Art contemporain

Sophie Calle déconstruit Picasso

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 30 novembre 2023 - 396 mots

PARIS

Invitée à dialoguer avec les œuvres du peintre catalan, Sophie Calle échappe à l’exercice avec malice et se met au premier plan.

Paris. Le Musée Picasso a invité Sophie Calle dans le cadre de son programme de la « Célébration Picasso 1973-2023 ». Puisqu’il semblait difficile de se confronter à ce monument de l’histoire de l’art avec lequel elle entretient peu de liens, Sophie Calle a choisi de jouer avec l’idée de postérité. Le dialogue avec le peintre espagnol est ainsi évacué au rez-de-chaussée, où sont présentées trois des quatre toiles de la collection qu’elle a laissé visibles – la quatrième, le portrait de La Célestine, est placée à la façon d’une icône dans « une salle de consolation ».

Se déploient ensuite la série des Picasso confinés, un souvenir de la pandémie de Covid lorsqu’en plein confinement, Sophie Calle a pris en photo des tableaux du musée désert, recouverts de voile blanc pour les protéger, et Les Picasso fantômes cinq tableaux qu’elle a voilés et accompagnés d’une légende élaborée d’après des descriptions des employés du musée. Ramenée à sa superficie de 27 mètres carrés, Guernica, pièce maîtresse conservée au Musée Reina Sofía et référence incontournable, est traitée sous forme de puzzle, à partir des œuvres de la collection personnelle de l’artiste, qui invite ainsi ses contemporains dans le jeu.

Au premier étage, Sophie Calle montre deux de ses séries sur le regard et l’imaginaire, « Les aveugles » (1986), dans laquelle elle questionne des non-voyants sur leur conception de la beauté, et « Voir la mer » (2011).

La postérité est indissociable de la perspective de la mort. Or la disparition est au centre de l’œuvre de Sophie Calle, qui s’en donne donc à cœur joie, en présentant, sous forme d’inventaire de maison de ventes, la quasi-intégralité de ses biens expertisés, dans une tentative d’objectivation qui n’empêche pas la sentimentalité : les objets ont leur histoire.

Les deux derniers niveaux proposent un bilan rétrospectif de l’ensemble de ses projets. La liste de ceux qu’elle a menés à bien est dressée à partir des titres des polars de la collection Série noire – celui de l’exposition « À toi de faire, ma mignonne » est emprunté à Peter Cheney. Les autres, restés inachevés, offrent un échantillon assez désopilant des embûches qui jalonnent la carrière d’un artiste. Cette invitation aurait pu en faire partie, mais Sophie Calle parvient avec une malicieuse maestria à se sortir de ce traquenard.

Sophie Calle, À toi de faire, ma mignonne,
jusqu’au 7 janvier 2024, Musée Picasso, 5, rue de Thorigny, 75003 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°622 du 1 décembre 2023, avec le titre suivant : Sophie Calle déconstruit Picasso

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