La cour d’appel de Paris est récemment revenue sur les conditions de rupture d’un contrat de dépôt requalifié en mandat d’intérêt commun entre un galeriste et un artiste.
Paris. Les relations contractuelles entre une galerie et un artiste sont le plus souvent fondées sur la confiance et le long terme. Passionnelles, elles peuvent aussi être tumultueuses et sources de conflits, ce qui in fine peut mener à une rupture définitive, voire fautive et au versement subséquent d’indemnités. C’est ce qu’a rappelé la cour d’appel de Paris dans un arrêt opposant un artiste à une galerie à propos de la rupture d’un contrat de mise en dépôt d’œuvres d’art conclu en 2013.
En l’espèce, en décembre 2017, après cinq ans de collaboration, l’artiste a décidé de mettre un terme à leur partenariat en indiquant à la galerie, par courrier recommandé, d’une part qu’il ne souhaitait plus faire l’exposition personnelle de ses œuvres prévues en janvier 2018 et, d’autre part, qu’il mettait fin à leur relation tout en sollicitant la restitution de ses œuvres. Contrainte via une ordonnance en référé de restituer les œuvres à l’artiste, la galerie l’a assigné en indemnisation de ses préjudices estimant que la rupture à l’initiative de l’artiste avait été brutale et fautive.
En 2020, le tribunal judiciaire de Paris décortiquant le contrat et les éléments exposés par les parties a requalifié le contrat de dépôt en retenant qu’il s’agissait en réalité d’un mandat d’intérêt commun à durée indéterminée. Pour les juges, en effet, les parties ont entendu se lier au-delà du mandat de dépôt simple puisque l’artiste confiait ses œuvres à la galerie, qui devait les conserver, en assurer la promotion et était mandatée pour les vendre sous réserve du versement d’une commission en pratique de 50 %. S’agissant d’un mandat d’intérêt commun, il ne pouvait être résilié sans un préavis raisonnable, à moins, pour l’artiste, de justifier de circonstances rendant impossible le maintien du contrat comme une faute de la galerie ou une cause légitime. Ces circonstances n’ayant pas été suffisamment rapportées, le tribunal a considéré que l’artiste avait commis une faute en résiliant le contrat sans respecter le moindre préavis.
Il a ainsi été condamné à indemniser la galerie de son préjudice financier issu de l’annulation de l’exposition, s’entendant du versement de 14 000 euros au titre des commissions qu’elle aurait perçues pour la vente de deux œuvres réservées, ainsi que de la perte de chance de percevoir des commissions sur la vente des autres œuvres fixée à 30 % de leur prix de vente affiché et à 5 000 euros au titre de son préjudice moral. Parallèlement, la galerie a été condamnée à verser à l’artiste 5 000 euros en indemnisation de son préjudice moral pour non-restitution de ses œuvres.
Contestant la qualification de mandat d’intérêt commun, l’artiste a fait appel de la décision. Selon lui, l’intérêt commun ne repose pas sur le caractère onéreux ni sur le caractère exclusif de leur relation, mais sur le développement d’une nouvelle clientèle commune ; ce qui en l’espèce n’était pas le cas, puisqu’il bénéficiait uniquement de la clientèle de la galerie dont il n’avait d’ailleurs pas connaissance. Or, retenant l’analyse des premiers juges, la cour d’appel a confirmé en janvier dernier, qu’il s’agissait bien d’un mandat d’intérêt commun nécessitant en cas de rupture, le respect d’un préavis raisonnable.
Pour la cour, la commune intention des parties était de se lier via un contrat de dépôt des œuvres en galerie en vue de leur vente. Par ailleurs, cette communauté d’intérêt est déterminée par « la reconnaissance de l’artiste et la valorisation de son œuvre que s’efforce d’obtenir la galerie d’art et qui bénéficient communément aux deux parties ». Plus précisément, elle considère que « l’intérêt commun d’un tel contrat ne résulte pas dans le développement d’une clientèle comme en matière de contrat d’agent commercial, mais dans le rayonnement de l’œuvre de l’artiste à l’essor duquel tant ce dernier que la galerie ont intérêt ».
En revanche, la cour est revenue sur la question des préjudices des parties et notamment sur l’indemnisation du préjudice financier de la galerie devant être versée par l’artiste en observant qu’aucune facture n’avait été éditée par cette dernière pour les deux tableaux réservés. Dès lors, elle a considéré que comme pour les autres tableaux, la non-tenue de l’exposition avait seulement entraîné une perte de chance de les vendre au prix non pas affiché, mais au prix proposé par l’acquéreur, et a fixé cette perte de chance à 80 % compte tenu de leur pré-réservation. Pour les œuvres devant être exposées non réservées, elle a par ailleurs considéré que la perte de chance pouvait être fixée à 30 % du prix affiché, déduction faite de la réduction habituellement appliquée par la galerie de 15 %.
Cette affaire démontre une fois encore l’importance pour les galeristes et leurs artistes de mettre noir sur blanc les conditions de leur relation contractuelle, mais aussi et surtout ce qui peut se passer en cas de rupture pour éviter tout contentieux ultérieur que ce soit au titre du délai de préavis à respecter, des conditions de restitution des œuvres confiées, des relations postérieures avec la clientèle, ou encore de la production et présentation des œuvres de l’artiste sur le site Internet ou les réseaux sociaux des parties.
Les parties en présence
Le litige opposait l’artiste Adrien Belgrand (né en 1982), représenté par Me Alexis Fournol, à la galerie ALB Anouk le Bourdiec, représentée par Me Béatrice Cohen. La galerie ALB a fermé l’espace qu’elle occupait rue Chapon à Paris.
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Une décision de justice intéressante sur le contrat entre une galerie et un artiste
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°628 du 1 mars 2024, avec le titre suivant : Rupture fautive d’un contrat entre un artiste et une galerie