Vers un cinquième pouvoir

28 février 1994, soirée à la chapelle de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris : des lecteurs saluent le premier numéro du Journal des Arts et son projet novateur, « Art is news ». Offrir un journal d’information d’ambition mondiale dans un domaine où le lecteur disposait seulement de magazines ou de revues. Réagir à l’actualité, grâce à une technique d’impression en noir et blanc, privilégiant le texte à l’image, rapide comme celle d’un quotidien. Ne plus, par exemple, devoir se cantonner à annoncer les événements, les expositions avant leur ouverture, mais rendre compte aux lecteurs de manifestations vues par la rédaction et qu’il pourra encore découvrir lorsque le JdA sera en kiosque. Élargir ainsi la fonction critique du journal, espérer pouvoir un peu exercer dans le domaine artistique ce quatrième pouvoir revendiqué par la presse généraliste. Ne plus traiter un sujet, une enquête du seul point de vue français, mais, grâce au réseau de correspondants liés aux partenaires éditoriaux, Il Giornale dell’Arte et The Art Newspaper, leur donner un horizon international. Il y a vingt ans, l’information était ressentie comme un besoin, non comme une « pollution » !

Le WorldWideWeb [ou Web], créé cinq ans avant la naissance du JdA, a bien sûr bouleversé la donne, mais les objectifs de qualité doivent rester les mêmes. Notre quotidien est connecté, prétendument en temps réel, mais plus que jamais, nous avons besoin d’une information, certes rapide, mais précise et vérifiée, rigoureuse, indépendante et objective autant que faire se peut. Blogs, « pure players », médias alternatifs ou participatifs poussés par les réseaux sociaux, même s’ils inventent d’autres modes d’échange qui diversifient la communication, ne visent pas forcément ces objectifs. Il y a deux décennies, l’indépendance de la presse reposait déjà sur un modèle économique fragile, la transition vers le bimédia, avec l’espoir d’une relance du chiffre d’affaires par le numérique, est un nouveau défi. Produire des contenus de qualité exige des compétences, réaliser une véritable enquête mobilise beaucoup de temps, donc les moyens financiers, quel que soit le support de diffusion. Par ailleurs, le bel idéal d’une Toile libre, gratuite, favorisant l’émancipation démocratique, est aussi déchiré par la découverte de la puissance de contrôle que peut exercer l’araignée, surveillance économique, commerciale, politique… Et des « lanceurs d’alerte » ont fait plus que la presse traditionnelle pour révéler et dénoncer cette intrusion inadmissible dans la vie privée. Les questions déontologiques se posent encore et toujours, mais aujourd’hui à l’échelle planétaire, car le cinquième pouvoir émergent ne pourra se réguler au seul niveau national. Non, Bill Viola, la pollution ne résulte pas du trop-plein mais de l’action dévastatrice d’une minorité, qui appelle un sursaut et un nouveau droit international.