Intelligence artificielle (IA) - Justice

Plusieurs syndicats d’éditeurs et d’auteurs poursuivent META et son IA

Par Xavier Près, avocat · Le Journal des Arts

Le 27 mars 2025 - 815 mots

Ils reprochent à Meta d’entraîner son intelligence artificielle « Llama » avec des données protégées.

France. Le Syndicat national de l’édition (SNE), la Société des gens de lettres (SGDL) et le Syndicat national des auteurs et des compositeurs (SNAC) ont introduit, le 6 mars 2025, devant le Tribunal judiciaire une action en justice contre Meta Platforms Inc. Ils soutiennent que Meta aurait procédé à une utilisation, sans leur autorisation, d’œuvres protégées par le droit d’auteur pour l’entraînement de son modèle d’intelligence artificielle (IA) générative « Llama » un concurrent de ChatGPT ou Chat de Mistral AI.

Plus précisément, auteurs et éditeurs soutiennent notamment que l’exploitation des œuvres de l’esprit qu’ils ont créées ou éditées pour alimenter une IA générative constituerait un acte de reproduction soumis au monopole exclusif de l’auteur et que, faute d’autorisation, Meta se serait livrée à des actes de contrefaçon (et à agissements parasitaires). Selon eux, l’IA « Llama » aurait en effet été entraînée sur des livres numériques issus notamment d’une base de données « Books3 » contenant près de 200 000 livres piratés, dont nombre de titres français.

Sans préjuger de la position de Meta, la multinationale pourrait opposer plusieurs arguments sur le fondement du droit d’auteur. En premier lieu, Meta pourrait contester l’application même du droit d’auteur au motif que la reproduction consiste, selon l’article L. 122-3 du Code de la propriété intellectuelle (CPI), en une fixation matérielle de l’œuvre par tous procédés « qui permettent de la communiquer au public d’une manière indirecte ». Or il n’est nullement évident que s’opère, en aval, au niveau des résultats générés, une communication au public d’une manière indirecte, spécialement lorsque le contenu généré ne permet pas de reconnaître les créations utilisées. Ce d’autant que ces dernières sont rarement restituées sous une forme reconnaissable. Méconnaissable, l’œuvre ne pourrait donc pas être considérée comme « communiquée au public ». La reproduction ne serait dès lors pas un acte d’exploitation, mais un simple acte technique, échappant au monopole de l’auteur.

Pour séduisante qu’elle soit, cette interprétation semble toutefois difficile à retenir. D’abord, le droit national doit être interprété à la lumière du texte et de la finalité du droit de l’Union européenne ; or, en l’occurrence, le droit européen est moins restrictif que le droit français, l’article 2 de la directive 2001/29 ne posant pas cette condition de « communication au public d’une manière indirecte ». Ensuite, l’analyse précitée ne retient l’acte de reproduction que si, en aval, au stade des résultats, il est possible d’identifier le contenu ayant permis de générer un résultat. Mais à se situer plus en amont, au stade de l’entraînement des modèles d’IA générative, il semble faire peu de doute que l’utilisation d’œuvres de l’esprit pour entraîner un modèle implique leur reproduction au sens précité, au moins temporaire. C’est au demeurant la raison pour laquelle le règlement de l’UE sur l’intelligence artificielle impose aux fournisseurs de modèles d’IA générative de mettre à la disposition du public « un résumé suffisamment détaillé du contenu utilisé pour entraîner les modèles » et ce, afin notamment de « respecter la législation de l’Union sur le droit d’auteur ».

Dans l’hypothèse où le droit d’auteur trouve à s’appliquer, Meta pourrait encore tenter de s’abriter derrière certaines exceptions, dont notamment celle de fouille de textes et de données prévue par l’article L. 122-5-3, III du CPI qui permet de réaliser librement et gratuitement des copies sur Internet. Son application est toutefois subordonnée, sauf finalités de recherches scientifiques en l’occurrence inapplicables, à l’absence d’opposition (ou « opt out ») des titulaires de droits. Le texte ajoute la condition « d’un accès licite » aux copies ou reproductions numériques d’œuvres et précise que ces copies « sont stockées avec un niveau de sécurité approprié puis détruites à l’issue de la fouille de textes et de données ». À supposer que Meta ait eu licitement accès aux œuvres et que les auteurs n’aient pas exercé leur droit d’opposition avant leur reproduction, la seconde condition tenant à la nécessaire destruction des copies pourrait constituer un obstacle infranchissable. En tout état de cause et à supposer l’exception applicable, celle-ci devra encore passer le test des trois étapes qui soumet toutes les exceptions à l’obligation d’être limitées à des cas spéciaux, de ne pas porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre et de ne pas causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur. Ce qui semble difficile.

De là à dire que Meta sera condamnée, il y a un pas qui ne saurait être franchi. D’abord pour des raisons de preuve : les IA sont souvent qualifiées de « boîte noire » pour signifier qu’il est difficile de saisir leur fonctionnement, mais aussi d’identifier parmi les milliards de données les œuvres de l’esprit en cause, utilisées à titre d’entraînement. Bien que réelles, ces difficultés probatoires peuvent cependant être résolues à la fois techniquement, mais aussi procéduralement. Ensuite pour des questions de juridiction et de loi applicables ; mais là encore rien de dirimant, les textes supranationaux fixant des principes bien connus des juristes.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°652 du 28 mars 2025, avec le titre suivant : Plusieurs syndicats d’éditeurs et d’auteurs poursuivent META et son IA

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