PARIS
L’expert continue à reconnaître qu’il a fait fabriquer par Bruno Desnoues 5 des 7 faux meubles et pointe du doigt un marché qui s’est laissé facilement berner.

Le deuxième jour d’audience du procès des faux meubles commandités par Bill Pallot a confirmé en grande partie ce que l’on sait déjà. Aujourd'hui les débats portent sur les faux meubles passés par la galerie Kraemer.
Il aura fallu attendre près de 9 ans pour que cette affaire de faux mobilier, révélée au grand jour début juin 2016, soit jugée. Les audiences, qui ont débuté mardi 25 mars, se déroulent au Tribunal correctionnel de Pontoise jusqu’au 4 avril. Six personnes sont jugées pour leur implication présumée dans la fabrication et la vente de faux meubles entre 2008 et 2015, au Château de Versailles ainsi qu’à des collectionneurs privés, dont un héritier de la famille Hermès et un prince du Qatar.
Parmi les accusés figurent Bill Pallot, expert reconnu du mobilier XVIIIᵉ siècle, à l’époque salarié de la galerie Aaron, et Bruno Desnoues, un sculpteur ornemaniste sur bois réputé (Meilleur Ouvrier de France) du Faubourg Saint-Antoine. L’antiquaire parisien Laurent Kraemer est également poursuivi dans cette affaire. Le procès vise à déterminer les responsabilités de chacun des prévenus dans cette escroquerie qui a ébranlé le monde des antiquaires et du patrimoine. Mercredi et aujourd’hui les débats ont porté et portent sur le volet tromperie tandis que le volet fiscal est traité lundi.
Les faux sièges acquis par le Château de Versailles entre 2008 et 2012 ont été au cœur des débats d’hier. Il s’agit d’une chaise estampillée Georges Jacob supposée avoir été livrée pour le cabinet de la Méridienne de Marie-Antoinette à Versailles ; d’une bergère estampillée Jean-Baptiste Sené supposée avoir été livrée pour Madame Élisabeth en 1789 pour son salon de compagnie au château de Montreuil préemptée par Versailles en 2011 pour 200 000 euros ; d’une paire de pliants estampillés Foliot réputés avoir été livrés à Louise-Élisabeth de Parme, vers 1750, acheté auprès de la galerie Aaron en 2012 pour 380 000 euros et d’une paire de fauteuils estampillés Jacob supposés livrés par Chatard pour Marie-Antoinette.
Tout au long de la journée, la présidente Angélique Ledru-Tinseau a passé en revue ces différents meubles et entendu les prévenus, assistés de leurs avocats, dans une salle remplie mais calme, baignée de soleil en fin d’après-midi. Elle a tenté de comprendre comment fonctionnait leur association.
« Il fabriquait, je vendais, j’étais la tête il était les mains », a indiqué Bill Pallot ; combien de temps fallait-il pour faire un faux ? « Deux ans », a précisé Bruno Desnoues. Tous deux ont reconnu que ces sièges étaient des faux, faits pour tromper. « S’il y avait eu le moindre grain de sable, si un seul professionnel avait remarqué quoique ce soit nous aurions tout stoppé, tout détruit. Mais c’est passé comme une lettre à la Poste ».
Les débats se sont attardés sur la chaise Jacob, achetée par Versailles de gré à gré chez Sotheby’s en 2011 pour 420 000 euros. Bill Pallot a expliqué avoir demandé à Patrick Leperlier (expert chez Sotheby’s au moment des faits, aujourd’hui à la retraite) de vendre cette chaise chez Sotheby’s Londres : « je ne lui ai jamais dit de la vendre au Château de Versailles. Ça, je ne l’ai su qu’après. De toutes façons, je n’ai rien vendu à Versailles. J’ai vendu à des gens qui eux ont vendu à Versailles ».
Bill Pallot a également pointé du doigt Brice Foisil, un autre expert de Sotheby’s qui travaillait avec Patrick Leperlier, s’étonnant qu’il n’ait pas remarqué la supercherie, « alors que 5 ans plus tard il a indiqué en garde à vue qu’en allant voir la chaise à Versailles, cela se voyait à l’œil nu. Sotheby’s n’a pas fait son travail ».
Bruno Desnoues a reconnu avoir fabriqué la chaise Jacob « entièrement grâce à des photos et dimensions d’une autre chaise, issue du même ensemble et de même provenance », appartenant cette fois à la famille Guerrand-Hermès, qu’il avait précédemment restaurée.
La fabrication des pliants, achetés 25 000 € par Bill Pallot à la galerie des Laques pour la galerie Aaron et qu’une radiographie a révélé ne pas être d’époque, est en revanche contestée. « Pour moi, ils étaient bons. Nous sommes passés à côté », a indiqué Bill Pallot.
Quant aux fauteuils Chatard, achetés en 2012 à Londres, les prévenus indiquent qu’ils étaient authentiques mais d’un modèle simple ; ils ont alors décidé de « les enjoliver ». Sotheby’s a dû s’en rendre compte car la maison de ventes les a rendus au vendeur, tout comme François-Joseph Graf, qui a refusé l’achat.
La présidente et le procureur se sont longuement attachés à rechercher ce qui avait motivé les prévenus. Bruno Desnoues a expliqué avoir accepté de faire ces faux car à l’époque, l’atelier traversait une période difficile financièrement, avec une baisse du volume de travail. « Et puis en 2013, j’ai été chargé par le château de Versailles de refaire le lit de Louis XVI - la consécration - alors j’ai arrêté les faux ». Il assure n’avoir jamais su où allaient ces meubles. « Dans notre métier, cela ne se demande pas. J’ai fait ça pour la beauté du geste. Une fois le meuble sorti de mon atelier, je ne m’y intéresse plus ». Et Bill Pallot de répondre à son tour : « pour rigoler, voir si le marché allait s’en rendre compte ». Mais comme tout le monde « n’y a vu que du feu », ils se sont pris au jeu et l’appât du gain a fait le reste.
Mais à ce « jeu », ils ont beaucoup perdu : leur travail, leur réputation, Bill Pallot a eu un redressement fiscal de 1,8 million d’euros (alors que ces gains lui ont rapporté 1,2 million d’euros) et sa collection d’art constituée pendant plusieurs décennies, a été dispersée chez Me Rémy Le Fur en 2021.
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Deuxième jour du procès des faux meubles, Bill Pallot confirme sa position
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