Chaque mois, Élisabeth Couturier présente un objet cher à un artiste. Ce mois-ci...
Fétiche - Les objets l’encombrent : « Une fois mes prises de vue photographiques terminées, je me débarrasse au plus vite des accessoires que j’utilise pour mes natures mortes et autres portraits », déclare Valérie Belin qui, dans ses compositions millimétrées, saisit le trouble de la représentation à l’heure de la chirurgie esthétique et autres transformations factices… Ses cover-girls, ses clowns ou ses bodybuilders, maquillés, métamorphosés, huilés, bousculent la frontière entre le réel et le virtuel, l’animé et l’inanimé… Pas d’objet, donc, mais une passion pour le cinéma. Et toujours à ses côtés, des DVD de films d’auteur : « J’en regarde énormément, certains sont pour moi comme des livres de chevet. Surtout ceux d’Antonioni et d’Hitchcock. Et si je devais en emporter un seul sur une île déserte, j’opterais pour L’Éclipse d’Antonioni, avec dans les rôles principaux Monica Vitti et Alain Delon. Les images de ce long métrage mythique sont gravées dans ma mémoire et reviennent en boucle dans ma tête. » Elle évoque alors l’émotion renouvelée à chaque visionnage et l’influence que ce film exerce sur son imaginaire et sur son travail. Pourquoi celui-ci plutôt qu’un autre ? « C’est, à mon avis, le plus accompli d’Antonioni, celui où le cinéaste marque une grande distance avec ce qu’il filme. Où il se positionne en tant qu’observateur. Il s’agit, finalement, du portrait en creux de l’aristocratie italienne, et, plus encore, d’un autoportrait. » Un parti pris qui séduit Valérie Belin scrutant ses modèles comme un entomologiste ses insectes. Implacablement. À l’exemple de ses mises en scène de sosies de Michael Jackson, mettant en abyme l’artificialité de la plastique du personnage, ou de ses prises de vue glacées de mannequins de vitrine que les fabricants cherchent désespérément à rendre plus « vrais » que nature. Un monde de morts-vivants ? : « En quelque sorte : qu’appartient-il en propre à toutes les personnes qui d’une manière ou d’une autre portent un masque ? Qu’ont-elles d’unique ? » Pour revenir au film d’Antonioni, l’artiste souligne que les dialogues, au-delà du chassé-croisé amoureux, révèlent un malaise social, une crise profonde de la civilisation. Quant à la beauté des deux acteurs, elle est une surface réfléchissante qui nous renvoie à nous-mêmes : « J’y suis d’autant plus sensible que les gens que je mets face à mon objectif possèdent cette même qualité et capacité. Du coup, j’ai conscience que mes photographies grand format me tendent un miroir. » Elle avoue, encore, utiliser la couleur comme le noir et blanc et se méfier des outils numériques qui pourraient l’entraîner sur de mauvaises pistes : « Antonioni m’aide à ne pas m’égarer : il a toujours fait le même film, mais avec des variantes. Son travail porte sur la solitude fondamentale de tout être. Et du coup la folie transparaît de manière insidieuse, au cœur de ses images. » Nous remarquons, alors, que les hommes et les femmes stéréotypés que montre Valérie Belin sont parfois si absents d’eux-mêmes qu’ils génèrent les mêmes questions existentielles que ceux qui traversent le cinéma d’Antonioni. Mais, au fond, pourquoi n’a-t-elle jamais été tentée par la réalisation ? La réponse fuse : « Parce que je suis très attachée à l’image fixe. Et, comme 50 % de mon travail se fait à la postproduction, je me rapproche autant du métier du peintre que de celui du réalisateur. » Garder avec le cinéma et Antonioni un rapport d’intimité, tel est son souhait le plus cher.
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Le DVD de Valérie Belin
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Abonnez-vous dès 1 €« Valérie Belin », jusqu’au 25 mars 2018. Institut culturel Bernard Magrez, 16, rue de Tivoli, Bordeaux (33). Du vendredi au dimanche de 13 h à 18 h et sur rendez-vous. Tarifs : 6 et 8 €. | www.institut-bernard-magrez.com
« Les Méta-Clichés de Valérie Belin », jusqu’au 15 décembre 2017. Le Chengdu Museum, Chengdu (Chine) | www.cdmuseum.com
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°707 du 1 décembre 2017, avec le titre suivant : Le DVD de Valérie Belin