PARIS
La mission menée par Bruno Racine prône un rééquilibrage des rapports entre les artistes-auteurs et les acteurs de l’aval, afin d’obtenir davantage d’acquis sociaux et économiques.
Paris. La mission confiée par le ministre de la Culture à Bruno Racine en avril dernier était semée d’embûches. Comment formuler des propositions concrètes visant à améliorer à la situation de 270 000 artistes-auteurs aussi différents que les écrivains, les peintres, les traducteurs, les scénaristes, les auteurs de BD ? Comment également éviter le piège du catalogue de mesures plus ou moins réalistes qui sont très vite enterrées ?
Dans son rapport rendu public quelques semaines après sa remise au ministre, l’ex-président du Centre Pompidou et de la BNF, aidé de Noël Corbin (Inspection générale des affaires culturelles), Céline Roux (Conseil d’État) et Bertrand Saint-Étienne (Cour des comptes) pense avant tout que les artistes-auteurs doivent mieux s’organiser pour peser dans les négociations à venir.
Le rapport constate, en effet, que la représentation des artistes-auteurs est morcelée entre plusieurs syndicats, associations, comités, peu puissants. Il en résulte un déséquilibre économique avec les « acteurs de l’aval » (éditeurs, diffuseurs, producteurs). Le socle du rapport est ainsi « l’instauration d’un cadre pérenne de concertation et de négociation entre les parties prenantes de la création ». Très concrètement, la mission recommande (Recommandation n° 5) l’organisation d’élections professionnelles dans chaque secteur artistique et la généralisation des instances de médiations sectorielles (R6). Plus encore, il demande la création d’un Conseil national des artistes-auteurs (R7) rassemblant les représentants des artistes-auteurs, des organismes de gestion collective (OGC) et des acteurs de l’aval, qui serait le lieu de négociation de tout sujet intéressant les artistes-auteurs.
Dans le même temps, le rapport suggère la création d’une délégation aux artistes-auteurs au ministère de la Culture (R9), chargée notamment de préparer les réformes concernant les artistes-auteurs et d’assurer le secrétariat du Conseil national à créer.
Ainsi, des artistes-auteurs mieux organisés, dans un cadre de négociations plus structuré, pourraient plus facilement obtenir des avancées. Le rapport en formule plusieurs.
Dans le champ primordial de la protection sociale, le rapport ne remet pas en cause l’existence d’un seuil de revenu pour ouvrir des droits (aujourd’hui environ 9 000 €), mais propose d’introduire des critères de professionnalité (R1), de lisser les revenus sur plusieurs années (R2), d’étendre le champ des activités accessoires et de relever le plafond de ces activités (lire encadré).
Le rapport formule naturellement des propositions pour augmenter les revenus ou le soutien des artistes-auteurs. Il exclut toutes taxes nouvelles (comme il exclut d’appliquer le régime des intermittents du spectacle aux artistes plasticiens), mais voudrait fixer « des taux de référence » (R10) pour les rémunérations proportionnelles dans chaque secteur. Ces taux ont cependant surtout cours dans l’édition. Il appelle aussi à plus de transparence dans la communication sur les chiffres de ventes, et là, on pense aux rapports entre galeries et artistes. Il demande aussi « la généralisation sans délai du droit de représentation à l’ensemble des expositions temporaires dans toutes les institutions publiques » (R16).
La mission s’est manifestement longuement interrogée pour trouver une solution permettant de rémunérer le temps de travail des artistes. Ceux-ci sont, en effet, payés qu’une fois leur œuvre vendue, ce qui peut prendre du temps avant la vente (éventuelle). N’ayant pas trouvé de solution immédiate à ce qu’il appelle un contrat de commande, il renvoie la réflexion (R10) au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique.
Le rapport relève que les aides à la création (qu’il ne peut chiffrer) ne vont pas assez directement aux artistes (notamment les crédits d’action artistique des OGC) et demande, en conséquence, à ce qu’elles soient davantage redéployées vers eux.
Enfin, le rapport formule plusieurs recommandations de bon sens, allant de la mise en place d’un portail d’information (R14), à la formation des étudiants dans le domaine artistique aux aspects juridiques et commerciaux de leur future carrière (R20), en passant par ce que toute la profession appelle de ses vœux, sans oser vraiment le dire à voix haute, de peur d’être taxé de chauvinisme réactionnaire : des expositions consacrées à la scène française (R23).
Quelle est la situation économique des artistes-auteurs ?
Si les auditions menées par la mission ont mis en évidence un sentiment de paupérisation des artistes-auteurs, la mission a été bien en peine « d’objectiver ce sentiment ». Il n’existe, en effet, pas de statistiques permettant d’avoir une vue d’ensemble des revenus des artistes-auteurs. D’un point de vue macro-économique, le secteur se porte bien : les droits perçus par les organismes de gestion collective ont augmenté de 62 % entre 2000 et 2018, et les revenus déclarés par les artistes-auteurs affiliés à l’Agessa et à la Maison des artistes (MDA) ont augmenté de 50 % entre 2001 et 2017. Mais comme le nombre d’artistes-auteurs a augmenté dans les mêmes proportions, le revenu moyen a stagné, voire baissé. Ainsi, celui des peintres et plasticiens affiliés à la MDA est d’environ un Smic. Mais ce chiffre ne concerne que les ex-affiliés (voir encadré, page 11), c’est-à-dire ceux qui perçoivent plus de 9 000 euros par an. Il ne prend pas en compte les ex-assujettis. Par ailleurs, ces revenus ne concernent que les revenus liés à la vente de leurs œuvres. Or de nombreux artistes ont d’autres activités professionnelles (enseignement…) dont on ne connaît pas les revenus. Voilà pourquoi le rapport demande (Recommandation n° 11) la création d’un observatoire « afin de mettre en œuvre un suivi statistique et qualitatif affiné et fiable ».
Jean-Christophe Castelain
L’accès à la protection sociale des artistes-auteurs
Le sujet est très technique, mais il est fondamental. Depuis le 1er janvier 2019, la séparation entre « affiliés » et « assujettis » à l’Agessa ou à la Maison des artistes (MDA), est supprimée. Accessoirement, c’est maintenant l’Urssaf qui gère et encaisse les cotisations.Pour autant, le seuil de revenu (en l’occurrence 900 fois la valeur moyenne du Smic horaire, soit environ 9 000 €) qui détermine l’accès aux remboursements des soins, aux congés maladies, etc., n’est pas supprimé. De même, les artistes-auteurs ont la possibilité de surcotiser (payer eux-mêmes une partie des cotisations sociales), pour, par exemple, atteindre le seuil des 9 000 euros. En revanche, affiliés et maintenant ex-assujettis ont la possibilité d’ajouter dans l’assiette de leur revenu des revenus accessoires non-salariés (rencontres publiques, débats, cours donnés dans l’atelier..) sous certaines conditions.
Jean-Christophe Castelain
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Le rapport Racine appelle à un lobby des artistes-auteurs
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°538 du 31 janvier 2020, avec le titre suivant : Le rapport Racine appelle à un lobby des artistes-auteurs