Invitée au Musée des beaux-arts de Bordeaux, la photographe utilise l’accumulation et la surimpression dans ses œuvres pour dénoncer la société de consommation.
Bordeaux. « Exposer Valérie Belin au Musée des beaux-arts de Bordeaux peut surprendre. La photographie est en effet peu représentée dans nos collections et les expositions qui lui ont été consacrées sont marginales. Le musée s’inscrit toutefois dans la mouvance des musées des beaux-arts ouverts à la création contemporaine. Depuis une dizaine d’années, il invite ainsi régulièrement des artistes à venir dialoguer avec ses collections d’art ancien et moderne », annonce la directrice du musée bordelais, Sophie Barthélémy. Elle explique le choix de Valérie Belin, après celui de Suzanne Lafont en 2018, autre artiste majeure de la scène photographique contemporaine, par« la dimension picturale du travail, et ses nombreuses références à l’histoire de l’art et à la peinture en particulier. »
Pour Valérie Belin, née en 1964, cette invitation n’est pas la première faite par un musée de beaux-arts. En 2023, au Musée Eugène-Leroy de Tourcoing, l’artiste a dressé un panorama de son œuvre. Un an plus tard, l’exposition qu’elle propose avec Sophie Barthélémy à Bordeaux, s’inscrit dans le même registre. Elle demande toutefois au visiteur de prendre le temps d’assimiler le contenu des deux parties distinctes installées dans deux lieux. La première, à la Galerie du Musée des beaux-arts, s’organise dans le bâtiment dévolu aux expositions temporaires et réunit, sur trois niveaux, pas moins de 30 séries parmi les plus emblématiques de son travail, de ses débuts à nos jours, soit 116 photographies. La deuxième qui se déploie dans le musée lui-même est un accrochage de 11 photographies mises en dialogue avec des peintures du baroque nordique jusqu’au XXe siècle.
À la Galerie du Musée des beaux-arts, les séries se répartissent entre les portraits essentiellement féminins au rez-de-chaussée, les premiers travaux à l’étage et les natures mortes au sous-sol. Devant ces visages, « miroir de fictions sans parole » comme Valérie Belin les définit, le visiteur est frappé par la grande cohérence de l’œuvre, sa singularité et ses questionnements sur l’humain, la société marchande et la représentation. Sa dernière série « Lady Stardust », inédite, n’y déroge pas bien que, depuis quelque temps, l’usage systématique de la surimpression pour ces portraits de femme donne un sentiment de répétition. La surimpression lui permet de compléter la photographie initiale par plusieurs photographies ou documents (fragments d’affiches, de pages de magazines…).
Avec cette série de portraits d’une jeune femme noire élégamment vêtue posant dans différentes attitudes évocatrices, de celles diffusées par les magazines de mode, ou les affiches publicitaires, dans un décor foisonnant de fragments de comics [voir ill.], Valérie Belin rejoue l’effet de trop-plein qui participe à la création du paysage fictionnel chaotique et violent de ces précédentes séries. Derrière le portrait à l’esthétique séduisante de cette héroïne de comics, se heurtent le vivant et ce qui ne l’est pas, l’ambiguïté de l’image et une acuité critique sur la société.
« Cette série est le point d’orgue de l’idée de contamination des humains par les choses », précise Valérie Belin, tout en rappelant l’idée générale qui traverse toutes ses séries : « Les choses ou les êtres ne sont plus là en tant que personnes ou sensibilités diverses mais en tant que représentation et image. »
Le travail de Valérie Belin serait-il plus politique qu’il n’y paraît ? « L’esthétique militante ne m’a jamais intéressée, dit-elle. Mais dès que l’on fait un acte artistique, on fait un acte politique. » La contestation d’une société fondée sur le spectacle et sur l’image irrigue tous ses portraits de femmes, y compris sa représentation du nu qu’elle n’a abordé pour l’instant qu’une fois avec la série « Bob » en 2012. Peu exposée en raison de ses très grandes dimensions, elle en donne ici un aperçu en trois portraits d’une même femme nue à la poitrine volumineuse (une danseuse burlesque photographiée à New York) que la superposition d’images de décors de studio de cinéma et d’objets hétéroclites masque en partie.
Natures mortes, voitures accidentées, moteurs et miroirs ou intérieurs d’appartement croulant sous une accumulation d’objets n’échappent pas à cette contestation de la société de consommation. Les photographies de Valérie Belin portent la vulnérabilité et la fragilité de toute chose, voire l’intranquillité de leur autrice en empathie avec son sujet.
Au musée, le jeu de correspondances à la fois iconographiques et formelles entre 11 photographies de Valérie Belin et les pièces de la collection en place est une invitation à regarder chaque œuvres autrement. Cet exercice du dialogue de la photographie avec la peinture, dissonne, à quelques exceptions, plus qu’il ne séduit malgré les explications données par les cartels détaillés.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°634 du 24 mai 2024, avec le titre suivant : Les visions intranquilles de Valérie Belin