FRANCE
Pour l’expert Jean-Michel Puydebat, les musées et à un moindre degré les Monuments historiques, sont moins exposés à la crise.
Se croyant fortement arrimés à « l’économie de marché », les musées, surtout, et à un moindre degré les festivals et les Monuments historiques, relayent l’idée - et la plupart des journalistes avec eux – que leur secteur est vital pour l’économie en ces temps difficiles de crise du Covid-19. Car, par un curieux « changement de focale », ce secteur, du fait des élus en particulier, relève de plus en plus de l’économie touristique des territoires (logique des retombées économiques) et de moins en moins de celle du « service public culturel ».
Or, c’est justement ce dernier point qui justifie l’octroi de subventions publiques (Etat et Collectivités Territoriales confondus), dans une logique de « pédagogie », de « sens » et de « démocratisation culturelle » afin concrètement d’éviter des prix trop élevés qui auraient pour conséquence un classique « effet d’éviction » au bénéfice des plus riches. Prenons deux exemples :
- dans un musée de province municipal couramment subventionné à 80 %, au prix plein de 7 à 8 €, le prix sans subvention s’étagerait entre 35 et 40 € (mathématiquement 5 fois plus)...ce qui est évidemment impossible !
- pour le Louvre, où le taux d’autofinancement ou taux de couverture des dépenses d'exploitation par les recettes propres (mathématiquement: 1 - le taux de subventionnement) est plus élevé (de l’ordre de 45 % sur le fonctionnement), ce même calcul aurait pour conséquence d’élever de 20 € l’actuel tarif déjà élevé de 17 € : impossible, à moins de considérer que les touristes étrangers qui comme on le sait composent 3/4 du public du Louvre « peuvent payer », ce qu’avait considéré un économiste il y a quelques années dans un rapport officiel en osant parler d’un prix de 30 € !
Or, ce sont ces subventions qui « gouvernent » l’économie du secteur et font de la culture un « secteur protégé » durant la crise du Covid-19 :
- rappelons ainsi que le taux moyen de subventionnement d’un festival est de 1/3 (les 2 autres tiers provenant en moyenne classiquement du mécénat et des recettes propres, dans un « équilibre des risques » bien compris)
- celui d’un musée de province de 80 %, d’un grand musée (parisien) en moyenne de 60 % (ratio rigoureusement inversé dans les grands musées anglais ou néerlandais, qui eux vont plus souffrir de cette crise)
- quant aux Monuments historiques, à part les « must » (au-dessus de 100 000 visiteurs) qui sont plus dans l’économie touristique que culturelle (au delta du financement des travaux, pour lesquels ils ont souvent besoin de subventions publiques), les gestionnaires de Monuments historiques de quelques dizaines de milliers de visiteurs par an savent combien ils ont besoin des subventions (même quand ils sont gérés en Délégation de Service Public par des privés qui bénéficient par ailleurs de compensations de Service Public, ce qui est souvent méconnu), et quand ils sont privés de bénévoles et de ressources annexes touristiques.
Ainsi dans la plupart des structures de ce secteur, les licenciements de personnel ne sont pas pour demain, mis à part quelques festivals qui se sont mis eux même dans une logique de « fragilisation » en pensant compter sur leurs propres forces (ressources propres et mécénat) et en étant fiers de ne pas dépendre des subventions (on pense bien sûr aux Vieilles Charrues tant médiatisées)... alors qu’à l’autre bout de la chaîne, la structure du festival d’Avignon très subventionné souffrira peu de l’annulation de cette édition (à la différence de son territoire qui lui sera très impacté et notamment le secteur du tourisme).
De la même façon, aucun grand musée ne licenciera de personnel en France, alors qu’il suffit de regarder de l’autre côté de l’Atlantique, pour constater qu’il en va tout à fait différemment aux Etats-Unis, sous le double effet de l’absence de « matelas de sécurité » du fait de subventions très faibles (20 % en moyenne à la notable exception du Smithsonian où ce chiffre est de 50 %) mais aussi de la baisse de revenus des fonds « d’endowment », à la suite de la crise des marchés financiers consécutive au Covid-19. Ainsi le Met à New York annonçait ne pas être en mesure de payer ses 2 200 employés à partir du 2 mai 2020, question qui ne s’est jamais posée ni pour le Louvre ou Beaubourg et leurs plus de respectivement 2 000 et 1 000 salariés chacun.
Essayons donc - si cela est possible - de « relativiser » la crise du milieu culturel beaucoup moins grave que celle du secteur du tourisme (qui lui - les parcs de loisirs en sont le meilleur exemple – ne reçoit pas de subventions). Quand bien même, quelques festivals disparaîtraient (Serge Kancel à l’origine du panorama des festivals pour le ministère de la culture en 2018 évoque le nombre astronomique de 8 à 10 000... il en a recensé dans un premier temps 2 000 dont 600 subventionnés, avec un objectif de 4 000 à terme), ce ne serait qu’au bénéfice de la qualité culturelle globale et cela donnerait peut être le « top départ » d’une politique de subventionnement public, s’apparentant moins à un « saupoudrage » qu’à une aide encore plus différenciée qu’aujourd’hui aux structures culturellement les plus intéressantes.
Il n’en reste pas moins que quelque soit le niveau d’autofinancement et même s’il est faible, la perte de revenus constatée dans les musées ou les Monuments historiques durant les mois de confinement d’avant saison (avril-mai-juin) est en moyenne de 30 à 40 %, d’où la nécessité de rouvrir le plus vite possible les musées et monuments, demande très forte -on le comprend- des châteaux privés notamment.
En cela, le plan de déconfinement annoncé par Edouard Philippe le 28 avril 2020 est satisfaisant puisqu’il envisage pour les petits musées - les monuments ne sont pas cités mais on peut penser qu’ils se rangent dans cette catégorie - (mais que veut dire petits ? moins de 20 000 visiteurs par an ? moins de 100 000 visiteurs ?) des réouvertures partielles et ciblées à partir du 11 mai 2020. Quant aux grands musées et grands monuments publics, ils attendront et pour les mieux dotés feront vivre leur structure avec leurs subventions tout en étant présents sur le net… car on peut être sûr qu’en fin d’année, l’Etat abondera à due concurrence de leurs pertes de recettes propres les subventions versées, comme chaque fois que la conjoncture touristique se retournait. Les privés, eux, auront utilisé les ressources du chômage partiel et des diverses aides économiques mises en place et repoussé le recrutement des saisonniers.
Jean-Michel Puydebat est expert en benchmark et stratégie culture tourisme loisirs chez PV2D
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Face au Covid-19, les réalités du monde de la culture en France
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