PARIS
L’ex-président du Centre Pompidou et de la BNF commente les grandes lignes du rapport qu’il a remis en décembre dernier au ministre de la Culture, sur la situation des artistes-auteurs.
C’est effectivement une difficulté à laquelle nous avons été confrontés. Cette catégorie de la population, très hétéroclite avec des revenus composites est mal suivie. Il y a des études ponctuelles, mais pas d’approche d’ensemble. Nous avons dû faire des efforts importants pour objectiver la situation. Il y a là une occasion de voir plus clair, à l’avenir, sur tous ceux qui cotisent en tant qu’artiste-auteur à travers la création d’un observatoire que nous recommandons.
Il y a un sentiment de paupérisation que nous avons essayé de rattacher à une réalité objective. Le nombre d’auteurs – au sens large – a crû plus vite que les revenus qu’ils ont générés. Dans ce type de situation, plus l’offre de travail est importante, plus les acteurs qui exploitent – au sens économique du terme – le travail des artistes-auteurs sont en position de force pour fixer la rémunération. Ce n’est pas une découverte, mais c’était utile de le dire. Personne ne conteste que ces rapports soient de droit privé, mais une régulation publique n’est pas illégitime.
Il faudrait analyser secteur par secteur comment se distribue la valeur, mais dans le livre, par exemple, on constate qu’il y a eu d’énormes gains de productivité – le coût de fabrication d’un livre n’a rien à voir avec ce qu’il était il y a trente ans –, mais cela ne s’est pas traduit par une augmentation de la part des auteurs.
Les milieux de la création sont assez individualistes et pas spontanément tournés vers l’action collective. De sorte qu’il y a des acteurs assez puissants comme les organismes de gestion collective (la Sacem, par exemple) et une multitude d’associations, de syndicats peu importants. Il n’y a, par ailleurs, pas d’élection professionnelle ce qui met à mal leur représentativité. Nous voudrions construire, dans l’équivalent des branches professionnelles, des instances qui permettent de négocier des codes de bonne conduite, des taux, etc., qui peuvent éventuellement recevoir une force obligatoire si l’État en décide ainsi.
Le système français du droit d’auteur ignore d’une certaine façon l’auteur. Il ne connaît que l’œuvre exploitée, donc par construction, il ignore tout ce qui précède. Dans certains secteurs, comme les scénarios de film ou la BD, on est entré dans une économie de la commande. Nous suggérons qu’il y ait une discussion sur les taux de référence ; pourquoi, par exemple, la rémunération des auteurs dans la littérature jeunesse est-elle si inférieure que dans d’autres secteurs ? Et, par ailleurs, il faut mettre à l’étude ce que serait un contrat de commande payé en droit d’auteur qui reconnaîtrait le travail. Ce n’est pas facile pour les artistes-plasticiens, mais on doit pouvoir trouver des solutions.
Après tout la meilleure façon d’augmenter le revenu des artistes-auteurs, c’est d’augmenter les achats ? Cela débordait le cadre de la question qui m’était posée. Et puis, cela renvoie au sujet de l’éducation artistique et culturelle, c’est là que se jouent les choses. Si on éduque mieux les prochaines générations, on aura plus de lecteurs, d’amateurs d’art…
Il y a autant de risques que d’opportunités. Le numérique apporte des capacités de production et d’autoproduction extraordinaires. Auparavant, les poèmes écrits sur un cahier restaient dans un tiroir. Il se crée de nouveaux modèles économiques. D’un côté, les grands diffuseurs (type Amazon) peuvent éditer les auteurs, et de l’autre, à la base, de nouvelles structures de diffusion émergent offrant un potentiel de diffusion à ceux qui ont envie de créer.
C’est une caractéristique historique de la production artistique que d’être en surproduction. Il n’y a pas d’optimum économique. Si on produit trente BD en moins, cela ne changera rien à la rémunération des auteurs. N’importe qui peut être auteur, mais notre sujet, ce sont ceux qui veulent vivre de leur création. En revanche, il est important de sensibiliser les futurs artistes-auteurs aux aléas de leur vocation.
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Bruno Racine : « Un sentiment de paupérisation que nous avons essayé de rattacher à une réalité objective »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°538 du 31 janvier 2020, avec le titre suivant : Bruno Racine : « Un sentiment de paupérisation que nous avons essayé de rattacher à une réalité objective »