PARIS - La cour d’appel de Paris s’est prononcée le 28 octobre 2011 dans une affaire, opposant les héritiers du peintre Simon Hantaï à un couple d’antiquaires et une maison de ventes.
En l’espèce, une œuvre de l’artiste, non signée par ce dernier, est présentée aux enchères en 2007, par la société Tajan. La toile n’ayant trouvé preneur, ses propriétaires et leur mandataire décident de la repasser en vente, en 2008. Mais lorsque les héritiers de l’auteur en sont informés, ils font procéder à une saisie-contrefaçon, avant d’assigner les vendeurs et l’opérateur de ventes volontaires en restitution de la toile litigieuse et en paiement de dommages-intérêts, afin que soit réparé le préjudice résultant de l’atteinte au droit moral de leur père. C’est, plus précisément, au titre de l’atteinte au droit de divulgation que l’action des demandeurs est accueillie par le tribunal de grande instance de Paris, le 27 mai 2010, lequel condamne in solidum les consorts Richard-Carillo et la société Tajan à verser aux enfants Hantaï la somme de 9 000 euros. Le tribunal ordonne également la confiscation de la toile et sa remise aux ayants droit de l’auteur. Ce que confirmera le jugement d’appel. « En pratique, le droit de divulgation fait l’objet de peu de procédures », commente après l’affaire l’avocat des héritiers Hantaï, Maître Olivier de Baecque (également conseiller d’Artclair). « Or l’arrêt de la cour offre sur le sujet une analyse à la fois synthétique, précise et nuancée. » Depuis 1957, la loi dispose que « l’auteur a seul le droit de divulguer son œuvre », au moment où il le juge opportun, selon le procédé et dans les conditions qu’il juge préférables (Code de la propriété intellectuelle, art. L 121-2, al. 1er). Il n’appartient qu’à l’auteur de décider de la communication de son œuvre au public et de sa mise sur le marché. Dans une affaire Bonnard de 1959, la cour d’appel d’Orléans précise : « La divulgation d’une œuvre de l’esprit ne peut résulter que d’un acte de volonté non équivoque de la part de son auteur ». C’est ce que la cour d’appel de Paris rappelle dans sa décision du 28 octobre 2011, en proposant une application classique du droit fondée sur une appréciation circonstanciée des faits.
Une œuvre non-divulguée est inaliénable
Les possesseurs de la toile et la société de vente se prévalaient du fait que l’œuvre litigieuse avait été l’objet d’une première présentation aux enchères publiques en 2007, soit du vivant de son auteur et sans contestation de celui-ci. Mais la cour d’appel juge ces éléments insuffisants, en ce qu’ils ne permettent pas d’établir l’exercice par l’auteur de son droit de divulgation. Elle relève alors que l’œuvre, qui n’est « ni datée ni signée [ce que la jurisprudence analyse déjà comme une forte présomption en faveur de la non-divulgation] est un travail d’atelier qui, selon l’artiste, n’avait pas à circuler sur le marché ». C’est, en effet, ce qu’il ressort d’un échange de courriels entre la galerie Jean Fournier, spécialiste de l’artiste, et la société Tajan. Lorsqu’un peintre refuse de déclarer son travail abouti, c’est qu’il considère que sa toile n’existe pas encore en tant qu’œuvre finie. Celle-ci ne peut, par conséquent, constituer un bien appropriable et aliénable. Dans le cas de l’œuvre d’Hantaï, « la toile sortie de l’atelier de l’artiste sans signature, sans date et sans châssis se trouvait être hors marché », souligne Maître Olivier de Baecque. « Et, c’est la raison pour laquelle les juges ordonnent sa restitution aux héritiers, comme sanction principale de la violation du droit moral de l’auteur. »
Le tribunal relève qu’« aucun élément ne permet de déterminer dans quelles circonstances le support matériel de cette œuvre […] a pu être remis à un tiers et circuler ». L’avocat des héritiers Hantaï, quant à lui, précise qu’« il existe, en l’espèce, un processus pour vérifier le statut des œuvres de Simon Hantaï : en consultant la galerie Jean Fournier et les ayants droits du peintre ». Statuant sur les responsabilités justement, la cour indique que « la société de ventes volontaires Tajan qui a vocation à garantir un haut niveau de sûreté de ces ventes, gage de confiance des acheteurs tout comme des vendeurs, était tenue […] d’agir avec prudence et rigueur en présence d’une situation qui, comme en l’espèce, ne pouvait manquer de susciter le doute, ce dont elle s’est abstenue ». Elle poursuit, en ajoutant que les consorts Richard-Carillo, tous deux antiquaires de profession, ne pouvaient ignorer que l’artiste émettait des réserves sur la divulgation de ses œuvres non signées. Puisqu’une lettre reçue par Monsieur Richard en 2006 explicitait la position de l’artiste sur la valeur de ces toiles. Selon une formulation retenue dans l’affaire Bonnard, le droit de divulgation est « un attribut essentiel du droit moral ». Perpétuel, inaliénable, et imprescriptible, il reste attaché à l’auteur même en cas de cession de ses droits patrimoniaux. Il est ainsi caractéristique de la logique personnaliste qui prédomine en droit français de la propriété intellectuelle, au détriment d’une conception utilitariste à l’œuvre, entre autres, dans les systèmes juridiques anglo-saxons.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°364 du 2 mars 2012, avec le titre suivant : Pas de commercialisation sans divulgation