Pas à pas, le Louvre, à l’instar d’autres grands musées occidentaux, tente de faire sa mue en répondant aux débats sur le décolonialisme comme aux appels à décentrer son regard sur ses collections.
Il prépare pour l’automne 2025 une nouvelle configuration du Pavillon des Sessions, là où sont présentées des pièces phares d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques. Ce Pavillon, dénommé ainsi parce qu’il accueillait des sessions parlementaires sous le Second Empire, est controversé depuis trente ans. Le changement annoncé est donc tout sauf anodin et sa réalisation sera révélatrice de la réponse de l’institution à de tels enjeux.
En 1990, le marchand et collectionneur Jacques Kerchache publiait un manifeste intitulé Les chefs-d’œuvre naissent libres et égaux pour soutenir la création d’un département des arts premiers au Louvre. Il rencontre une oreille favorable chez Jacques Chirac. Six ans plus tard, celui-ci devenu président de la République annonce la création d’un nouveau musée et l’implantation au Louvre de 120 chefs-d’œuvre d’arts premiers. La décision présidentielle heurte la direction du musée. Pourquoi priver le Louvre de 1 400 m2 pour exposer des objets dignes d’études ethnographiques mais dépourvus du statut d’œuvre d’art ? À l’époque, la discussion se posait en ces termes. Et depuis son ouverture, en avril 2000, ce Pavillon fait toujours figure d’îlot isolé et incongru dans le Palais. Ses salles, au rez-de-chaussée de l’aile Denon, ne sont pas réellement intégrées dans le parcours général. Son entrée dédiée invite surtout des visiteurs motivés par cette antenne du quai Branly. Sa fréquentation est faible. Le réaménagement envisagé vise à corriger cet isolement et surtout à mettre en valeur des rapprochements entre masques, sculptures, statues de ces autres continents avec des pièces des collections du Louvre. À côté de quelle œuvre du Louvre exposer par exemple la tête monumentale de l’île de Pâques, la sculpture du Vanuatu dite l’homme bleu ? L’exercice sera stimulant pour le visiteur, l’inciter à ralentir son regard, à réfléchir, mais périlleux. Il ne pourra s’agir d’une seule juxtaposition d’œuvres éloignées géographiquement et chronologiquement pour satisfaire un discours ambiant. Chaque apparentement devra être justifié, explicité, si un universel est décelé.
Pour nous éclairer sur ce chantier, Souleymane Bachir Diagne est le nouvel invité de la Chaire du Louvre. « Louvre : quels universels ? », questionnera le philosophe sénégalais et professeur à l’université Columbia (New York) durant cinq conférences (25 novembre-9 décembre 2024). En dépit des replis identitaires, de la montée des intégrismes, il ne renonce pas à défendre l’universel, un universel latéral, non impérial ou de surplomb. C’est le sujet aussi de son dernier essai Universaliser. L’humanité par les moyens d’humanité (Albin Michel). Pour lui, un « tremblement de terre épistémologique » s’est produit en avril 1955, à Bandung (Indonésie). Pour la première fois, des représentants de 23 pays asiatiques et de six pays africains se réunissaient entre eux, en l’absence de l’Europe. Celle-ci n’était plus le centre du monde, ne pouvait plus imposer « son » universel. Il faut donc le réinventer. Souleymane Bachir Diagne nous invite aussi à porter un autre regard sur des œuvres, devenues malgré elles « nomades ». Au Louvre, elles sont dans un autre environnement, parlent un nouveau langage depuis qu’Apollinaire, Picasso et d’autres les ont regardées. La propriété, la restitution sont un autre sujet, juridique. L’intitulé de ses conférences reflète le cheminement de sa pensée et son humour : « La renaissance des fétiches en œuvre d’art », « Quand les statues et les masques parlaient la langue des dieux », « La Joconde sourit aux masques sans fossette »… « Faire dialoguer les cultures » conclura la série, bien sûr.
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Le Louvre veut sourire aux masques
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°642 du 1 novembre 2024, avec le titre suivant : Le Louvre veut sourire aux masques