Madame, Monsieur,
Un certain nombre de mes confrères m’ont demandé de vous transmettre leur étonnement consécutif à la lecture de la première partie de votre « enquête » consacrée à notre institution et publiée les 9 et 23 juin derniers. Je ne reviendrai pas sur des affirmations aussi étonnantes et gratuites que les titres de vos articles en une du journal, ou encore l’assertion selon laquelle les prix distribués par notre institution seraient « trop nombreux », ce qui, dans le contexte actuel de raréfaction des aides publiques accordées aux artistes, apparaît particulièrement étrange.
Mais c’est surtout l’angle principal de votre article en date du 9 juin qui a étonné notre institution. Tout votre article – et ce qu’il faut bien appeler la critique de notre académie – se fait en effet au nom de ce que vous appelez « l’art contemporain » et de son soi-disant « déni ». Outre le fait qu’il est étonnant de passer sous silence la musique, l’architecture, le cinéma, la section des membres libres et de n’envisager l’Académie que sous l’angle des arts plastiques, l’appréhension de l’Académie des beaux-arts sous le seul prisme de, je vous cite, « les codes du soutien à la création contemporaine », la participation ou non de ses artistes à la Fiac et leur classement ou pas dans l’Artindex, autrement dit de leur qualité supposée selon les critères du marché, témoigne d’une réelle incompréhension de la singularité qu’occupe l’Académie au sein du paysage culturel français.
En effet, l’Académie n’a jamais eu pour but de coller aux courants les plus innovants de la création contemporaine, elle a au contraire toujours voulu se situer à l’écart des courants qui décident à un instant T de ce qui est de l’art ou de ce qu’il ne l’est pas. Cette prudence et cette indépendance, notamment vis-à-vis des circuits marchands de « l’art contemporain », constitue l’une des particularités fortes de l’Académie qui ne cherche à plaire à aucune institution à la mode ou aucun galeriste réputé en élisant leur candidat. Position qui se retrouve d’ailleurs dans le choix de ses lauréats. Oui, puisqu’il faut le préciser, l’Académie des beaux-arts n’est ni le Palais de Tokyo, ni la Fiac.
Depuis bien longtemps, l’Académie est une institution indépendante du pouvoir politique, une assemblée très diverse d’artistes et de créateurs élisant d’autres artistes et créateurs, en toute liberté. Certains sont déjà et resteront mondialement connus, d’autres pas, et cela ne change rien à leur légitimité de créateur. Et d’artiste « contemporain ». Car comme vous le savez, la notoriété à un instant donné est un concept dangereux pour juger de la force de l’œuvre d’un artiste. En ce sens, il est donc vrai que notre institution se situe, d’une certaine manière, à contretemps, mais ceci constitue plutôt une fierté dans le sens ou Nietzsche revendiquait son inactualité ; certes, cette position qui n’aurait pas déplu à Giorgio Agamben (1) n’est pas toujours facile à assumer. Mais elle signe une place, une voix singulière qui, en dépit de ce que pourrait laisser croire votre article, perdure comme une position de référence pour beaucoup en France et à l’étranger, et constitue pour les créateurs français un statut toujours très convoité.
Je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mes salutations distinguées.
NB :
Vous faites allusion plusieurs fois au fait que Raymond Depardon ne se serait pas présenté à l’Académie, ce qui est inexact.
Les membres perçoivent, en fonction de leur présence au sein des séances plénières du mercredi, une indemnité de 200 euros par mois et non par semaine, ce qui est assez différent.
(1) « Celui qui appartient véritablement à son temps, le vrai contemporain, est celui qui ne coïncide pas parfaitement avec lui ni n’adhère à ses prétentions, et se définit, en ce sens, comme inactuel ; mais précisément pour cette raison, précisément par cet écart et cet anachronisme, il est plus apte que les autres à percevoir et à saisir son temps. »
« La contemporanéité est donc une singulière relation avec son propre temps, auquel on adhère tout en prenant ses distances ; elle est très précisément la relation au temps qui adhère à lui par le déphasage et l’anachronisme. » in Giorgio Agamben, « Qu’est-ce que le contemporain ? », 2008.
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Courrier : Arnaud d’Hauterives
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°465 du 14 octobre 2016, avec le titre suivant : Courrier : Arnaud d’Hauterives