Les galeries françaises sortent le grand jeu

Paris. On retrouve au Grand Palais éphémère, à quelques exceptions près, la quarantaine de galeries françaises sélectionnées l’année précédente à la Fiac. Beaucoup ont réservé pour l’occasion des pièces historiques, hors normes, ou simplement très attendues par les collectionneurs : d’une toile de Jean Hélion (Composition constructiviste, 1930-1931), estimée entre 800 000 et 1 million d’euros sur le stand de la Galerie le Minotaure (Paris), à une tapisserie XXL de Laure Prouvost chez Nathalie Obadia (Paris, Bruxelles). La rareté et la nouveauté sont de rigueur, la pertinence de l’accrochage un raffinement supplémentaire. Voici un aperçu de ce que l’on pourra voir, et acheter, dans les allées du Grand Palais éphémère.

Le stand de la galerie reflète autant son engagement auprès des artistes émergents, en milieu de carrière et plus établis, que son approche conceptuelle radicale. Il instaure un dialogue entre un ensemble de Mel O’Callaghan (une installation vidéo aux allures de totem et des peintures sur verre), des sculptures et des tableaux postminimalistes de Daniel Turner – actuellement à l’affiche de la Kunsthalle Basel –, réalisés à partir de métal provenant d’institutions psychiatriques, et des toiles de la série « Billiards » de la fin des années 1970 de Jacqueline de Jong, le tout surplombé par une sculpture lumineuse de Trevor Yeung. Prix entre 10 000 et 100 000 euros environ.

Revue d’art, de poésie et de littérature créée à Paris par des Anglo-Saxons au début des années 1950, The Paris Review sert de référent culturel au stand de Balice Hertling qui réunit des pièces de Julie Beaufils, Pol Taburet, Isabelle Cornaro, Ser Serpas, Will Benedict, Rafik Greiss… Autant d’artistes français et étrangers ayant en commun leur choix de vivre et travailler dans l’Hexagone. Parmi eux, le poète et romancier Dennis Cooper, dont est présentée une installation de gifs animés, entre art numérique et nouvelles formes d’écriture visuelle. Prix de 3 000 à 20 000 euros environ.

La galerie continue à creuser le sillon du mouvement Supports-Surfaces (incarné par des œuvres sur papier de Louis Cane, des peintures de Marc Devade et de Noël Dolla, un Arrangement. Branchages et briques creuses de Bernard Pagès, une peinture sur tissu de Claude Viallat), tout en l’ouvrant à Nancy Graves (1939-1995), artiste américaine de la même génération présente dans de nombreuses collections publiques françaises et étrangères. Impossible de ne pas remarquer sur le stand son Zymurgy (1988), en acier et patine polychrome, témoignant de sa formidable capacité à mélanger sculpture et peinture. Prix entre 75 000 et 150 000 euros.

Peu d’œuvres, mais des pièces visuellement fortes. Un tableau inédit d’Hélène Delprat, dont on n’a pas vu de peinture en galerie depuis plus d’un an, des œuvres murales sculpturales d’Éric Baudart [voir ill.], une imposante sculpture d’Anita Molinero, intitulée Saskia– en référence au roman futuriste Les Furtifs d’Alain Damasio – et qui fut présentée il y a quelques mois dans l’exposition monographique, « Extrudia », consacrée à la plasticienne par le Musée d’art moderne, et un grand dessin au charbon de Richard Nonas (1936-2021). Prix de 20 000 à 100 000 euros environ.

Un stand en forme de bande-annonce déroulée autour de L’Aléatoire, sculpture de Jean Dubuffet qui en occupe le centre, en écho à l’exposition en cours à la galerie, de même qu’une impression numérique de David Hockney préfigure la présentation à venir d’inédits du peintre britannique. Et encore : une toile de Barthélémy Toguo, dont la pyramide du Louvre accueille, à partir d’octobre, une installation monumentale, une peinture cosmique de Fabienne Verdier créée pour le Musée Unterlinden de Colmar, qui lui consacre cet automne une exposition monographique. Mais aussi, des œuvres de Ficre Ghebreyesus (1962-2012), Kiki Smith, Christine Safa… Prix de 3 000 à plus d’un million d’euros.

Le stand de la galerie rassemble une sélection d’œuvres récentes de ses artistes, dont une importante sculpture de Bernar Venet, en amont de l’exposition qui lui sera consacrée en mars 2023 dans les trois espaces du Marais et de l’avenue Matignon. Côté découverte : une nouvelle peinture d’Emma Webster [voir ill.], qui vient également de rejoindre la galerie, ainsi qu’une nouvelle œuvre de la série « Galaxy » de Tavares Strachan, exposé conjointement cet automne avec Marian Goodman. Les prix les plus abordables, à partir de 50 000 euros, concernent certaines œuvres de Xavier Veilhan, Laurent Grasso, Lee Bae ou Claude Rutault. Compter entre 70 000 et 80 000 euros pour une sculpture de Jean-Marie Appriou.

En 2014, la présentation à la Fiac de seize peintures de Georges Mathieu (1921-2012), réalisées entre 1948 et 1959, avait fait sensation. Huit ans plus tard, la galerie tente de renouveler cet exercice en présentant un nouvel ensemble de huit tableaux de celui que Franck Prazan considère comme le fondateur de l’abstraction lyrique. Illustrations avec Jacques de Mailly au siège d’Ascalon, une grande toile de 1958, Petite suite d’étranglements (ou Petite suite d’égorgements), et autres Hommage hérétique (dédicacé au critique d’art Michel Tapié). Prix de 380 000 à 1,6 million d’euros.

Quelques représentants de la scène française (Jean-Michel Alberola, Gérard Garouste, à l’affiche du Centre Pompidou, Philippe Cognée, auquel le Musée de l’Orangerie consacrera une exposition début 2023, mais aussi Prune Nourry, ou encore la jeune Jeanne Vicérial) conversent avec des artistes issus de scènes étrangères comme le néo-pop Robin Kid, le peintre sénégalais Omar Ba, bientôt exposé par le Musée de Baltimore, Chiharu Shiota, Japonaise établie à Berlin, bien connue pour ses installations de fils, ou encore Kehinde Wiley dont l’exposition « Une archéologie du silence » a été organisée par la galerie et le Musée d’Orsay en marge de la Biennale de Venise. Prix de 40 000 euros à 700 000 euros.

Un stand « côté cour, côté jardin », pour mettre en scène les artistes patrimoniaux (avant-gardes des années 1960 et Nouveau Réalisme) et les plus actuels. Le décor du premier espace comporte ainsi une lampe de Jean Tinguely (1925-1991), un banc de Martin Kersels, et quelques tableaux dont un rare de Jacques Villeglé (1926-2022) des années 1950 de sa série la plus célèbre, « La lettre lacérée », une double tôle historique de Raymond Hains (1926-2005), ou encore l’un des Peter Stämpfli monumentaux présentés à la Biennale de Venise et réservé pour la foire… Au second plan, une page du Dictionnaire de Gilles Barbier, un American Landscape d’Alain Bublex, des pastels sur papier de Pierre Seinturier… Prix de 10 000 à 400 000 euros.

La galerie œuvre actuellement à la redécouverte de l’artiste Pic Adrian (1910-2008), dont un ensemble est présenté dans son espace de la rue de Seine et dont elle réunit ici un corpus de peintures abstraites, dialoguant avec celles de Joan Miró et de Pierrette Bloch. Un focus est également consacré au travail du peintre belge prématurément disparu Stéphane Mandelbaum (1961-1986), actuellement à l’affiche du MMK, à Francfort. Des dessins de Le Corbusier et de Jean Dubuffet complètent cette présentation entre valeurs sûres et pépites exhumées. Prix de 15 000 à 400 000 euros.