Galerie - Droit

Justice

La justice prend position sur le droit d’exposition en galerie

Par Pierre Noual, avocat à la cour · Le Journal des Arts

Le 8 novembre 2024 - 990 mots

Le tribunal judiciaire de Paris estime que la galerie qui acquiert une œuvre d’art et qu’elle expose par la suite sans accord préalable de l’artiste ne porte pas atteinte au droit d’exposition.

Allégorie de la Justice. © WilliamCho, Pixabay License https://pixabay.com/fr/photos/justice-statue-dame-justice-2060093/
Allégorie de la Justice.

À la différence des auteurs littéraires ou musicaux qui se sont vu reconnaître, dès l’apparition des droits d’auteur, un droit de représentation leur permettant de contrôler les différentes hypothèses de communication directe de leurs œuvres au public, les artistes n’ont longtemps eu aucune prérogative similaire pour l’exposition publique de leurs œuvres. Aussi, un jugement du tribunal judiciaire de Paris du 28 juin 2024 mérite l’attention en ce qu’il prend position pour un rejet du droit d’exposition à l’occasion de la présentation publique d’œuvres d’art à des fins de revente.

Les faits sont simples. La Galerie Objet Trouvé (Galerie Christian Berst) représentait jusqu’en 2010, et en l’absence de tout contrat, un duo de plasticiens connus sous le pseudonyme de Hipkiss. Par la suite, la galerie leur a acheté une œuvre (n° 723 Ex-Chier Feck) qu’elle a présentée dans le cadre de son exposition « In the flesh : corps véritable » à l’été 2020 afin de la revendre. Le duo a alors reproché à la galerie d’avoir exposé cette œuvre sans son autorisation préalable et l’a assignée pour contrefaçon.

Parmi les droits d’auteur, les droits d’exploitation englobent le droit de représentation et de reproduction. Aussi le droit d’exposition s’est déduit de l’article L. 122-2 du Code de la propriété intellectuelle qui prévoit que« la représentation consiste dans la communication de l’œuvre au public par un procédé quelconque, et notamment par […] [la] présentation publique », avant d’être consacré par la Cour de cassation le 6 novembre 2002 au motif que « l’exposition au public d’une œuvre […] constitue une communication au sens de l’article [L. 122-2 dudit code] et requiert, en conséquence, l’accord préalable de son auteur ». Par principe tout artiste peut donc faire respecter son droit d’exposition sur les premier et second marchés.

Cependant cette vision ne fait pas l’unanimité. Une partie de la doctrine estime que les expositions à des fins de revente par des galeries d’art ou des maisons de vente aux enchères doivent être soustraites aux règles du droit d’auteur. Cette exclusion se justifierait par le transfert de propriété du support de l’œuvre – qui est indépendant du support immatériel (droit d’auteur) – dont l’exposition commerciale relèverait du droit de la distribution et dont découle la notion d’« épuisement du droit » qui permet de faire prévaloir le principe de libre circulation des biens sur la défense de la propriété intellectuelle. Autrement dit, la revente d’une œuvre ne pourrait être soumise au contrôle de l’auteur si celui-ci a déjà vendu l’œuvre avec son consentement sur le territoire européen (article L. 122-3-1 du Code précité). Cette déliquescence du droit d’auteur s’expliquerait pour le professeur de droit Pierre-Yves Gautier par le fait que « lorsque l’œuvre est destinée à la vente […], l’auteur, participant par définition aux fruits de l’exploitation, ne saurait réclamer un droit d’autoriser au titre de l’exposition ».

Cette solution controversée a été retenue par le tribunal judiciaire de Paris. Pour ce dernier « la Galerie Objet Trouvé n’avait nul besoin du mandat ou de l’autorisation de l’auteur, pour vendre cette œuvre qu’elle lui avait auparavant achetée » puisque « la vente d’une œuvre telle qu’un tableau à une galerie d’art par son auteur a nécessairement pour objet son exposition en vue de sa revente éventuelle » et « sa communication au public constitue donc un accessoire nécessaire de sa revente ». Les artistes sont donc déboutés dans la mesure où ils ne pouvaient valablement soutenir qu’en procédant à l’exposition de leur œuvre, la galerie aurait commis des actes de contrefaçon, qu’importe l’existence ou non d’un mandat de représentation.

En consacrant l’idée que l’exposition commerciale mettrait à l’index le droit d’exposition, le jugement demeure sujet à la critique. Les artistes ont d’ailleurs fait appel, car pour leur conseil, Maître Ismay Marçais, « on ne peut pas traiter une œuvre d’art comme une simple marchandise ». En effet, la croyance qui voudrait voir dans la représentation publique une forme particulière de représentation est erronée, car le droit d’exposition ne relèverait ni du droit de représentation ni du droit de reproduction. En distinguant les expositions selon qu’elles soient non commerciales (forme de représentation-contemplation) ou commerciales (forme de distribution-vente), la position des juges serait fragilisée. Un tel changement de qualification sur un même acte – celui d’exposer – est difficilement concevable en droit, d’autant qu’une exposition commerciale n’est jamais que commerciale : elle attire aussi de simples visiteurs. Surtout, les arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne souvent évoqués au soutien de cette dichotomie ne semblent pas formellement indiquer que l’exposition-vente relèverait à titre exclusif du droit de distribution.

Au-delà, l’enjeu est financier. Les professionnels du second marché qui sont déjà soumis en aval au droit de reproduction dans les catalogues (à l’exception des ventes judiciaires selon l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle) et en amont au droit de suite, doivent-ils être en plus soumis à un droit d’exposition ? L’argument anti-propriété intellectuelle peut s’entendre mais il n’est pas tenable : le droit de suite n’a pas vocation à exclure le droit de représentation, de reproduction ou d’exposition et réciproquement.

En dépit de ce jugement, les éléments convergent pour une reconnaissance du droit d’exposition à l’égard des professionnels du second marché sans l’accord préalable des artistes. Réticents à ce droit, les professionnels pourraient toujours tenter d’invoquer l’abus de droit ou la bonne foi contractuelle. Maître Marie-Hélène Vignes, conseil de la galerie, escompte pour sa part « une confirmation du jugement en cause d’appel ».

Dans l’attente d’une clarification, la prudence est de mise et il paraît utile pour les galeristes et artistes de réviser leurs mandats de représentation et contrats d’achats afin d’encadrer, à titre gratuit ou onéreux, la présentation publique des œuvres acquises et celles mises en dépôt-vente. Seule la découverte d’une exception par le législateur pourrait mettre définitivement les marchands à l’abri des revendications ultérieures des artistes.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°642 du 1 novembre 2024, avec le titre suivant : La justice prend position sur le droit d’exposition en galerie

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