Derrière les mythes, c’est la peinture de la figure humaine, des tourments de l’artiste et de la sexualité qui résonne chez les visiteurs de la rétrospective à New Delhi.
New Delhi. Tous les acteurs qui se sont mobilisés pour que la rétrospective de Gérard Garouste à la National Gallery of Modern Art à New Delhi puisse advenir se plaisent à souligner combien sa peinture peut intéresser les Indiens. Ils mettent ainsi en évidence la résonance que peut avoir l’exploration des mythes et légendes du Français dans un pays si imprégné de traditions et de spiritualité.
En un sens, ils ont raison. Ce qui est donné à voir dans cette rétrospective d’une cinquantaine d’œuvres, c’est de la peinture, qui plus est figurative. Car même si une installation de Subodh Gupta trône à l’entrée du musée, dans ce pays qui aime les images, la peinture reste le medium de prédilection. Garouste est « un peintre classique », dit le ministre de la Culture indien. Pas sûr que la formule plaise à l’intéressé ; en tout cas, elle est fondée. Il y a du Pierre Paul Rubens, du Charles Le Brun dans sa peinture où la couleur est aussi importante que le sujet. Chez Garouste, la couleur fait la forme et elle crée la dramaturgie avec ses accents expressionnistes. Les effets de clair-obscur, la touche visible participent également de cet expressionnisme.
Si la prédominance de la production des vingt dernières années dans l’exposition ne permet pas de mesurer le chemin parcouru depuis les débuts de l’artiste il y a 50 ans, elle montre la cohérence de son œuvre de maturité. Le visiteur indien se retrouve ainsi conforté par une production homogène et donc très identifiable qui associe une simplification formelle dans la construction à une attention particulière portée aux expressions des visages. Au passage, soulignons que la scénographie facilite l’appréhension de l’œuvre. Dans ce vaste hall tout blanc où les salles sont très ouvertes les unes aux autres, les grandes toiles du peintre s’imposent naturellement.
Pour autant, les visiteurs habitués aux Ganesh et autres Shiva colorés que l’on trouve partout en Inde vont-ils comprendre l’interprétation de Don Quichotte, de Dante ou de la Torah qu’en fait Garouste ? Rien n’est moins sûr. C’est déjà assez abscons pour un Français !
En revanche, nul besoin de lire les cartels, le catalogue, ou le récit de sa vie que Garouste a livré dans L’intranquille, pour mesurer la part autobiographique de l’œuvre. L’atmosphère étrange et inquiétante, les anatomies déformées, les visages grinçants se passent de commentaire pour dire les tourments du peintre, ses souvenirs d’enfance, sa maladie mentale, ses délires passés, sa crainte des rechutes.
La sexualité qui s’exprime explicitement dans de nombreux tableaux et que le peintre tente de dissimuler derrière un discours un peu farfelu teinté de spiritualité interpelle directement les Indiens. Eux qui baignent depuis 1 000 ans dans l’imagerie largement diffusée des sculptures érotiques des temples de Khajuraho. On peut convoquer Faust et la peinture maniériste pour expliquer La guitare brisée (voir ill.), mais, en premier ressort, on voit d’abord Garouste fasciné par une femme nue. Et quand ce n’est pas Garouste face au désir, le peintre se met en scène dans une bonne dizaine de situations, soit autant d’introspections très littérales, même pour un brahmane ou un intouchable.
Les coulisses de l’exposition
montage. Une exposition Gérard Garouste en Inde ? Cela peut paraître surprenant dans la mesure où la France et l’Inde n’ont pas de relations culturelles particulièrement étroites et que l’Inde n’est pas – encore – un lieu de référence pour l’art contemporain. Rien ne se serait passé s’il n’y avait pas eu l’opiniâtreté de Daniel Templon, le galeriste de Garouste depuis 30 ans. « Tout est parti de deux personnes, dont mon confrère Peter Nagy, qui m’ont un jour dit qu’il fallait absolument montrer Garouste en Inde », raconte-t-il. Convainquant, il obtient le soutien de l’ambassade de France en Inde, de l’Institut français et du ministre de la Culture. Il est vrai que le nom du commissaire de l’exposition : l’ancien ministre Jean-Jacques Aillagon est un précieux sésame. Restait à trouver le financement, « car on a très vite compris qu’il n’y aurait pas ou peu d’argent de la partie indienne ». Tout aussi persuasif, jouant de son entregent, il obtient une subvention de 30 000 euros de l’Institut français et parvient même à quadrupler la mise avec une aide exceptionnelle de 90 000 euros du ministère de la Culture. Trois mécènes apportent 100 000 euros, tandis que lui-même finance le solde, mais refuse de dire combien. Une opération sans doute coûteuse, mais qui participe de la promotion de son artiste qui trouvera son point d’orgue avec une rétrospective en 2022, soit 34 ans après sa première exposition au Musée national d’art moderne. Ainsi que l’écrivait Bernard Blistène, l’actuel directeur du Musée national d’art moderne, dans un texte qui accompagnait une exposition Garouste chez Templon, en 2011 : « Les années passent et son œuvre revient, alors que celles de nombre de ses contemporains ont été oubliées. »
Jean-Christophe Castelain
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°540 du 28 février 2020, avec le titre suivant : Garouste plaît aux Indiens mais pas pour ce que l’on croit