Longtemps archéologue de métier, toujours militant communiste, le vice-président de la commission culture au Sénat est un partisan de la loi en tant que rempart pour la vitalité de la culture.
Par provocation, il se définit comme « un dandy communiste » car son ambition est de « construire sa vie comme une œuvre en apportant sa pierre à l’édifice ». Avec son nœud papillon car il trouve « la normalisation insupportable » et son air faussement sérieux, le sénateur des Hauts-de-Seine Pierre Ouzoulias (56 ans), archéologue de profession, est le contraire d’un dilettante. L’engagement a constitué l’essence de son existence.
Pour cet homme pugnace, vice-président de la commission culture au Sénat, il n’est pas question de laisser le hasard interférer dans sa vie. « Il faut travailler sur tous les aspects de sa personnalité et utiliser une langue châtiée surtout quand on s’adresse à des ouvriers », insiste-t-il. Ce n’est pas un hasard s’il décide de recevoir Le Journal des Arts au salon Victor Hugo du Sénat car il compte bien parler de… Notre-Dame. Il s’insurge lorsqu’il parle de la cathédrale, s’agissant de la décision unilatérale d’Emmanuel Macron de la reconstruire à l’identique. « Ce n’est pas au président de la République de prendre cette décision ; le code du patrimoine est précis, c’est au préfet, c’est-à-dire par délégation à la Drac ou au ministre de la Culture qui a un droit d’évocation du dossier », martèle-t-il.
Pierre Ouzoulias, c’est Indiana Jones mâtiné de légalisme. « Ce n’est pas rendre service à la culture que d’ignorer la loi, elle doit absolument être gérée par des normes règlementaires qui s’appliquent car la loi protège », assène cet éternel militant proche de Pierre-Joseph Proudhon et Jean Jaurès, héritier d’un communisme à la française ancré dans les territoires. « Je suis un communiste très pratiquant », lance-t-il mi-provocateur, mi-fier de son appartenance à une lignée d’élus communistes depuis l’arrière-grand-père conseiller départemental de l’Aube jusqu’au père, adjoint à la mairie de Champigny-sur-Marne, en passant par le grand-père conseiller municipal du XVIe arrondissement de 1943 à 1973. Un militantisme qui ne bride pas la parole des autres comme le souligne Catherine Morin-Dessaily, présidente de la commission culturelle au Sénat : « Il incarne un monde de politesse et d’éducation où il fait moins valoir son appartenance politique que ses compétences en privilégiant toujours le débat consensuel. »
Archéologue, il décide de le devenir à 4 ans au sortir de la grotte de Rouffignac. Sa pugnacité fera le reste car, vingt ans plus tard, il rejoint la communauté des gens de fouilles. « Sur les chantiers archéologiques, on commence par un travail de terrassier ; en politique c’est pareil. J’ai été candidat à Bourg-la-Reine où pendant 25 ans, j’ai récolté 6 % des voix, mais il faut défendre ses convictions jusqu’au bout », assume-t-il. C’est ce qu’il fera aussi en tant qu’archéologue. Son ami et confrère Stéphane Verger, directeur d’études à l’École pratique des hautes études, considère qu’il figure « parmi ceux qui connaissent le mieux les institutions de l’archéologie car il les a exercées à la fois sous la houlette de la recherche, de l’aménagement du territoire et du législatif ». Tous les deux se rencontrent dans les années 1980, une époque où la législation dans ce domaine est encore balbutiante. « Une seule loi régissait alors l’archéologie, une loi pétainiste de 1941 sur le régime d’autorisation de fouilles, explique le sénateur Ouzoulias. Notre génération de chercheurs a milité pour mettre en place l’archéologie préventive qui n’existait pas en France. » En tant que spécialiste de la Gaule, il est affirmatif : « La loi sur l’archéologie préventive intégrée au code du patrimoine a changé complètement la vision que nous avions jusqu’alors des Gaulois, remarque-t-il. Nous les avons sortis du monde d’“Asterix” en redonnant à ce peuple, sa véritable dimension culturelle. »
Avec passion, il restera conservateur du patrimoine au ministère de la Culture de 1989 à 2007. Un travail difficile en raison des pressions multiples des politiques. Pierre Ouzoulias se souvient d’une réunion sur le dossier d’extension de Disneyland Paris qu’il fait mettre en suspens car l’archéologie est oubliée. Le préfet le convoque dans son bureau et l’archéologue lui explique que n’ayant pas vu les permis de construire, il ne peut pas se prononcer sur le dossier. Le préfet lui remet l’équivalent d’un mètre cube de dossiers. « C’est grâce à ce militantisme que toute une génération a mis un cadre à l’archéologie préventive qui n’est aujourd’hui plus discutée », explique-t-il. Son métier de chercheur le passionne toujours et il vient de contribuer à un ouvrage collectif sur les économies antiques (1).
« Pierre est très cohérent dans sa démarche car il a l’intelligence de penser de la même manière des questions structurellement scientifiques et des questions politiques et ça, c’est une des caractéristiques du marxisme », souligne en souriant son ami Stéphane Verger. Il quitte en 2007 la direction du patrimoine pour retourner sur le terrain en tant que chargé de mission à l’Institut national de recherches archéologiques préventives, puis rejoint le CNRS en 2009, pour se consacrer à la recherche. Une parenthèse enchantée car « les plus belles explorations se font dans les livres », explique-t-il. Mais la politique le rattrape dix ans plus tard, lorsque sa famille politique lui demande de se présenter aux sénatoriales. « Si je ne me suis pas dérobé, ma décision a été facilitée par le souvenir de la stature du sénateur communiste de Seine-Saint-Denis, Jack Ralite, qui m’avait beaucoup impressionné quand je suis venu débattre au Sénat avec la CGT de la culture, se remémore-t-il. Il a vraiment apporté sa griffe à la commission culture d’où mon envie de suivre ses pas et de travailler en relation directe avec les artistes et mes collègues du ministère de la Culture. »
Ses prochains combats au sein de la commission culture seront consacrés à la défense du caractère républicain, social et universel de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur en réintroduisant l’éducation artistique au sein de l’école. « J’ai toujours vécu avec le mythe du 1 % du budget de l’État consacré à la culture qui n’a été atteint qu’au moment du tandem Mitterrand-Lang, lance-t-il un peu désabusé. Je regrette beaucoup que l’ambition culturelle affichée aujourd’hui soit le Pass culture qui en promeut une vision consumériste et la négation de ce que Malraux avait construit avec les maisons de la culture. » Pour ce militant multiculturel, augmenter les budgets de la culture est ainsi une nécessité et, pour ce travail, il fonde des espoirs sur la nouvelle ministre de la Culture, Roselyne Bachelot. Il le dit sans détours, il la trouve « époustouflante ».
1. Les changements dans les économies antiques, ouvrage collectif publié chez Ausonius Éditions, septembre 2020, 25 euros.
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Pierre Ouzoulias, entre Indiana Jones et Proudhon
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°550 du 4 septembre 2020, avec le titre suivant : Pierre Ouzoulias entre Indiana Jones et Proudhon