Les héritiers de dessinateurs de Charlie Hebdo peuvent récupérer des dessins confiés il y a 20 ans à un galeriste.
Lorsqu’une galerie fait faillite et que s’ouvre une procédure collective, il arrive que les artistes constatent que certaines de leurs œuvres ont été seulement prêtées ou déposées. Afin de satisfaire aux formalités et délais inhérents à la procédure de revendication des œuvres d’art de la galerie en difficulté, les artistes doivent réagir rapidement. Mais tel n’est pas toujours le cas. Aussi, un arrêt très récent (24 avril 2024) de la cour d’appel de Paris vient au secours des artistes et de leurs ayants droit en estimant que l’action en revendication des œuvres déposées auprès d’un marchand d’art est imprescriptible et ne peut se voir opposer le droit des procédures collectives.
L’intérêt de l’arrêt réside aussi dans le caractère médiatique de l’affaire. En 1995, la galerie du marchand Daniel Delamare avait été placée en liquidation judiciaire. À l’époque, trois dessinateurs – dont Siné et Georges Wolinski – avaient déposé une soixante de dessins sans qu’ils ne soient réclamés lors de la liquidation de la galerie. En 2016, le marchand confie ces dessins à une maison de ventes, probablement poussé par l’intérêt suscité par les décès tragiques lors de l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo. Les héritiers des dessinateurs s’opposent à la vente et le marchand d’art les assigne alors pour obtenir des dommages et intérêts. Bien mal lui en a pris car les héritiers ont revendiqué les dessins.
Agissant vingt ans après la liquidation de la galerie, la prescription pouvait-elle mettre en échec la demande des héritiers ? Par principe, l’action en restitution fondée sur un contrat de dépôt, de prêt ou de mandat constitue une action mobilière et est soumise à une prescription civile de cinq ans. À l’opposé, l’action en revendication, engagée afin de faire établir un droit de propriété sur un bien qui est détenu par un tiers, est imprescriptible. Cette solution est logique car le temps n’a pas d’emprise sur le droit de propriété et celui-ci ne peut s’éteindre par son non-usage comme l’avait affirmé la Cour de cassation à propos de l’action en revendication des manuscrits d’Ambroise Vollard par ses ayants droit en 1993. Le débat était donc de savoir quelle action avait été réellement engagée par ces derniers.
Pour les juges d’appel, un contrat de dépôt avait été seulement invoqué par les héritiers pour soutenir le caractère précaire de la possession des dessins par le marchand. Dès lors, ils avaient exercé une action en revendication des œuvres et non une action en restitution. C’est pourquoi, la demande du marchand fondée sur la prescription acquisitive – qui permet d’acquérir la propriété d’un bien mobilier par le simple fait de l’avoir possédé de manière continue, paisible et publique pendant une période déterminée – ne pouvait qu’échouer puisqu’il était dans l’incapacité de rapporter la preuve qu’il avait acquis ou s’était vu donner les dessins litigieux.
En outre, le marchand avait également tenté d’opposer une prescription liée à l’absence de revendication des dessins dans les formes et délais de trois mois prévus par le droit des procédures collectives. Hélas (pour lui), l’absence de revendication des œuvres n’avait pas eu pour effet de les transférer dans le patrimoine de la galerie liquidée mais seulement de rendre le droit de propriété des dessinateurs inopposable à la procédure collective. Paradoxale était la position du marchand car si, tel avait été le cas, les dessins auraient été vendus lors de la liquidation judiciaire et celui-ci n’aurait pu les proposer à la vente en 2016.
En conséquence, la procédure engagée devant la cour d’appel par le marchand ne pouvait qu’être abusive car, ayant lui-même reçu en dépôt les œuvres des mains des dessinateurs, il savait pertinemment que sa détention était précaire et qu’il les possédait de mauvaise foi. C’est pourquoi les juges l’ont condamné à restituer les dessins et à payer plus de 40 000 euros aux héritiers.
Une affaire qui rappelle la nécessité pour les artistes d’avoir une gestion dynamique des œuvres prêtées ou déposées afin d’agir dans les délais contraints de la procédure collective et d’éviter, par la suite, de lourdes procédures contentieuses. Des maîtres de l’humour aux maîtres du temps, de l’action en revendication à l’action en restitution, le mot est parfois faible mais il fait toute la différence.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
La revendication d’œuvres auprès d’une galerie est imprescriptible
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°635 du 7 juin 2024, avec le titre suivant : La revendication d’œuvres auprès d’une galerie est imprescriptible