Antiquaire - Justice

Procès des faux meubles

A Pontoise, les avocats des prévenus tentent de sauver les meubles

Par Jean-Christophe Castelain · lejournaldesarts.fr

Le 3 avril 2025 - 848 mots

PONTOISE

Les avocats ont cherché à limiter les conséquences financières, entre demande de relaxe et mise en cause des acheteurs.

Après la charge des parties civiles et du Ministère public, les prévenus ont trouvé hier un peu de consolation au dernier jour du procès des faux meubles qui se tient au tribunal de Pontoise. C’est d’abord la défense de Laurent Kraemer qui est montée à la barre. Maître Martin Reynaud a souligné avec beaucoup de véhémence la « dissymétrie » qui frappe son client : on lui a refusé de se constituer partie civile alors que Sotheby’s qui a aussi vendu des faux meubles l’est et n’est pas mis en cause et que l’expert Guillaume Dillée qui a servi d’intermédiaire a bénéficié d’un non-lieu.

Après ces arguments d’ambiance, celui qui est aussi l’avocat de Dimitri Rybolovlev est venu sur le terrain du droit pour tenter de montrer que les textes sont flous quand il s’agit de montrer que l’antiquaire n’aurait pas accompli toutes les diligences nécessaires pour s’assurer de l’authenticité des chaises Delanois vendues à Versailles et des chaises du Belvédère un temps cédées au cousin de l’émir du Qatar. Comme la loi sur l’infraction de tromperie est peu explicite sur les obligations en la matière, il s’est appuyé sur la jurisprudence pour montrer que celle-ci vise surtout la santé alimentaire et la sécurité des personnes et qu’elle est donc peu opérante pour des meubles. Sa consœur Maître Mauricia Courrégé s’est attachée à démontrer dans une plaidoirie très technique qu’il était difficile même pour un expert aussi reconnu que Laurent Kraemer de se rendre compte que les chaises étaient fausses. « Je vais vous parler de bois » avait-elle commencé son intervention. L’un et l’autre ont demandé la relaxe de leur client.

Laurent Kraemer et la galerie éponyme ne sont mis en cause que pour tromperie sur la marchandise alors que symétriquement il n’est reproché à Eric Le Gouz de Saint Seine qui a vendu une chaise litigieuse de Jacob à Hubert Guerrand-Hermès, qu’une infraction fiscale. L’expert, très discret tout au long des 5 jours de l’audience, a en effet oublié de déclarer le compte en Suisse sur lequel il avait déposé en 2009 la commission perçue sur la vente de la chaise. Son avocate a demandé la relaxe pour un problème de date non couverte par la prévention et subsidiairement plaidé une « omission » et pas « un système organisé de blanchiment ».

L’après-midi a été consacrée aux deux principaux prévenus à qui il est reproché à la fois un délit de tromperie et un délit fiscal. Bill Pallot, le personnage central de l’affaire, ayant reconnu les faits, a tenté via ses deux avocats de déminer pied à pied les arguments du procureur qui a requis de la prison et des amendes, et des parties civiles qui veulent être remboursées. Après avoir fait un portrait en demi-teinte du « magicien », son avocate a plaidé l’inutilité de l’interdiction d’exécuter son métier au motif que personne n’irait maintenant lui demander d’expertiser un meuble. Un argument qui a fait sourire dans la salle car précisément, qui mieux que Bill Pallot a la capacité de dire si un meuble est faux ou pas ? Elle a aussi voulu diminuer la responsabilité du faussaire en mettant en cause Versailles et Sotheby’s – « des professionnels » qui auraient dû se rendre compte que les meubles étaient faux comme l’a rappelé l’expertise judiciaire. Une affaire qui aurait dû être jugée au civil et pas au pénal, a-t-elle ajouté.

Maître Pierre Armando a beaucoup fait sourire le tribunal et la salle avec sa verve et son allure virevoltante. Une gageure compte tenu de l’aridité de son sujet : l’argent. L’argent c’est d’abord ce que le fisc réclame à Bill Pallot pour avoir minoré ses revenus, sous déclaré la TVA et placé le produit des ventes dans un compte en Suisse. Son conseil a plaidé la prescription pour les revenus de 2011 et l’omission pour les revenus de 2013. Il a tenté de sauver l’appartement de Bill Pallot (« acheté avant la fraude »), aujourd’hui saisi par l’administration fiscale et, faute de meilleur argument, demandé l’indulgence pour le blanchiment via le compte en Suisse.

Le solde à payer est plus important avec les parties civiles. S’il entend bien rembourser à Versailles les 200 000 € obtenus sur la vente en 2011 de la bergère via le commissaire-priseur Thierry de Maigret, il est moins allant s’agissant de la chaise Jacob vendue en 2011 380 000 € à Versailles en gré à gré via Sotheby’s au motif que Sotheby’s et le Château de Versailles ont signé un protocole d’accord. Tout l’enjeu pour Bill Pallot est de garder son appartement, pouvoir continuer à exercer son métier de courtier et de limiter les remboursements.

L’enjeu est un peu différent pour Bruno Desnoues qui s’est retiré dans une petite maison en Normandie (il a 71 ans) avec une pension de 2 147 € par mois. Il doit surtout payer sa dette fiscale et son avocate a astucieusement plaidé pour que sa dette soit payée par ce qu’il restait du compte en Suisse en arguant surtout de la situation personnelle de l’ébéniste.

Le jugement sera rendu le 11 juin 2025.
 

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