Droit - Intelligence artificielle (IA)

PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

IA et droit d’auteurs : deux rapports du CSPLA

Par Xavier Près, avocat · Le Journal des Arts

Le 10 février 2025 - 895 mots

Le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) vient de publier deux rapports sur le sujet très actuel des droits des auteurs dont les œuvres entraînent les IA. Mais le temps presse.

France. L’intelligence artificielle (IA) se nourrit d’innombrables données sur Internet. Ces données sont essentielles : plus elles sont nombreuses et de qualité, plus les systèmes d’IA entraînés sur elles sont susceptibles de générer des résultats fiables et de qualité. Les multiples données d’entraînement obéissent à des règles juridiques différentes, dont le droit d’auteur pour les œuvres de l’esprit. Grande consommatrice de contenus culturels (textes, sons, images, vidéos), l’IA, en particulier l’IA générative qui vise à produire des contenus textuels, graphiques ou audiovisuels, est source d’inquiétude pour les créateurs qui craignent au pire de disparaître, au mieux de ne pas être associés aux rémunérations générées par l’utilisation de leurs œuvres.

Comment s’assurer dès lors que les droits des auteurs soient respectés par les fournisseurs de systèmes d’IA qui utilisent massivement les œuvres de l’esprit des créateurs et ce, alors que le nombre et la diversité de ces dernières sont un gage de la qualité et donc aussi de la valeur des systèmes d’IA ? Cette question, qui a trait au partage de la valeur entre les auteurs et les opérateurs de systèmes d’IA est au cœur des deux rapports sur l’IA du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), instance chargée de conseiller la ministre de la Culture en matière de propriété littéraire et artistique.

Le premier rapport a pour objet d’identifier les informations portant sur les données utilisées par les systèmes d’IA pour l’entraînement de leurs modèles. Ces informations sont essentielles en ce qu’elles ont pour objet de déterminer notamment les créations utilisées et, par conséquent, de s’assurer qu’elles ont été exploitées conformément à la réglementation sur le droit d’auteur. Le rapport de mission « relative à la mise en œuvre du règlement européen établissant des règles harmonisées sur l’IA » a été publié le 11 décembre 2024. Il propose que soit communiqué un « résumé détaillé » mais « complet du contenu utilisé pour l’entraînement des modèles », à savoir la liste des éléments permettant d’identifier les données moissonnées sur Internet, sans que soient pour autant communiquées ni les données elles-mêmes (solution favorable aux auteurs, mais quasi impossible en pratique), ni une simple liste des « principales » sources de données (solution favorable aux fournisseurs de systèmes d’IA, mais inutile en pratique pour les auteurs), ni les techniques utilisées pour les obtenir (secret des affaires oblige).

Le deuxième rapport a pour objet de déterminer les conditions d’une rémunération effective au profit des auteurs dont les créations sont utilisées par les fournisseurs de systèmes d’IA. Ce deuxième rapport sera rendu dans les prochains mois. Le CSPLA a toutefois publié, le 9 décembre dernier, deux notes d’étape : l’une juridique portant sur les mécanismes juridiques envisageables, l’autre économique portant sur les enjeux économiques. Des pistes de réflexion sont ainsi proposées, sans qu’à ce stade les analyses aient été confrontées les unes aux autres en vue d’une solution efficiente, juridiquement et économiquement.

Deux rapports complémentaires

Ces deux rapports sont complémentaires : le premier est axé sur la transparence des sources des données d’entraînement, laquelle constitue une condition essentielle et déterminante à la mise en place d’une rémunération effective au profit des auteurs.

Sans préjuger des solutions qui seront proposées s’agissant de la rémunération des auteurs et de leur éventuelle intégration dans la législation française et/ou européenne, précisons schématiquement que deux dispositifs sont envisageables.

Le passage par des organismes de gestion collective

Ou bien une rémunération négociée de gré à gré, dans le cadre d’une gestion individuelle, l’auteur (ou ses ayants droit) discutant alors individuellement des conditions et modalités, y compris financières, de son autorisation pour l’utilisation de ses œuvres avec les fournisseurs de systèmes d’IA. Ou bien une rémunération fixée dans le cadre d’une gestion collective, un organisme de gestion collective (tel que la Sacem pour ne citer que la plus connue) garantissant alors aux fournisseurs de systèmes d’IA, sur la base d’un contrat général de représentation ou d’une licence légale, l’autorisation d’exploiter les œuvres des auteurs qu’il représente en contrepartie d’une rémunération fixée collectivement selon différents critères. La deuxième solution semble la plus adaptée eu égard au nombre des œuvres en cause, à la pluralité des auteurs et à la divergence des intérêts en présence. En ce sens, l’un des mécanismes les plus simples consisterait à prélever à la source, auprès des fournisseurs de systèmes d’IA, une rémunération pour en répartir ensuite les fruits au profit des auteurs, sur le modèle de la copie privée dont l’efficience dépend des différents critères utilisés.

La période pour l’instant est à la réflexion. Mais le temps presse. Car il s’écoule en l’occurrence en défaveur des auteurs, ces derniers devant agir, pour éviter toute prescription, dans un délai de cinq ans à compter du jour où ils ont eu ou auraient dû avoir connaissance des faits leur permettant d’agir. Ce délai de prescription quinquennale de l’action en contrefaçon est d’autant plus lourd de conséquences pour les auteurs ou leurs ayants droit que le coup est déjà parti, les fournisseurs de systèmes d’IA n’ayant pas attendu les résultats de ces rapports et de leur éventuelle transposition dans un texte normatif pour moissonner massivement les contenus culturels présents sur internet aux fins de l’entraînement de leurs modèles et de la commercialisation de leurs solutions.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°648 du 31 janvier 2025, avec le titre suivant : IA et droit d’auteurs : deux rapports du CSPLA

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