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1ère partie - Enquête

L’Académie des beaux-arts, une institution à contretemps

Longtemps tenue à l’écart du soutien à la création et de la politique culturelle, l’Académie tente de renouer avec ses missions statutaires. Première partie d’une enquête qui se poursuit dans le prochain numéro

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 7 juin 2016 - 1796 mots

PARIS

En dépit de ses statuts qui lui confèrent des missions majeures telles que le soutien à la création ou une veille sur la qualité de l’enseignement artistique, l’Académie des beaux-arts n’est plus que l’ombre d’elle-même. Elle est quasiment inaudible et ses prix, trop nombreux, sont peu reconnus. Certains de ses membres pourtant voudraient réveiller la belle endormie.

PARIS - « Quelle image avez-vous de l’Académie des beaux-arts ? – Aucune, je ne la connais pas. – Pouvez-vous citer de mémoire un de ses membres ? – Non. » La réponse, signée d’un professeur au Collège de France spécialiste du secteur artistique, suffit à résumer la situation marginalisée de l’Académie aujourd’hui. Pourtant, ses missions n’ont statutairement pas changé : conservation et diffusion du patrimoine culturel, développement des relations artistiques internationales et veille sur la qualité de l’enseignement dans les écoles spécialisées.

Le dernier rapport, daté d’avril 2015, de la Cour des comptes est sévère malgré les récents « progrès limités » relevés : « Au fil du temps, l’Académie a perdu l’essentiel de ses missions en matière de formation, de relations internationales […]. Le ministère de la Culture s’est imposé dans la fonction de régulation artistique et culturelle […]. De ce fait, la tâche d’entretenir le patrimoine dont l’ont dotée ses mécènes, conçue au départ comme le moyen d’assurer les autres missions, n’a plus cette finalité. »

Un manque d’ouverture brocardé
Pourquoi et comment l’Académie des beaux-arts, qui célèbre cette année son bicentenaire, est-elle sortie des écrans radar ? Si les statuts de 1816, partiellement rénovés en 2006, prévoient qu’elle dispense aux autorités publiques des avis sur les grandes questions culturelles, elle n’est plus guère consultée. Elle n’a pas attendu toutefois André Malraux et la création du ministère de la Culture pour se marginaliser. Le Secrétaire perpétuel, Arnaud d’Hauterives, le rappelle dans un sourire fataliste : « Nous payons encore notre péché originel, d’avoir laissé passer les impressionnistes. » Pourtant, entre le rejet croissant de l’académisme au mitan du XIXe siècle par les jeunes artistes et le coup de grâce de Malraux, un siècle s’est écoulé qui aurait pu voir redéfinir la vocation de l’Académie. Mais entre le respect forcé du pouvoir pour une institution emblématique d’un certain âge d’or français et le dédain croissant des avant-gardes internationales, le fossé entre l’Académie et la réalité de la scène artistique s’est creusé. 1968 l’a entériné en supprimant le prix de Rome et la tutelle de l’Académie sur la Villa Médicis et l’École des beaux-arts de Paris. Vingt-trois ans plus tard, lorsque le président François Mitterrand nomme Jack Lang à la Rue de Valois, Jeanne Laurent, analyste de l’éducation culturelle populaire, préconise même dans un rapport expéditif de supprimer l’institution ! Claude Mollard, directeur de cabinet de Jack Lang, se souvient : « L’Institut de France et les autres Académies mirent tout leur poids dans la balance. L’Académie française avait eu le bon goût de coopter en son sein des écrivains très contemporains. Mitterrand, amateur de belles lettres, ne voulait pas être celui qui en signa la disparition. Même si elle n’était pas aussi ouverte sur le monde, l’Académie des beaux-arts bénéficia du statut de l’Académie française, et fut ainsi sauvée. »

L’Académie n’en est pas moins restée à l’écart de l’expansion culturelle des années 1980, accentuant l’écart avec les Fonds régionaux d’art contemporain (Frac) ou encore le Centre Pompidou. Le commissaire d’exposition et conservateur Jean-Hubert Martin se rappelle pourtant avoir siégé pendant longtemps « aux côtés du président de l’Académie, au sein du Haut conseil des musées de France qui se prononçait sur les acquisitions ». Mais la loi de 2003 ne mentionne même plus ce membre de droit. Depuis longtemps, ni l’Élysée, ni Matignon, ni le ministère de la Culture et de la Communication ne répondent aux courriers de l’Académie, désireuse de faire-valoir sa « disponibilité » pour contribuer aux grands débats culturels. Certes, l’Académie publie quelques avis (quatre en 2015) sur des questions d’actualité (loges de l’Opéra, projets commerciaux pour l’hôtel de la Marine). L’apport est timide. Rue de Valois, cette année, on « n’a pas eu vent de la prétendue volonté des académiciens de participer aux débats de la loi sur la création, l’architecture, le patrimoine ». Entre des académiciens vexés et des fonctionnaires culturels qui raillent les « royalistes », le dialogue est rompu.

Le souhait d’un renouveau
Le président de l’Académie, Erik Desmazières, avoue sans ambages ni acidité : « Je n’ai jamais mis les pieds au ministère. » C’est cependant de ce jeune (68 ans) président que pourrait venir un renouveau. Graveur reconnu, il est l’un des rares immortels à fréquenter la Fiac [Foire interantionale d’art contemporain]. Il déplore qu’aucun académicien n’y soit représenté parmi les exposants et regrette que « le décalage entre la scène contemporaine et la composition de l’académie [soit] uniquement l’apanage des beaux-arts ». En effet, qu’il s’agisse de Dominique Perrault ou de Jean-Michel Wilmotte fraîchement élus pour l’architecture, de William Christie pour la musique ou de Régis Wargnier et Roman Polanski pour le cinéma, les académiciens sont tous des figures (surtout masculines…) reconnues de la scène française voire mondiale.

Dans les sections de peinture, sculpture et gravure, une statistique illustre le décalage : un seul académicien sur dix-sept figure parmi les 500 premiers de l’Artindex France : Vladimir Velickovic (286e). La liste de ceux qui ont ignoré les sollicitations de l’Académie est en revanche illustre : Pierre Soulages, Gérard Garouste, Raymond Depardon… L’élargissement à la photographie compense à peine le déni de l’art contemporain (lire l’encadré). Édith Canat de Chizy, compositrice émérite et vice-présidente, souhaiterait la création d’un siège pour le design. « Des efforts sont faits, mais le statut d’immortel ralentit le renouvellement du collège », explique avec malice Erik Desmazières. Des efforts que l’on ne retrouve pas dans le devoir d’ouverture de la maison. Les séances hebdomadaires sont interdites au public et, hormis les bibliothèques, le Quai de Conti ne se visite que lors des Journées du patrimoine.

Aider les jeunes talents
L’Académie se concentre aujourd’hui sur une seule de ses missions : « participer à l’émergence de jeunes talents ». Les bourses, résidences et prix attribués sont liés aux legs reçus par l’institution, les grands artistes ou mécènes ayant conditionné leurs donations à la création de prix dans les disciplines qui leur tenaient à cœur. Plusieurs récompenses ont acquis une certaine notoriété, comme le Prix de photographie Marc Ladreit de Lacharrière, sur concours, qui marque une volonté de l’Académie de s’inscrire davantage dans les codes du soutien à la création contemporaine. Depuis peu, l’institution travaille de concert avec le Centre national des arts plastiques afin que certains prix soient mieux référencés (Prix de dessin Pierre David-Weill, Grand Prix d’architecture). L’Académie a même créé sa page Facebook ! Toutefois, l’ouverture est relative. Maints prix (dont certains richement dotés, comme celui de la Fondation Simone et Cino del Duca) sont attribués sur proposition de l’Académie ou en commission privée par les différentes sections.

Ce dilemme entre ouverture et discrétion se retrouve dans la mission de veille sur l’enseignement, qui se résume au financement et à la gestion partiels de la Casa de Velázquez, l’Académie de France à Madrid. Pourtant, récemment, l’Académie s’est rapprochée de la Villa Médicis pour financer le séjour d’un pensionnaire. Elle a aussi trouvé un soutien inattendu chez Jean-Marc Bustamante, fraîchement nommé à la tête des Beaux-Arts de Paris. « Les académiciens ne doivent pas se refermer sur eux-mêmes, l’Académie est notre histoire, celle que l’on enseigne, celle qui fait la richesse de notre institution, notre partage. » Invité Quai de Conti, l’artiste directeur a tendu la main à son ancienne tutelle dans un discours aux immortels : « Qui aurait cru que le dessin, la peinture, la gravure, le moulage, la fonte, le bronze, reviendraient sur le devant de la scène ? […] Les dogmes ont fait long feu, tout s’ouvre. » Un discours qui tient de l’incantation, mais qui n’en comporte pas moins une chose rare dans le siècle écoulé : une main tendue à l’Académie par un artiste contemporain.

Les derniers élus

La section photographie, créée en 2005, a été dotée de deux sièges. L’un est revenu en 2006 à Yann Arthus-Bertrand, l’autre à Lucien Clergue (1934-2014). Pour combler la vacance de ce dernier, l’élection du 14 avril dernier a choisi Sebastião Salgado. Il restait à savoir qui, de Françoise Huguier, Bruno Barbey, Jean Gaumy, Pascal Maître, Jean Rault, Francis Delvert, Frère Jean ou Christophe Fouquet-Sparta, seraient élus aux deux sièges nouvellement créés. Le choix de Bruno Barbey et de Jean Gaumy, deux photographes de Magnum (Salgado aussi en fut membre jusqu’en 1994), voit l’entrée en force de la célèbre coopérative Quai de Conti. Une redondance dans les choix qui est d’autant plus à déplorer que l’on constate une dérisoire représentativité féminine au sein du collège (4 immortelles sur 45, Astrid de La Forest étant fraîchement élue, depuis le 1er juin, à la section de gravure). En outre, l’absence de grandes figures comme Alain Fleischer ou Raymond Depardon, qui ont tous deux décliné l’invitation, mais aussi de personnalités moins reliées à la photographie documentaire, signent l’incapacité de l’institution à élargir les profils. Chacun se l’accorde : l’Académie des beaux-arts doit être en phase avec la création. Philippe Garel, dernier élu à la section de peinture, souhaite une meilleure visibilité des prix et une plus grande représentativité des jeunes artistes plasticiens y concourant. « Il serait pertinent d’aller chercher au Salon de Montrouge ou à Drawing Now », dit-il.

Christine Coste et David Robert

Huit sections et 59 fauteuils

L’Académie des beaux-arts a réuni en 1816 les quatre anciennes académies royales (peinture, sculpture, musique et architecture), les sections de gravure et des membres libres, accompagnées depuis 1985 de celle du cinéma et, depuis 2005, de la photographie. Parmi les huit sections, 10 sièges sur 59 sont vacants. La section peinture compte 10 fauteuils (dont trois non pourvus), la sculpture 8 (dont un vacant), l’architecture 9 (un vacant), la gravure 4, la composition musicale 8 (un vacant), les membres libres 10 (2 vacants), la création audiovisuelle et le cinéma 6 (2 vacants), et la photographie 4. Lorsqu’un académicien disparaît, l’élection du successeur intervient rarement avant une année. Après la « déclaration de vacance » de siège, les lettres de candidature reçues sont lues en séance. L’élection, si elle est décidée par le quorum (la moitié des académiciens plus un), a lieu un mois plus tard. Les statuts précisent que « si, après cinq tours de scrutin, la majorité absolue n’est pas acquise, l’Académie peut soit poursuivre l’élection en limitant le nombre de scrutins, soit reporter l’élection ». L’accueil du nouvel académicien est effectif par un décret présidentiel et lorsque le nouvel entrant, en séance publique, a reçu l’hommage d’un pair et dressé l’éloge traditionnel de son prédécesseur.

Christine Coste et David Robert

Légende photo

Le bureau de l'Académie des beaux-arts, avec de gauche à droite : Arnaud d’Hauterives, secrétaire perpétuel, Erik Desmazières, président et Edith Canat de Chizy, vice-présidente. © Académie des beaux-arts.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°459 du 10 juin 2016, avec le titre suivant : L’Académie des beaux-arts, une institution à contretemps

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