Le Musée des beaux-arts Eugène-Leroy à Tourcoing offre à Valérie Belin une rétrospective d’envergure de son travail photographique.
Tourcoing. La rétrospective Valérie Belin au Musée des beaux-arts (MUba) Eugène-Leroy à Tourcoing a de quoi étonner. Le musée n’est pas en effet référencé parmi ceux programmant des expositions photo. La photographie est par ailleurs peu présente dans ses collections. Or c’est justement ce double constat qui a conduit Mélanie Lerat, directrice de l’établissement, à proposer à Valérie Belin une carte blanche en ces lieux. Surprise par la proposition puis séduite par les espaces et volumes du musée ainsi que son impressionnante galerie des années 1930, elle a accepté. « Comme beaucoup d’artistes, j’étais frustrée de trois années de crise sanitaire où tous nos projets ont été stoppés ou complètement ajournés. J’avais besoin de me confronter à la réalisation d’une exposition, d’un livre. C’était pour moi aussi une manière de remettre la machine en route et de bénéficier d’une réouverture vers l’extérieur, vers le public, vers l’échange », explique la photographe. La carte blanche aboutit à une rétrospective bien menée, portrait en creux d’une artiste intranquille.
Depuis l’exposition organisée en 2008 à la Maison européenne de la photographie, aucune autre n’a été présentée en France, contrairement à l’étranger, malgré le développement du travail et la notoriété grandissante de la photographe. L’exposition aux Rencontres de la photographie d’Arles en 2019 s’était limitée à une série et celle du Centre Pompidou en 2015 sur une partie de son travail. Aussi ce panorama revêt-il l’intérêt d’offrir une lecture de l’œuvre sur près de trente ans de carrière. Mais pas seulement, car les vastes espaces du musée ont permis à Valérie Belin d’expérimenter des modes d’exposition. En particulier pour ses différentes séries de portraits dont le déploiement chronologique sur un seul mur de l’immense galerie centrale du musée, par groupe de deux ou quatre images selon le format, est particulièrement réussi. L’effet produit par tous ces regards d’hommes ou de femmes rassemblés est vertigineux.
Des « Bodybuilders » de 1999 (série de photographies argentiques en noir et blanc de culturistes) à la dernière série « Heroes » de 2022 (portraits de jeunes femmes au maquillage, mélange de tableaux de Miró, Kandinsky et de maquillage de clown, voir ill.), beaucoup de choses sont racontées dans cet enchaînement de figures humaines dont les regards frontaux se perdent au fur et à mesure dans une expression pensive, absente. Le passage de la photographie argentique en noir et blanc à la couleur, et à la surimpression rendue possible par le numérique, permet ainsi aux fonds blancs et neutres des portraits des débuts de devenir des fonds de plus en plus complexes, conçus à partir d’images existantes et d’origines diverses (film, publicité, BD…), évocateurs d’un environnement ou d’une dramaturgie. La transformation physique pour adhérer à beauté, ou du moins à une certaine idée de la beauté, revêt, au-delà de la séduction, une dimension et une intériorité de plus en plus intranquille et tourmentée.
« Je ne suis pas dans la fascination mais dans un travail de la forme qui déconstruit le cliché », rappelle Valérie Belin. En ce sens, l’accrochage et son jeu de contrepoints dans le reste de la galerie centrale du musée sont particulièrement éloquents sur la grande cohérence de l’œuvre et son renouvellement perpétuel. « Ce que je photographie est uniquement du mental, de la matière psychique », dit-elle.
Dans les salles annexes, les dialogues menés avec d’autres séries relatives aux natures mortes, bouquets, voitures accidentées ou non, moteurs et miroirs ou intérieurs d’appartement croulant sous une accumulation de meubles et d’objets, distillent d’autres acuités critiques sur notre monde, d’autres ambiguïtés de l’image, d’autres confrontations également au vivant et à ce qui ne l’est pas ou plus, dans un renouvellement permanent des modes opératoires et une expérimentation constante des évolutions techniques. Et une empathie certaine avec son sujet.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°612 du 26 mai 2023, avec le titre suivant : Valérie Belin interroge son travail