PARIS-NICE [15.02.13] – A sa mort en 1988, la harpiste Gisèle Tissier a légué à l’Institut de France son patrimoine mobilier et sa villa de la Côte d’Azur datant de la fin du XIXème siècle. 25 ans plus tard l’épilogue s’écrit enfin, mais pas tout à fait comme l’avait souhaité la défunte.
Située sur la colline du Mont Boron à Nice et surplombant la baie des Anges, la villa Beau-Site, classée monument historique depuis 1987 pourrait retrouver sa splendeur Belle Epoque après avoir été laissée à l’abandon pendant plus de vingt ans. Initialement léguée par sa propriétaire à l’Institut de France, c’est finalement un acheteur privé qui devrait lancer la maîtrise d’ouvrage pour sa rénovation.
Par testament, Gisèle Tissier, décédée en 1988, avait décidé de léguer son domaine et son patrimoine mobilier, contenant une importante collection d’instruments de musique anciens, à l’Institut de France. La condition principale pour le légataire étant d’ouvrir au public le site, et d’y organiser des événements culturels.
Une fondation gérée par l’Institut a été créée, la Fondation Gisèle Tissier-Grandpierre, actuellement dotée de 50000 euros et qui décerne des prix et subventions pour promouvoir la création artistique en rapport avec ses collections. Dans les premières années suivant la mort de Gisèle Tissier, plusieurs concerts ont été organisés dans la villa avant que la commission communale de sécurité n’interdise l’accès des lieux au public en raison de son délabrement. L’Institut qui avait accepté le legs, n’a alors pas engagé les travaux nécessaires. Pendant plus de vingt années, la maison est tombée lentement en décrépitude.
La villa Beau-Site avait été achetée par la musicienne Gisèle Grandpierre, épouse Tissier, premier prix du conservatoire de Paris et amie de Gabriel Fauré, à un diamantaire britannique en 1948. Grandiose et caractéristique de l’éclectisme architectural de la fin du XIXème siècle, la villa est représentative de ces luxueuses bâtisses de villégiature hivernale qui ont fait la réputation de la Côte d’Azur au début du XXème siècle.
Ses voisines, la villa Ephrussi de Rothschild au Cap Ferrat et la villa Kerylos à Beaulieu-sur-Mer, sont également propriétés de l’Institut de France, depuis l’entre-deux-guerres. Mais contrairement à celles-ci, gérées par une société privée depuis quelques années (Culturespaces) qui administre une autre demeure française emblématique, le Musée Jacquemart- André à Paris, la villa Beau-Site n’a pas bénéficié d’une telle délégation.
A la fin de sa vie, Gisèle Tissier avait laissé l’usufruit de sa propriété à un jeune locataire, devenu ami et gardien. Si bien qu’à la mort de sa propriétaire, la villa Beau-Site est devenue rapidement l’objet de procès entre l’occupant et l’Institut de France, les relations entre les deux parties se dégradant très rapidement.
Au cours des procédures judiciaires et par la voix de son avocat, Me François Lastelle, l'Institut de France avait souligné que « le legs ne comportait pas de fonds, si bien que des travaux auraient entraîné un déficit pour l'Institut ». Or, l’Institut, qui abrite des fondations, compte sur leur autofinancement. Comme l’explique à l’AFP Gabriel de Broglie, académicien et chancelier de l’Institut, « l'entretien de patrimoine immobilier de prestige ne génère pas son propre équilibre » et nécessite des mécènes. Les recherches dans cette voie n’avaient cependant pas abouti concernant la villa Beau-Site.
En 2005, l’Institut de France obtient du tribunal une révision des charges de legs lui permettant de mettre en vente le domaine.
Dans un premier temps, un marchand de biens souhaitait l’acquérir pour le diviser, avant qu’une seule famille allemande, installée à Monaco, ne se manifeste. Celle-ci serait prête à dépenser les millions d’euros nécessaires à la restauration toujours selon l'AFP.
Loin de la volonté de la défunte propriétaire qui voulait faire de son domaine (comprenant la villa et des annexes toutes aussi emblématiques architecturalement) un lieu de culture ouvert au public, le site sera une propriété privée. Toutefois, la villa pourrait retrouver son aspect d’origine. L’architecte niçois Philippe Mialon devrait être en charge de la maîtrise d’œuvre et « espère démarrer les travaux prochainement », en faisant appel à des centaines d’artisans spécialisés afin de travailler dans le respect des techniques de la fin du XIXème et du début du XXème siècle.
Suite à cette affaire du legs Tissier, l’Institut de France va très certainement revoir ses conditions d’acceptation de patrimoine immobilier. Déjà propriétaire de nombreuses demeures et châteaux (dont le château de Chantilly), son rôle n’est plus aussi important qu’il ne pouvait l’être à la fin du XIXème et début du XXème siècle. En effet, à cette époque l’Etat et le mécénat privé étaient moins présents qu’ils ne le sont aujourd’hui en matière de préservation patrimoniale. Gabriel de Broglie a déclaré à l’AFP qu’« aujourd'hui, si un legs comptait un patrimoine immobilier lourd, [l’Institut de France hésiterait] à l'accepter ».
Concernant la partie mobilière du legs, comprenant les instruments de musique anciens, soixante-six d’entre eux, dont dix-huit harpes, sont accueillies par le Musée Palais Lascaris, situé dans le vieux Nice. Une convention de dépôt pour cinq ans a été signée le 31 janvier 2013, à titre gratuit, entre Gabriel de Broglie, chancelier de l’Institut et Christian Estrosi, député-maire de Nice.
Les instruments, dont les plus anciens remontent au XVIIème siècle, viennent enrichir la collection du palais Lascaris, qui en compte déjà plus de six-cents, et en fait ainsi la deuxième collection la plus importante de France selon la Ville.
Cette collection d’instruments va pouvoir être vue du public vingt-cinq ans après avoir été léguée, mais en dehors de son écrin d’origine, finalement cédé au privé.
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Un legs révélateur des difficultés de gestion patrimoniale de l’Institut de France
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Abonnez-vous dès 1 €Villa Beau-Site, Nice - © Photo Miniwark - 2011 - Licence CC BY-SA 3.0