PARIS
Le centre d’art présente une galerie de portraits filmés, photographiés ou écrits de la figure maternelle. Les artistes invités y font état du rapport entretenu avec leur propre mère.
Paris. Chantal Akerman disait de sa mère qu’elle était « le seul sujet de ses films ». Chez d’autres artistes, la figure de la mère, les liens et les rapports entretenus avec elle ont généré au contraire une seule œuvre à un moment donné de leur vie. L’exploration des différentes représentions de leur mère par les artistes n’avait à notre connaissance jamais fait l’objet d’une exposition. Julie Héraut, responsable Exposition et Recherche au Bal, espace d’exposition parisien consacré à l’image, explore ce sujet, avec la complicité de Diane Dufour, co-directrice du Bal, au travers d’une sélection d’œuvres réalisées par 22 artistes, entre les années 1960 et aujourd’hui. Film, vidéo ou photographie : l’exposition offre une belle variété d’approches formelles et esthétiques ponctuées par des extraits de La Chambre claire de Roland Barthes, de Ma mère rit de Chantal Akerman, de L’Image fantôme d’Hervé Guibert, et du poème de Pier Paolo Pasolini « Supplique à ma mère » où il la conjure « de ne pas mourir », constituant l’un des moments les plus émouvants du parcours.
La figure de la mère revêt plusieurs formes et s’illustre tant dans les lettres que la mère de Chantal Akerman lui adressait, dans le film News from Home, que par le voyage entrepris par Sophie Calle au pôle Nord pour enterrer le portrait de sa mère et quelques-uns de ses bijoux. La lecture par Mona Hatoum de sa correspondance avec sa mère dans Measures Of Distance, film que l’artiste d’origine palestinienne a réalisé en 1988 à partir d’images filmées de sa mère prenant une douche quelques années plus tôt, convoque ainsi autant l’intime, la douleur éprouvée à la suite de leur séparation, lors de la guerre civile libanaise, que la désapprobation du père vis-à-vis de ce projet de film. Dans le documentaire Intervista (1998), Anri Sala questionne le passé de militante communiste de sa mère sous le régime totalitaire albanais d’Enver Hoxha.
Aborder l’histoire d’un pays ou d’une ville par la filiation revêt une dimension particulière dans la monographie The Notion of Family de LaToya Ruby Frazier. Entamé pendant l’adolescence et poursuivi pendant douze ans en collaboration avec sa mère, ce récit photographique s’il documente le déclin d’une ville sidérurgique américaine, qui a employé des générations de travailleurs afro-américains, permet à LaToya Ruby Frazier de retracer aussi sa propre histoire familiale et de construire une relation avec sa mère que la drogue a fragilisée.
D’une œuvre à l’autre, plusieurs registres sont explorés comme celui de l’humour et du jeu de rôles. Les Saynètes comiques réalisées en 1974 par Christian Boltanski dans lesquelles l’artiste surjoue d’une manière clownesque son enfance, ou la malicieuse connivence mise en scène par Bernhard Blume avec sa mère dans Ödipale Komplikationen ? (Complication œdipienne ?) forment de délicieuses irrévérences. Elles permettent d’ouvrir sur des œuvres historiques ou méconnues, contrairement au questionnement œdipien de Michel Journiac, dans Hommage à Freud, quatre photographies dans lesquelles il se métamorphose en sa propre mère.
La mort de la mère, ou sa disparition annoncée, offre des approches tout aussi variées dont celle de la jeune photographe Rebbeka Deubner qui, à partir des vêtements laissés par sa mère morte brutalement, compose un vestiaire aux couleurs acidulées et légères redonnant une nouvelle vie à ce qui fut porté.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°622 du 1 décembre 2023, avec le titre suivant : Au Bal, les artistes et leur mère