On connaîtra le 11 juin prochain le jugement du tribunal de Pontoise dans l’affaire des faux meubles vendus notamment au Château de Versailles.

Pontoise (Val-d’Oise). Neuf ans après la révélation de l’affaire des faux meubles vendus au château de Versailles, le procès des protagonistes s’est déroulé au tribunal judiciaire de Pontoise du 25 mars au 2 avril (avec une pause le 28 mars). Cinq jours d’audience, soigneusement préparés par la présidente Angélique Heidsieck qui s’est rarement départie de son petit sourire en coin. Il est vrai que les infractions de tromperie sur des meubles XVIIIe siècle et de fraude fiscale n’avaient pas le caractère sordide de la plupart des affaires en correctionnelle. Il est vrai aussi que les deux faussaires, l’expert Bill Pallot et le sculpteur ornemaniste sur bois Bruno Desnoues, avaient reconnu leur culpabilité depuis leur garde à vue. Il flottait d’ailleurs un étrange sentiment d’entre-soi dans la salle d’audience, renforcé par la – curieuse – absence de témoins appelés à comparaître.
Nombreuses dans ce procès, les parties civiles ne se sont pourtant pas toutes rendues à l’audience. Le Syndicat national des antiquaires n’est finalement pas venu, alors que la Compagnie nationale des experts (CNE) était représentée par Me Alexis Fournol (ancien contributeur du Journal des Arts), très actif. Les acheteurs dupés (Château de Versailles, la famille Guerrand-Hermès) étaient présents et représentés, ainsi que la maison de ventes Sotheby’s.
Du côté des prévenus, ont été appelés à la barre Bill Pallot et Bruno Desnoues, Éric Le Gouz de Saint-Seine, Laurent Kraemer, ainsi que Joaquim Dias da Costa et son épouse, à l’origine de la découverte de l’affaire. C’est en effet à ce chauffeur-livreur des galeries Meyer puis Malingue que Bruno Desnoues a demandé de « blanchir » le produit de la vente des faux meubles. Celui-ci a alors acheté des biens immobiliers en France et au Portugal, mettant la puce à l’oreille à la police qui l’a mis sur écoute et a ainsi découvert le trafic.
Les deux principaux prévenus, Pallot et Desnoues, qui avaient avoué en garde à vue en 2016 être à l’origine des faux meubles, ont réitéré leurs aveux : « Il fabriquait, je vendais ; j’étais la tête, il était les mains », a expliqué Bill Pallot, tandis que Bruno Desnoues a assuré n’avoir jamais su où allaient ces meubles. « Dans notre métier, cela ne se demande pas. Une fois le meuble sorti de mon atelier, je ne m’y intéresse plus. » Cependant, sur les 7 sièges, ils contestent en avoir fabriqué deux : les ployants (n° 4) [tabourets pliants répertoriés, comme les autres sièges, dans le tableau ci-contre], qui sont pourtant passés entre ses mains, et le n° 5. Pour ce dernier, Bill Pallot a expliqué que les fauteuils étaient d’époque et que Bruno Desnoues y a ajouté des sculptures, omettant de le préciser. La présidente et le procureur se sont longuement attachés à rechercher ce qui les avait motivés dans leur entreprise. L’ébéniste a dit avoir accepté car son atelier traversait une période difficile financièrement, et qu’il avait fait ça « pour la beauté du geste ». Quant à l’expert, il a affirmé : « C’était pour rigoler, voir si le marché allait s’en rendre compte, mais comme c’est passé comme une lettre à la poste, on s’est pris au jeu et simultanément, il y a eu l’appât du gain. ».
L’antiquaire ne s’est pas écarté de sa ligne de conduite : il ne savait absolument pas que les chaises 1 et 6 étaient fausses et elles étaient tellement bien fabriquées que même un expert reconnu comme lui a été dupé, malgré toutes les précautions prises. C’est sur ce dernier point que sa défense a été fragilisée. Le tribunal lui a plusieurs fois opposé un rapport d’expertise judiciaire remis en 2019 selon lequel l’inauthenticité des meubles était flagrante. Les débats ont en particulier porté sur le fait que le marchand avait affirmé ne pas être allé comparer les chaises estampillées « Delanois » (n° 1) proposées par le cabinet G. Dillée avec les exemplaires de la même série que possède le château de Versailles, au motif que personne ne le faisait. Les débats ont prouvé le contraire. La crédibilité de la ligne de défense de Laurent Kraemer a également été un peu ébranlée par son mensonge initial sur la provenance des sièges (ils viendraient de la famille Bolloré, ce que les intéressés ont infirmé) et le fait qu’il détenait depuis 1985 deux sièges non garnis de la même série qu’il n’avait jamais pensé vendre. Ses avocats ont plaidé un « deux poids, deux mesures » : pourquoi Guillaume Dillée a-t-il bénéficié d’un non-lieu et pourquoi Sotheby’s se retrouve-elle sur le banc des victimes et non la galerie Kraemer ? En droit pur, ils ont argumenté sur l’absence de textes détaillant les investigations à entreprendre pour s’assurer de l’authenticité d’un meuble.
Si les chroniqueurs de l’affaire se sont surtout intéressés à son volet tromperie, plus romanesque si l’on peut dire, c’est le volet fiscal qui a le plus de conséquences financières. Bill Pallot, Bruno Desnoues et Éric Le Gouz de Saint-Seine n’ont pas déclaré l’argent perçu dans la vente des faux meubles (directement ou sous la forme de commissions) et l’ont dissimulé dans une banque suisse. La première infraction relève de la fraude fiscale, la seconde, du blanchiment. Les montants en jeu sont particulièrement importants pour Bill Pallot, qui a dû vendre sa collection d’art pour payer sa dette fiscale qui s’élève à 1,7 million d’euros – son appartement a été saisi pour couvrir d’autres condamnations. Un appartement acheté bien avant les faits, c’est-à-dire avec de l’argent propre, s’est empressé de préciser son avocat. C’est peut-être aussi en raison des infractions fiscales et des sommes en jeu que l’État a souhaité un renvoi en correctionnel. Compte tenu de la qualification pénale des faux (une tromperie et non une escroquerie), ont souligné certains avocats, le litige entre les marchands et les acheteurs relevait peut-être davantage du civil.
Me Corinne Hershkovitch n’a eu de cesse de rappeler que le château de Versailles a été piégé « par des proches du musée » et est tombé dans un traquenard, et que « le rayonnement de la France […] a été atteint ». Mais tout au long des débats, il est apparu que les conservateurs du château ont été bien légers. Désireux d’apporter leur écot au remeublement du château, ils n’ont pas été suffisamment précautionneux. Ce n’est que très tardivement qu’ils se sont intéressés aux nombreux messages du marchand Charles Hooreman qui leur signalait ses doutes sur plusieurs meubles. Au fait, si cet ancien élève de Bill Pallot avait des doutes, pourquoi eux n’en avaient-ils pas ? Les conservateurs n’ont-ils pas également surpayé ces meubles ? 840 000 euros pour les fausses chaises Du Barry (n° 1) achetées 200 000 euros par la galerie Kraemer ; 420 000 euros pour la chaise prétendument de Jacob (n° 2), alors que Bill Pallot l’avait proposé précédemment à 200 000 euros à Sotheby’s, 380 000 euros pour une paire de ployants (n° 4). Signe de l’importance du sujet, Laurent Salomé, le directeur du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, a assisté à toutes les audiences.
Pour les délits de tromperie, blanchiment et fraude fiscale, le procureur a requis à l’encontre de Bill Pallot trois ans d’emprisonnement, dont deux avec sursis, 300 000 euros d’amende, une interdiction d’exercer en tant qu’expert pendant cinq ans et la confiscation des biens immobiliers actuellement sous saisie conservatoire. Pour Desnoues, il a requis deux ans de prison dont un avec sursis, 100 000 euros d’amende, une interdiction d’exercer pendant cinq ans et la confiscation des 205 000 euros trouvés dans le coffre de son atelier. À l’encontre de Laurent Kramer, le procureur a retenu le délit de tromperie et de blanchiment, et requis – pour les sièges n° 1 et 6 –, douze mois de prison avec sursis, 80 000 euros d’amende, la confiscation des saisies en numéraire ; il a aussi demandé que la société Kraemer & Cie s’acquitte d’une amende de 700 000 euros. Huit mois de sursis et 150 000 euros ont été requis contre Éric de Saint-Seine, tandis que dix mois avec sursis (huit pour sa femme) sont réclamés à l’encontre du chauffeur-livreur Joaquim Dias da Costa, assortis d’une amende conjointe de 50 000 euros et de la confiscation du bien immobilier – son domicile – à Sarcelles. Le procureur a également demandé la saisie des meubles litigieux mis sous séquestre à Versailles.
Aujourd’hui « je vivote », a déclaré Bill Pallot (61 ans) au cours de l’audience. Lui qui avait tout, la reconnaissance, un train de vie confortable, les honneurs (enseignant à la Sorbonne)… a tout perdu, par « jeu ». « Pas un jour je ne m’en mords pas les doigts. » Il continue de se rendre dans les différents événements liés au monde de l’art et exerce le métier de courtier et conseiller en art – tout comme Éric de Saint-Seine. Bruno Desnoues (71 ans) a, lui, pris sa retraite. Il vit dans une petite maison avec une pension de 2 147 euros par mois. Laurent Kraemer (68 ans) continue d’exercer son métier d’antiquaire, dans son bel hôtel particulier de la rue Monceau, dans le 8e arrondissement parisien. Le tribunal a approuvé en 2017 un plan de sauvegarde de la galerie, d’une durée de dix ans. L’expert Guillaume Dillée, qui a bénéficié d’un non-lieu en novembre 2023 par manque de charges contre lui, s’est installé en Australie depuis dix ans et est devenu peintre. Quant à Joël Loinard, le doreur des Ateliers Jacques Goujon, il a également bénéficié d’un non-lieu par le juge d’instruction, rien ne démontrant qu’il connaissait l’inauthenticité des meubles.
Les faux meubles au centre de l'affaire | |||||
N° | DESCRIPTION | DATE | VENDEUR | VICTIME | TRANSACTION |
1 | Paire de chaises garnies du salon de compagnie de Mme du Barry, estampillées « Louis Delanois ». Faux fabriqué par Bruno Desnoues. | 2008 | La Galerie Kraemer | L’État français pour le Château de Versailles | Acheté 200 000 € à G. Dillée et vendu 840 000 €. Versailles remboursé. |
2 | Chaise XVIIIe, estampillé « Georges Jacob », pour le cabinet de la Méridienne de Marie-Antoinette à Versailles. Faux fabriqué par Bruno Desnoues. | 2011 | Sotheby’s (gré à gré) | Le Château de Versailles | Vendu 380 000 € + 40 000 € (frais) par Bill Pallot via Sotheby’s. Versailles remboursé par Sotheby’s mais pas Sotheby’s. |
3 | Bergère livrée pour Mme Élisabeth de Montreuil, estampillée « Jean-Baptiste Sené ». Faux fabriqué par Bruno Desnoues. | 2011 | Thierry de Maigret | Le Château de Versailles (préemption) | 200 000 € + frais. Vente annulée par la justice en mars 2025. Versailles pas encore remboursé. |
4 | Une paire de ployants en bois doré estampillés « François Foliot ». Réputés livrés à Louise-Élisabeth de Parme, fille de Louis XV. Faux « restauré » par Bruno Desnoues. | 2012 | La Galerie Didier Aaron | Château de Versailles | 380 000 €. Versailles remboursé. |
5 | Une paire de fauteuils en bois doré et sculpté, estampillée « G. Jacob », livrée par Chatard pour Marie-Antoinette. Meuble d’époque « enjolivé » par Bruno Desnoues. | Pas de transaction | - | Proposé à Sotheby’s qui a refusé. | - |
6 | Une paire de chaises pour le pavillon du Belvédère, estampillée « François II Foliot » marqué au fer du garde-meuble de Marie-Antoinette. Faux fabriqué par Bruno Desnoues. | 2015 | La Galerie Kraemer | Le prince Al-Thani, frère de l’émir du Qatar | 2 M€. Vente annulée, Al-Thani remboursé par la galerie. |
7 | Chaise XVIIIe estampillée « Georges Jacob » pour le cabinet de la Méridienne de Marie Antoinette. Faux fabriqué par Bruno Desnoues. | 2008 | Éric de Saint-Seine | Famille Guerrand-Hermès | 530 000 €. Victime remboursée. |
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Ce qu’il faut retenir du procès des faux meubles
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°653 du 11 avril 2025, avec le titre suivant : Ce qu’il faut retenir du procès des faux meubles