Royaume-Uni - Mécénat - Musée

Les musées britanniques pris entre leurs contraintes budgétaires et les éco-activistes

LONDRES / ROYAUME-UNIS

Le récent accord entre le British Museum et l’entreprise pétrolière BP illustre la difficile équation morale et économique des musées.

Le 6 novembre 2023, des extrémistes écologistes du mouvement Just Stop Oil ont attaqué au marteau la vitre protégeant la Vénus au miroir de Velasquez à la National Gallery de Londres. © Just Stop Oil
Le 6 novembre 2023, des extrémistes écologistes du mouvement Just Stop Oil ont attaqué au marteau la vitre protégeant la Vénus au miroir de Velasquez à la National Gallery de Londres.
© Just Stop Oil

Londres (Royaume-Uni). Coup de tonnerre au Royaume-Uni. Alors que les partenariats entre musées britanniques et grandes compagnies pétrolières semblaient en voie d’extinction, BP signe le coup du siècle. Fin décembre, l’entreprise a annoncé une donation de 50 millions de livres (58 millions d’euros) au British Museum. Étalé sur une période de dix ans, ce partenariat s’inscrit dans le cadre du « Masterplan » du musée, son plan de rénovation du bâtiment historique de Bloomsbury.

Sans surprise, les critiques sont tombées de toutes parts. « Terrible décision de la part du British Museum. Prendre l’argent extorqué par le “business model” de BP, qui dévaste les pays du Sud, montre que le musée n’a rien appris du passé », s’offusque Jolyon Maugham, directeur du Good Law Project, une organisation qui veut faire de la loi un levier pour impulser le changement dans la société. « C’est du déni-climatique ! », s’insurge BP or not BP, qui lutte contre les partenariats entre la compagnie pétrolière et les institutions culturelles. Culture Unstained, un autre groupe aux objectifs similaires, a indiqué chercher des conseils juridiques pour organiser une contestation formelle du partenariat. « C’est étonnamment déconnecté et complètement indéfendable. Nous pensons que cette décision est illégitime et qu’elle enfreint les propres engagements du musée en matière de climat. »

Ce n’est pas une première pour l’association. Début décembre, Culture Unstained avait déjà déposé une plainte contre le partenariat entre le Science Museum et Adani, un groupe indien spécialisé dans l’électricité et lié au secteur pétrolier. Mais le musée a rejeté en bloc les accusations d’artwashing de l’association et défendu son partenariat. « Nous reconnaissons que certains militants ont des opinions bien arrêtées sur le parrainage et souhaitent un désengagement total de secteurs entiers, a répondu un porte-parole du musée. Mais nos administrateurs ne partagent pas ce point de vue. »

Une contestation depuis quinze ans

Cette bataille entre institutions culturelles britanniques et défenseurs de l’environnement dure depuis près de quinze ans. Les actions des militants prennent souvent des allures spectaculaires, au risque de s’aliéner l’opinion publique : la protection en verre d’un tableau brisé à coups de marteau à la National Gallery, le Titanosaure du Natural History Museum recouvert de poudre orange, des activistes collés à un cadre du Kelvingrove Art Gallery and Museum de Glasgow…

La pression est telle que certaines de ces campagnes ont des effets. Lors d’une conférence organisée par la Gallery Climate Coalition en mars, Frances Morris, l’ancienne directrice de la Tate Modern, a reconnu l’impact des éco-activistes du réseau Liberate Tate, créé en 2010, dans la réflexion du musée. En 2016, la Tate est devenue la première grande institution britannique à mettre fin à vingt-six ans de partenariat avec BP. Depuis, d’autres ont suivi.

Les musées contraints de trouver des sponsors

Le besoin de financement est au cœur du problème. L’accord avec BP montre que les nécessités économiques sont parfois plus importantes pour les musées, compte tenu des faibles subventions publiques. « Le budget culturel de Berlin (7 millions d’habitants) pour 2024 est de 947 millions d’euros. Le budget de l’Angleterre pour la culture (57 millions d’habitants) pour 2024 est de 458 millions de livres (532 millions d’euros) », a comparé, sur X, Ruth Hogarth, rédactrice en chef d’Art Professionnal et chercheuse à la Queen Mary University de Londres.

La National Portrait Gallery rappelle qu’elle doit chercher 70 % des fonds nécessaires à son fonctionnement en dehors des subventions étatiques. En novembre, elle a été critiquée pour avoir choisi le cabinet d’avocat Herbert Smith Freehills (HSF) comme nouveau partenaire de son prix Portrait Award, autrefois sponsorisé par BP. Or ce cabinet a une équipe consacrée… au secteur pétrolier et gazier. « HSF accompagne le musée depuis vingt ans. Le soutien au nouveau Herbert Smith Freehills Portrait Award s’inscrit dans le prolongement de cette relation », explique un porte-parole du musée.

D’autres voix situent le débat au niveau moral et sociétal : « Ce n’est pas au secteur culturel de juger les autres secteurs, mais plutôt de se concentrer sur leur travail de création », rappelle James Boyd, l’auteur d’un rapport sur les dilemmes des institutions pour trouver des financements, réalisé pour le Winston Churchill Memorial Trust of Australia.

Trouver l’équilibre entre la recherche de partenaires et la préservation des engagements environnementaux relève-t-il d’une équation impossible ? Le British Museum est presque un cas d’école. Certains de ses bâtiments sont vieux de plus de 200 ans, et ils sont en mauvais état : des problèmes de fuites et de maintenance se traduisent régulièrement par la fermeture temporaire de galeries.

Le British Museum essaie comme il peut de prouver que ce nouveau partenariat reste conforme à sa politique de développement durable, signée en 2007. Il a annoncé de nouveaux plans pour éliminer l’utilisation des combustibles fossiles dans le musée et les remplacer par des technologies à faible teneur en carbone. Mais outre-Manche, personne n’est dupe.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°624 du 5 janvier 2024, avec le titre suivant : Les musées britanniques pris entre leurs contraintes budgétaires et les éco-activistes

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