Antiquaire - Justice

Procès des faux meubles : la galerie Kraemer sur le grill

Par Jean-Christophe Castelain · lejournaldesarts.fr

Le 28 mars 2025 - 818 mots

PARIS

Le tribunal a tenté d’évaluer si la galerie savait que les meubles étaient faux et si elle avait accompli les diligences requises.

Tribunal judiciaire de Pontoise. © Ville de Pontoise
Tribunal judiciaire de Pontoise.
© Ville de Pontoise

Au troisième de jour de l’audience des faux meubles vendus à Versailles et à des collectionneurs privés, c’était au tour de Laurent Kraemer de venir à la barre et de s’expliquer. Tout au long de la journée la présidente a longuement interrogé les prévenus – Laurent Kraemer, Bill Pallot le commanditaire des faux meubles et Bruno Desnoues l’ébéniste qui les a fabriqués – afin d’appréhender si l’antiquaire savait ou non que les meubles étaient faux.

Deux ensembles sont concernés : une paire de chaises garnies, supposées être du salon de compagnie de Mme du Barry et estampillées Louis Delanois et une paire de chaises supposées pour le Pavillon du Belvédère. La galerie Kraemer les a acquises à l’expert Guillaume Dillée (qui les tenait de Bill Pallot). Il a vendu la première paire (Delanois) au Château de Versailles en 2008 pour 840 000 € et la seconde (Foliot) à un cousin de l’émir du Qatar en 2008 également, pour 2 M€, après que Versailles l’a refusée.

La défense de Laurent Kraemer a d’abord été mise à mal lorsque la présidente a rappelé que l’antiquaire avait menti (Il « s'était trompé ») lors de la garde à vue sur l’origine de ces meubles qu’il disait avoir achetés à la famille Bolloré et à la famille Guerlain qui ont toutes deux contesté. Par la suite, le tribunal, en l’absence d’éléments matériels sur le degré de connaissance du galeriste sur l’inauthenticité des meubles, a porté les débats sur ses diligences, ses obligations de moyens.
Laurent Kraemer, à la mine et au ton modeste, n’a eu de cesse de rappeler que sa galerie a toujours été « sérieuse » et qu’elle examinait les meubles qu’on lui présentait avec une rigueur absolue, mais sans vraiment le démontrer. Il a également mis en avant son expertise et sa compétence : « j’ai dû vendre au moins 150 chaises Delanois » clame-t-il, faisant référence à la paire vendue à Versailles.

Il s’est appuyé sur la bonne réputation de l’expert qui lui avait vendu les meubles (en espèces et avec lequel il n’a pas l’habitude de travailler) et surtout sur le classement « Trésor national » attribué par l’Etat lorsqu’il a demandé des certificats d’exportation pour les deux paires, indiquant que ce type de certificat « valait tous les certificats d’authenticité du monde ». Un argument vivement contesté par Me Alexis Fournol, avocat de la Compagnie nationale des experts (partie civile). Le même avocat s’est d’ailleurs étonné auprès de la présidente de l’absence de dossier de présentation des œuvres vendues (description, provenance, restaurations...), ce à quoi Laurent Kraemer a répondu que ce n’est pas utile.

Laurent Kraemer était pris dans deux injonctions contradictoires : montrer qu’il est un antiquaire sérieux et compétent mais admettre qu’il s’est laissé duper, répétant à plusieurs reprises que « ces faux étaient absolument très bien faits, je n’ai jamais vu cela ». « Je dois être un mauvais antiquaire » a-t-il lâché sous le coup de l’émotion.

Mais alors pourquoi n’a-t-il pas pris d’autres avis ? Par exemple pourquoi n’est-il pas allé comparer les chaises Delanois avec celles que Versailles possède déjà ? « Je ne le fais jamais et aucun antiquaire le fait » a-t-il répondu. « Faux » a répondu Bill Pallot citant les galeries Aron, Ségoura ou Aveline, coutumiers du fait. Le procureur l’a interrogé sur l’absence de protocole écrit pour s’assurer de l’authenticité d’un meuble pointant en creux qu’il y avait beaucoup d’opacité et d’oralité pour des transactions qui se chiffrent en centaines de milliers d’euros.

Pourquoi aussi gardait-il en réserve depuis 1985 des chaises non garnies Louis Delanois appartenant à la même suite que la paire qu’il a vendue à Versailles qui en possède d’autres ? « Nous pouvons garder des meubles jusqu’à 80 ans » a-t-il répondu.
Pourquoi ne s’est-il pas plus interrogé sur la provenance de ces chaises Delanois ? Car Dillée lui en a proposé une et quelques mois plus tard une deuxième semblable. Parce que les explications de Dillée lui semblaient logiques a répondu l’antiquaire qui avait tendance à confondre origine historique des meubles et identité des propriétaires récents.

La présidente Angélique Heidsieck, qui depuis le matin menait les débats avec beaucoup de finesse et de précision témoignant ainsi de sa bonne connaissance du dossier, arborant le plus souvent un petit sourire en coin, semblait un peu plus lasse dans l’après midi, lorsque les discussions sont devenues plus techniques. Les erreurs des faussaires étaient-elles visibles pour un antiquaire avisé ? L’usure artificielle est-elle détectable à l’œil nu ? Car les expertises menées lors de l’instruction ont montré que de nombreux indices auraient dû mettre la puce à l’oreille du marchand, comme par exemple la rétraction différente des bois. « Nous ne sommes pas des bons faussaires car nous n’avons pas bien géré la rétractation des bois » s’est amusé Bill Pallot.

Il n’y a pas d’audience vendredi 28 mars. Les débats reprennent lundi 31 mars et vont porter sur le volet fiscal.

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