Politique culturelle - Spécial Covid-19

Les villes jouent les urgentistes de la culture

Par Véronique Pierron · Le Journal des Arts

Le 5 juin 2020 - 1092 mots

FRANCE

Alors que Paris vient de mettre 15 millions d’euros sur la table pour soutenir la culture en souffrance en raison de la crise du Covid-19, d’autres villes mettent en place des fonds d’urgence à destination des artistes comme des petites structures.

Le Palais Rohan, siège de l'hôtel de ville de Bordeaux. © Photo Patrick Despoix, 2013
Le Palais Rohan, siège de l'hôtel de ville de Bordeaux.
Photo Patrick Despoix, 2013

Paris, Bordeaux, Lyon, Nantes. Les chiffres sont alarmants. Dans une étude datée du 8 mai 2020, France Festivals, fédération française de festivals de musique et de spectacle vivant, estime que « les pertes économiques totales » liées au Covid-19 pour les 4 000 festivals culturels seraient comprises entre 2,3 milliards et 2,6 milliards d’euros. Côté villes, on commence aussi à faire les comptes. Bordeaux estime à 3,5 millions d’euros le déficit des associations et à 6 millions les besoins en soutien pour les grandes institutions culturelles comme l’Opéra, la Cité du vin ou le Théâtre national. « Même si rien n’est acté aujourd’hui pour le soutien aux grandes institutions, nous nous tenons prêts à débourser cette somme de 6 millions d’euros », affirme Fabien Robert, premier adjoint au maire, chargé de la culture.

Face au désastre, les villes parent au plus pressé. Des plans d’urgence pour la culture sont peu à peu mis en place dans l’Hexagone, à l’instar de celui voté par le Conseil de Paris le 18 mai dans lequel 15 millions d’euros de soutien aux artistes et acteurs culturels ont été annoncés. Ailleurs, Bordeaux, Nantes et Lyon sont en train de se mobiliser.

Versement des subventions

La première concrétisation de ces soutiens vient sous la forme du maintien des subventions aux associations. Paris va verser de manière anticipée les contributions annuelles de fonctionnement, ce pour un montant global de plus de 100 millions d’euros. « Nous devons veiller à ce que les manifestations et les structures les plus petites ne soient pas fragilisées », relève l’adjoint à la culture d’Anne Hidalgo, Christophe Girard. « Cette épidémie nous apprend que nous devons nous attacher à ce qui est plus délicat », souligne-t-il. Raison pour laquelle la Ville prévoit, en plus, une aide de 12 millions d’euros pour les acteurs culturels en difficulté qu’elle soutient régulièrement. Même démarche à Lyon où la municipalité a procédé au versement rapide des subventions votées en janvier 2020, sur le fonds du service « création et diffusion artistique » et de fonds individualisés. « Le montant total est de 13,83 millions d’euros, précise Loïc Graber, adjoint à la culture de la Mairie de Lyon. Ces versements, qui peuvent parfois prendre du temps, permettent de renforcer la trésorerie des structures impactées par l’arrêt d’activité. » Nantes mène une politique volontariste analogue où, sur « un budget global de 100 millions à la culture, les 65 millions de subventions aux associations ont été maintenues avec un versement accéléré », signale David Martineau, adjoint à la culture de la Ville.

Des fonds d’urgence culture

En parallèle, les Villes ont mis en place des fonds d’urgence. « À Bordeaux, nous avons ouvert un fonds d’urgence de 1 million d’euros pour les associations, sans plafond, ni plancher, ni date butoir car certaines structures ne peuvent pas encore évaluer leurs pertes », précise Fabien Robert. Le maire a signé le 22 mai un premier décaissement de 250 000 euros. Dès le 23 mars, Nantes a voté un « fonds d’urgence culture exclusivement » de 1 million d’euros. « Ce plan est destiné aux petites structures indépendantes, aux maillons les plus fragiles de la chaîne comme les compagnies d’artistes ou les petits ateliers, explique David Martineau. C’est une aide au fonctionnement sans contrepartie de projet. » Pour les acteurs culturels les plus fragiles, une seconde enveloppe de subventions d’un montant total de 547 000 euros a été décidée à Lyon par une ordonnance du 1er avril. « Ces subventions qui auraient dû être votées par les conseils municipaux de juin et juillet ont été versées par anticipation afin d’abonder la trésorerie de 86 structures fragilisées », souligne Loïc Graber.

Dans le même temps, 55 000 euros de subventions supplémentaires viendront en soutien de la douzaine d’écoles de musique lyonnaises. Même coup de pouce à la musique à Paris qui a décidé d’abonder à hauteur de 500 000 euros le fonds de secours mis en place pour le secteur et confié au Centre national de la musique. De manière analogue, Nantes soutient les artistes et techniciens du monde de la musique en doublant sa participation au fonds du GIP Cafés Cultures (dispositif d’aide à l’emploi artistique), afin que bars et restaurants salarient les artistes et les techniciens dans de meilleures conditions. « Notre participation passe donc de 50 000 à 100 000 euros afin de soutenir l’emploi de ce secteur sinistré », indique David Martineau.

Le spectacle vivant n’est pas oublié et la capitale a décidé d’abonder à hauteur de 700 000 euros le fonds d’urgence confié à l’Association pour le soutien aux théâtres privés et destiné aux compagnies, théâtres privés et tourneurs. « Avec cette crise, nous sommes plus dans le détail et les théâtres d’arrondissement sont en train de s’ancrer dans la ville du quart d’heure », fait observer Christophe Girard. La Ville va aussi abonder à hauteur de 50 000 euros le fonds de solidarité d’urgence de la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) destiné aux auteurs les plus en difficulté.

Des crédits d’acquisition d’œuvres d’art orientés

L’art contemporain, en souffrance avec cette crise, n’est pas non plus délaissé. Avec un budget exceptionnel de 170 000 euros pour des acquisitions d’œuvres, le Fonds d’art contemporain-Paris Collections vise à soutenir les artistes plasticiens. De même, Christophe Girard, qui a annoncé que la forme de la Nuit blanche 2020 serait revue et sa direction artistique confiée à quatre directeurs de musée, insiste sur le fait « de veiller à ce que les manifestations d’art contemporain plus petites comme Galeristes (salon dirigé par Stéphane Corréard), ne soient pas affaiblies par un manque de fréquentation ni déstabilisées au bénéfice des grandes foires ». C’est aussi la raison pour laquelle Lyon a choisi d’accorder cette année sa priorité au territoire, en orientant ses crédits annuels d’acquisition d’œuvres d’art – ceux de l’artothèque de la bibliothèque municipale, du Musée d’art contemporain, ou encore des Musées Gadagne – vers les galeries et artistes locaux.

Bordeaux va de son côté débourser 300 000 euros pour bâtir un plan d’animation culturelle et de création au cœur de la ville qui fera intervenir aussi bien le théâtre de rue et le cirque que la musique, les arts plastiques ou le numérique. « De manière plus prospective, nous souhaitons lancer une commande publique exceptionnelle, un appel à projets qui concernera tous les arts, et nous allons demander à la Région et à l’État de participer à ce fonds pour financer plusieurs artistes et plusieurs créations », explique Fabien Robert.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°547 du 5 juin 2020, avec le titre suivant : Les villes jouent les urgentistes de la culture

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