fondations a, pour sa part, cessé en 2011 comme le rapport de la Cour des comptes 2015 le relève lui-même. Dans leur réponse commune aux magistrats, l’Institut de France et les cinq académies plaident les efforts entrepris : « Depuis 2010 s’est ouverte une période active de modernisation, de définition des procédures, de rigueur accrue de gestion, de renouvellement de tous les principaux collaborateurs de l’Institut et de recrutement de nouvelles compétences qui faisaient défaut ».
La rapidité de la modernisation reste pourtant toute relative, comme la notion du temps parmi les immortels. La certification des comptes par un commissaire de la Cour des comptes n’est pas encore mise en place. Elle est assujettie à la nouvelle organisation financière, comptable et de contrôle en cours d’établissement au sein de l’Institut de France. Cette certification est assurée en interne par la receveuse des fondations.
Une révolution qui prend son temps
Quant à l’édition d’un rapport annuel accessible à tous, elle a nécessité une décision commune à l’Institut et à ses cinq académies, qui n’est pas encore à l’ordre du jour. L’obligation de procéder à un bilan social a néanmoins conduit récemment à la création d’un comité technique. L’Académie des beaux-arts éditera son premier bilan social en 2016 ! Les choses évoluent donc doucement, comme en témoigne l’élaboration actuelle d’un règlement intérieur qui vient combler un vide. Reste encore à le finaliser, comme à concrétiser les conclusions de l’étude commandée par l’Académie des beaux-arts à un cabinet d’audit, en vue de simplifier les rouages et les relations entre l’Académie et ses fondations. Leur mise en œuvre dépend de la disponibilité des académiciens pour en assurer leur suivi. Sans leur concours, rien ne peut être mené. Le jeton de présence, symbolique dans son montant (lire encadré), n’est pas synonyme d’assiduité, encore moins d’implication pour des affaires de gestions qui ne sont pas leur tasse de thé.
La modification des statuts de l’Académie des beaux-arts validée par le décret du 26 décembre 2015 n’a pas introduit de grands changements dans son fonctionnement ni dans sa gouvernance. Parmi ceux-ci, deux se distinguent : le secrétaire perpétuel est désormais élu pour six ans, sans limitation du nombre de mandats ; et l’accès « aux documents de nature financière et patrimoniale relatifs à l’Académie est désormais autorisé aux membres de l’Académie ». Une petite révolution en soi, les académiciens-artistes vont s’intéresser aux chiffres.
Début 2013, les ventes de meubles du Musée Marmottan avaient apporté un éclairage peu glorieux sur la manière dont l’Académie des beaux-arts respectait l’héritage de Paul Marmottan. L’élection à la direction du musée de Patrick de Carolis a mis un terme à ces dérives et manquements. Le récolement des collections vient de s’achever et l’institution a entrepris des travaux de modernisation de ses espaces sur trois ans. Évalué à 3 millions, leurs coûts sont entièrement financés par les bénéfices du musée. « Chaque année nous devons faire rentrer entre 5 et 6 millions d’euros pour couvrir toutes nos dépenses, au-delà c’est du bénéfice », souligne Patrick de Carolis. Ce qui est le cas depuis deux ans. Les ressources du musée s’appuient sur la billetterie (40 à 45 %) et la boutique (30 à 35 %), le reste étant constitué par les revenus tirés de la privatisation des espaces et les expositions itinérantes construites à partir des collections. Moteur d’une économie qui s’autofinance, la fréquentation est en hausse : 355 000 visiteurs en moyenne sur 2014-2015 contre 245 000 sur la période 2009-2013. Côté boutique, un accord a été passé avec la Fondation Monet-Giverny pour vendre des coproductions. À Giverny, on affiche également une belle dynamique. Dirigée depuis 2008 par l’académicien Hugues Gall, ancien directeur de l’Opéra de Paris, la fondation s’est portée acquéreur en février 2016 de 74 hectares de terrains autour de son site pour le préserver de tout changement dans le plan d’occupation des sols. Un achat de 910 000 € pris entièrement sur les revenus de la Fondation, dépendants eux aussi de la billetterie, des ventes en boutique mais aussi des intérêts des fonds placés. Hugues Gall à cet égard ne s’en cache pas : « Nous disposons d’une trésorerie généreuse qui permet de voir l’avenir sereinement ».
Des cinq académies regroupées au sein de l’Institut de France, l’Académie des beaux-arts est celle qui emploie le plus grand nombre de salariés (102 dont 12 au secrétariat quai de Conti). Le Musée Marmottan-Monet et la Fondation Claude Monet-Giverny constituent la plupart de ces emplois. Hors ces deux institutions, les frais de personnel s’élèvent à 965 000 euros et ceux de fonctionnement à 588 800 euros, sachant que l’Académie est administrée par un bureau, une commission administrative chargée de gérer les biens de l’Académie et d’autres commissions spéciales. Le secrétaire perpétuel est l’ordonnateur des dépenses. Si ce dernier perçoit une rémunération mensuelle de 4 120 euros et 3 600 euros de frais de représentation par trimestre, les Académiciens ne reçoivent pour leur part aucune indemnité de fonction ni indemnité de frais de représentation. Seule leur présence au sein des séances plénières du mercredi leur donne droit à 200 euros par séance, le président du bureau élu pour l’année par ses pairs percevant en supplément 150 euros mensuels.
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L’Académie des beaux-arts brouillée avec les chiffres
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Abonnez-vous dès 1 €L'Institut de France, vue du Pont des Arts, Paris. © Photo Benh LIEU SONG - 2007 - Licence CC BY-SA 3.0
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°460 du 24 juin 2016, avec le titre suivant : L’Académie des beaux-arts brouillée avec les chiffres