PARIS
Nouvelle venue, Paris+, l’antenne française d’Art Basel, capte toute l’attention et sert de locomotive à de nombreuses manifestations qui font fi du contexte géopolitique.
Paris. Après deux automnes bouleversés par la crise sanitaire, la semaine traditionnelle de l’art contemporain autour de la Fiac (autrefois) est cette année perturbée par la guerre en Ukraine et ses conséquences sur l’approvisionnement énergétique. Perturbée ? À dire vrai, c’est encore difficile à affirmer : le marché de l’art se porte très bien, le pouvoir d’achat des collectionneurs n’est pas vraiment affecté et ce ne sont pas les oligarques russes qui constituent le gros des acheteurs. Il n’en reste pas moins que ce sombre contexte va peser dans les esprits.
Une grande partie de l’attention va naturellement se porter sur « Paris+ par Art Basel » qui remplace la Fiac. Clément Delépine, le directeur de la nouvelle manifestation tente de diminuer les attentes. « Tout est allé très vite depuis l’annonce en janvier dernier de notre arrivée », tient-il à rappeler. Il a fallu constituer une équipe (aujourd’hui vingt-deux personnes), trouver des locaux (au bas des Champs-Élysées dans des espaces de coworking) et sélectionner les galeries. Ici, le problème est moins de convaincre les marchands de venir – ce qui est le lot de presque toutes les foires – que de choisir les « bonnes » galeries. Un problème rendu plus épineux encore par la diminution de la surface du Grand Palais éphémère – un tiers par rapport au Grand Palais fermé pour travaux. Lorsqu’en 2018 la Fiac pouvait accueillir environ 190 galeries au Grand Palais, elle ne pouvait plus inviter que 170 marchands en 2021. Voulant tout à la fois disposer de plus d’espaces de service et permettre à certains d’avoir un stand plus grand, Paris+ a réduit le nombre de galeries à 156 – pour 600 candidatures reçues.
Paris+ a dû tailler dans le quota des galeries françaises (28 % et 38 % en comptant les galeries étrangères installées à Paris) alors que ce taux était de 36 % (45 % avec les marchands étrangers à Paris) pour l’édition 2021 de la Fiac. Sans surprise, la quasi-totalité des galeries françaises présentes cette année (44) exposaient à la Fiac l’année dernière. Ce qui n’est pas le cas des galeries étrangères, sans antenne à Paris, au nombre de 97.
L’atout d’Art Basel : les galeries et collectionneurs étrangers
C’est ici que la force de frappe de l’organisateur d’Art Basel est le plus manifeste. Sur ces 97 galeries, seules 46 étaient présentes à la Fiac 2021, les autres sont les clients habituels d’Art Basel et non des moindres : les américaines, et tout particulièrement new-yorkaises, Acquavella, Luhring Augustine, Miguel Abreu, Greene Naftali, Peter Freeman ; les berlinoises Michael Werner, Sprüth Magers ; les anglaises (Londres) Lisson ou Sadie Coles… Un signe qui ne trompe pas est le nombre de galeries étrangères (14) présentes à Frieze London la semaine précédente et qui ne venaient généralement pas à la Fiac.
La force de frappe d’Art Basel se mesure également dans sa capacité à faire venir à Paris les collectionneurs étrangers. Elle dispose d’une équipe de vingt-six délégués répartis dans le monde entier, chargés d’identifier et de nouer des relations privilégiées avec eux. Ce réseau inestimable, qu’aucun autre organisateur de foires ne dispose, est l’outil le plus performant – et le moins bien connu – pour assurer un flux d’acheteurs dans les stands. Car lorsque les portes du Grand Palais éphémère se refermeront, ce qui comptera le plus c’est justement le volume des transactions. En retour, les galeries ont été fortement incitées à exposer leurs plus belles pièces. Les collectionneurs VIP les plus privilégiés pourront bien entendu être les premiers à entrer dans la foire le matin du mercredi 19 octobre, suivi des VIP l’après-midi, avant le vernissage le lendemain entre 11 heures et 15 heures.
Paris+ est très attendue sur le confort – on dit aujourd’hui « l’expérience » – des visiteurs, une gageure compte tenu des services limités qu’offre le Grand Palais éphémère. Clément Delépine promet une organisation « Art Basel », c’est-à-dire « à la suisse » : ordonnée, fluide, précise. Comme pour la Fiac, une tente a été ajoutée dans la direction de la tour Eiffel, avec une répartition homogène – sous-entendu des grandes et moyennes galeries – entre les deux espaces. Le confort de visite n’est pas qu’une obligation pour les VIP, c’est aussi une nécessité pour le grand public qui va acheter sa place chèrement (40 €) et uniquement sur Internet. Paris+ n’indique pas son objectif de visiteurs, et encore moins de visiteurs payants, mais ces derniers comptent beaucoup dans l’équilibre financier. L’an dernier, la Fiac avait accueilli 47 000 visiteurs.
Paris+ est d’autant plus attendue sur la qualité des galeries et l’organisation que, contrairement à ce qui avait été promis, cette première édition n’offrira pas de passerelles vers d’autres industries culturelles, comme la mode ou le cinéma. Cela avait pourtant été un argument majeur pour emporter l’appel d’offres face à la Fiac. « Compte tenu des délais de mise en œuvre, nous nous sommes concentrés sur la foire », plaide Clément Delépine, préférant mettre en avant le programme de conférences qui se tiendra dans une péniche amarrée au pied de la tour Eiffel, ainsi que les installations dans l’espace public (jardin des Tuileries, place Vendôme…).
Foires « off », un paysage en constante mutation
Comme pour la Fiac en son temps, Paris+ est une locomotive entraînant à sa suite de nombreux autres événements marchands. Et comme chaque année, le « off » affiche un visage nouveau. Ainsi l’ancien Art Élysées, renommé Moderne Art Fair, a aussi changé d’adresse et d’ambiance. Les tentes auxquelles on s’était habitué le long des Champs-Élysées sont remplacées par un immeuble impersonnel de l’autre côté de la place de l’Étoile. Un pari risqué pour les deux directrices de cette foire. Chemin inverse pour Asia Now, le salon spécialiste de la scène asiatique quitte l’avenue Hoche pour la rive gauche et la Monnaie de Paris, réussissant au passage à attirer des galeries de qualité, dont certaines sont même présentes à Paris+.
AKAA, la foire d’art contemporain africain, a bondi sur le créneau laissé libre par la disparition du salon Galeristes de Stéphane Corréard au Carreau du Temple, ce qui lui permet d’avancer ses dates de novembre à octobre, tout en restant dans un lieu familier de son public ; une dynamique favorable pour cette septième édition. De son côté, Paris Internationale s’installe boulevard des Capucines à l’ancienne adresse du studio de Nadar où se tint la première exposition impressionniste.
Une telle effervescence pousse naturellement certains organisateurs de salons à créer de nouveaux événements. Cette année, c’est un ancien de la Fiac, Jean-Daniel Compain qui, après avoir créé cet été BAD+ à Bordeaux, récidive avec un salon intimiste sur l’image fixe et vidéo, Offscreen. Les maisons de ventes ne sont pas en reste et la plupart d’entre elles organisent des vacations d’art contemporain.
Sur fond des grandes expositions parisiennes
La manifestation commerciale se déroule au moment où les musées parisiens inaugurent leurs grandes expositions d’automne contribuant à créer un effet de masse, et à donner encore plus de raisons aux collectionneurs étrangers de venir à Paris. Curieusement, il n’y a pas tant que cela de grande exposition d’art contemporain, si ce n’est Gérard Garouste et les nommés du prix Marcel Duchamp au Centre Pompidou, Anri Sala à la Pinault Collection, le nouvel accrochage du Palais de Tokyo et les derniers jours de Sally Gabori à la Fondation Cartier. C’est en art moderne que les têtes d’affiche sont plus réputées : Oskar Kokoschka au Musée d’art moderne de Paris, Edvard Munch à Orsay et Claude Monet-Joan Mitchell à la Fondation Vuitton.
Ce bouillonnement indique-t-il que Paris a retrouvé le rang qui lui est dû dans le marché de l’art, comme de nombreux marchands aiment à le relever ? S’il y a indiscutablement une dynamique dont le signe le plus tangible est l’installation de galeries internationales à Paris, la France représentant 7 % du marché de l’art mondial en 2021 reste loin derrière Londres (17 %), la Chine (20 %) et les États-Unis (43 %), selon le rapport « Clare McAndrew ». Le Brexit ne joue pas en faveur de Londres, comme la tension avec la Chine ne joue pas en faveur de Hongkong. Mais il se pourrait que ce soient les États-Unis qui sortent une nouvelle fois gagnants de cette rivalité. Mais qu’importe, il suffit de se convaincre d’être dans une dynamique positive pour que la fête soit réussie.
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La scène parisienne veut conjurer les crises de l’automne
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°596 du 7 octobre 2022, avec le titre suivant : La scène parisienne veut conjurer les crises de l’automne