À la Maison européenne de la photographie, à Paris, Valérie Belin convie à la (re)découverte de dix années de pratique photogra-phique, avec un accrochage qui met en exergue sa cohérence et sa rigueur.
Comment s’effectue le choix des sujets que vous traitez systématiquement par séries ?
Cela reste assez mystérieux pour moi, mais je pense qu’une fois une série achevée, une sorte d’alchimie me porte vers autre chose qui a toujours un rapport avec ce qui précède juste avant et introduit une nouveauté ou une différence. Par exemple, après le travail sur les robes de dentelles (Robes, 1996), qui était une commande du Musée de la dentelle de Calais, j’ai effectué la série des voitures accidentées (Voitures, 1998). Le lien n’est pas évident, mais il y avait ce même phénomène de chrysalide vide, et la voiture était un peu comme un corps vidé. En outre, juste avant les Voitures, j’avais réalisé les miroirs (Venise II, 1997), qui offraient une autre forme de brillance et d’éclat. Il y a donc à la fois des analogies formelles et des déplacements de sens d’une série à l’autre, mais dans une chronologie qui ne pourrait jamais s’inverser ou s’annuler.
Vous ne pourriez donc pas refaire aujourd’hui des photographies réalisées il y a dix ans ?
Absolument pas. Je n’aurais pas pu photographier les bodybuilders (Bodybuilders I et II, 1998) avant d’avoir travaillé avec des objets. Toutes les étapes ont constitué des nécessités et mes sujets ne sont jamais des prétextes. Dans l’exposition, l’accrochage tente de montrer cette espèce de cheminement, d’écho entre les séries. Récemment, avec les Métisses (2006) ou les mannequins en couleur (Modèles II, 2006), j’ai revisité des sujets travaillés en 2001 en noir et blanc, comme les Femmes noires (2001) ou de jeunes mannequins débutantes (Modèles I, 2001). Mais là le déplacement s’effectue à travers les outils utilisés. On part du noir et blanc, d’une vision frontale, d’une lumière très plate et diffuse, pour arriver à une photo qui, avec la même catégorie de personnes, grâce à l’usage de la couleur et d’une lumière ponctuelle, évoque quelque chose de très différent. En 2001, mon intérêt se portait principalement sur des questions liées à l’identité. Avec la couleur, j’affirme beaucoup plus l’espèce de virtualité des personnes et des corps.
Le passage à la couleur fut en effet un changement important. Cherchiez-vous, avec des modèles similaires, à changer l’axe de vue, ou y a-t-il eu un autre déclencheur ?
Ce passage s’est fait également pour des raisons très pragmatiques, liées à l’apparition de l’outil numérique. Pas au moment de la prise de vue, car je travaille toujours en argentique, mais en postproduction, avec l’utilisation de Photoshop par exemple. Ces nouveaux outils m’ont permis d’aller aussi loin avec les couleurs qu’avec le noir et blanc, qui donne une immense étendue d’interprétation du négatif. En fait, je ne suis pas passée à la couleur, dans la mesure où les séries sur lesquelles je travaille aujourd’hui sont en noir et blanc. C’est comme si maintenant j’avais le choix.
Le fait de travailler par séries est-il une manière de tenter de capter l’unicité ou la singularité dans un contexte qui se voudrait uniforme ?
La série présente l’avantage de rendre la démonstration évidente pour celui qui regarde. À propos des Métisses, on m’a souvent dit qu’on avait l’impression que c’était la même fille dont j’avais modifié les attributs. Donc, effectivement, la série me permet d’appuyer la démonstration, de souligner une singularité, souvent au sein d’une typologie, ainsi pour les Transsexuels (2001), les Bodybuilders ou les Femmes noires.
Est-ce le potentiel reproductible du sujet qui vous intéresse ?
Oui, car il montre qu’il s’agit vraiment d’un phénomène, que ce n’est pas seulement une personne ou une sorte de hasard. Quand le phénomène se répète, c’est qu’il correspond à une réalité.
Êtes-vous attirée par la différence, l’anormal, la métamorphose ?
Je pense que ce sont des choses qui se dégagent de mon travail quand on le regarde, mais je ne me les formule pas de la sorte. Il est toutefois évident que les sujets qui m’attirent sont des personnes dont la plastique a quasiment pris le dessus sur l’intériorité, en tout cas en surface. Je m’attache toujours à la cérémonie, à l’effet, à des choses toujours un peu excessives, un peu « too much ». Ce qui m’importe, c’est le vivant : comment il est mis en défaut, fragilisé, détruit, et tout ce qui peut en découler, c’est-à-dire, en effet, les métamorphoses, postures, simulacres, faux-semblants
Jusqu’au 8 juin, Maison européenne de la photographie, 5/7, rue de Fourcy, 75004 Paris, tél. 01 44 78 75 00, www.mep-fr.org, tlj sauf lundi et mardi 11h-19h45. Catalogue, éd. Steidl, 312 p., 50 euros, ISBN 978-3-86521-543-7.
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Valérie Belin : « Métamorphoses, postures, simulacres et faux-semblants »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°282 du 23 mai 2008, avec le titre suivant : Valérie Belin