Politique

PROPOSITION DE LOI

Une proposition de loi pour créer une allocation chômage pour les artistes auteurs

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 7 février 2025 - 837 mots

Les textes sont portés par des députés et sénateurs de gauche.

Affiche en dossard lors de la manifestation NoCulture? pour la défense des droits des artistes à Bruxelles, Belgique, le 13 décembre 2013. © M0tty, CC BY-SA 3.0
Affiche en dossard lors de la manifestation NoCulture? pour la défense des droits des artistes à Bruxelles, Belgique, le 13 décembre 2013.
Photo M0tty

France. « Parmi vous, un seul survivra » : cette sentence adressée à 80 étudiants de première année de l’École nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA) Lyon – rapportée par le collectif « Les mots de trop ») – pourrait résumer les difficultés rencontrées par les artistes pour vivre de leur travail. Ce constat d’un milieu précaire et concurrentiel ne permettant qu’à une petite minorité de vivre réellement de sa production artistique est à l’origine d’un travail législatif visant à assurer une continuité de revenus pour les artistes auteurs. Pour les organisations professionnelles, le rapport Racine de janvier 2020, qui défend la création d’un véritable statut d’artiste auteur, et la crise sanitaire ont enclenché une prise de conscience autour de cette question de la rémunération.

Elle aboutit aujourd’hui à deux propositions de loi (identiques), déposées en octobre dernier à l’Assemblée nationale par Soumya Bourouaha (PCF) et au Sénat par Monique de Marco (EELV). Durant les mois de confinement, un premier groupe de travail se constitue, associant l’organisation professionnelle La Buse, le Syndicat national des artistes plasticiens (SNAP-CGT), et la commission Culture du Parti communiste. Responsable de cette commission, le député Pierre Dharréville dépose un premier texte début 2024, qu’il ne pourra défendre après la dissolution de l’Assemblée nationale, n’étant pas réélu. « Pour quelques artistes, le Covid a permis de faire l’expérience d’une sorte d’assurance chômage par le biais des aides aux entreprises, explique Jimmy Cintero, graphiste et membre de ce groupe de travail pour le SNAP-CGT. Cela nous a permis de comprendre que c’était possible, et même indispensable pour éviter une mort professionnelle assurée. »

Le dispositif envisagé par le groupe de travail est présenté dans une publication de décembre 2023, puis largement soutenu dans une tribune paraphée par 17 000 artistes auteurs, institutions et organisations professionnelles. Le mécanisme permettrait aux artistes de bénéficier d’un revenu de remplacement sous la forme d’une allocation chômage, conditionnée par un minimum de revenus équivalent à 300 heures de Smic horaire sur l’année.

Plusieurs questions restent à affiner, comme la référence pour le calcul de l’allocation : le texte propose un revenu mensuel correspondant à 85 % du Smic, mais il n’est pas encore décidé s’il s’agira du salaire minimum brut ou net. Le seuil annuel pourrait aussi devenir un seuil « glissant » (comme dans le récent statut de travailleur artistique en Belgique), permettant à un artiste auteur de faire valoir ses droits en justifiant de 600 heures sur deux ans, ou 900 heures sur trois ans.

Le financement serait assuré par un quintuplement des cotisations des diffuseurs

Pour financer l’intégration des artistes au régime de l’assurance chômage, la proposition de loi souhaite augmenter les cotisations sociales des diffuseurs, dont le taux est aujourd’hui de 1,1 % : redresser cette participation au « pot commun » de l’Unedic à hauteur de 5,15 % permettrait l’auto-financement de ce mécanisme, selon les organisations professionnelles. « Une hausse très raisonnable au regard des enjeux, note Stéphanie Le Cam, maître de conférences en droit privé et directrice de la ligue des auteurs professionnels, dans un article de Dalloz Actualité. Les contributions n’ont globalement pas augmenté depuis la création du régime [des artistes auteurs], et cette participation donc [favoriser]l’émergence d’un environnement de travail plus équitable et durable, bénéfique à l’ensemble de la profession, et y compris aux diffuseurs eux-mêmes. »

Dans le champ des arts visuels et plastiques, ces diffuseurs mis à contribution sont les galeries, les musées et les centres d’art ou les collectionneurs : « Toute personne qui commande une œuvre, un travail artistique, résume Jimmy Cintero. Nous avons des retours positifs de la part de directions de centres d’art, de galeries ou de maisons d’édition qui soutiennent cette proposition. » Le puissant Syndicat national de l’édition n’a toutefois pas encore commenté la proposition de loi, qui concerne les professionnels de champs aussi divers que le cinéma, la littérature et l’édition, les arts visuels, ou les métiers d’art.

Une majorité parlementaire à conquérir

Le SNAP-CGT projette des retombées sociales immédiates si ce mécanisme était mis en œuvre : « On estime qu’il améliorerait le quotidien de 76 000 personnes, dont 40 000 de manière radicale, envisage Jimmy Cintero. Dans le dernier baromètre de l’Observatoire des revenus, 75 % des 190 000 artistes auteurs avaient perçu moins de 10 000 euros dans l’année. Une grande majorité d’entre nous vivent sous le seuil de pauvreté. » Le texte vise également à faire reconnaître le statut de travailleur des artistes : « Le système repose aujourd’hui beaucoup sur les aides à la création, publiques ou privées, un modèle structurellement précaire, qui nie la condition de travailleur », estime le responsable syndical.

Si la conjoncture politique est peu favorable aux accords, les porteurs de cette proposition de loi comptent sur un soutien transpartisan (hors Rassemblement national) pour faire passer ce texte : la première proposition de loi déposée par Pierre Dharréville avait ainsi reçu le soutien d’une trentaine de députés, majoritairement issus des groupes de gauche, mais également des centristes et de la droite. Le texte fera, dans les semaines qui viennent, l’objet d’une présentation au Sénat.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°648 du 31 janvier 2025, avec le titre suivant : Une proposition de loi pour créer une allocation chômage pour les artistes auteurs

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