Les biennales, une mondialisation limitée

Par Laurent Jeanpierre · Le Journal des Arts

Le 26 mars 2014 - 501 mots

Lorsqu’il s’agit de démontrer que l’art s’est internationalisé de manière croissante depuis vingt ans, il est fréquent de prendre les biennales, triennales et quadriennales pour illustrer la mondialisation en cours.

Avec les foires internationales d’art, ces manifestations représentent des vitrines de plus en plus ouvertes à la création plastique de tous les continents. Or le nombre de ces biennales, bien que moins important que celui des foires, n’a cessé de croître au cours des deux dernières décennies. Depuis dix ans, selon la base de données Artfacts.net, ce total oscille entre 50 et 90 suivant les années. Un chiffre probablement sous-estimé, de nombreuses expositions récurrentes d’art ayant lieu hors des grandes capitales traditionnelles de la création artistique, dans des villes de province, comme à Rennes en France ou à Pusan en Corée du Sud. Le sentiment d’une extension internationale des biennales doit être nuancé par deux réserves.   La première tient au flou de la catégorie, qui rassemble en ­réalité des manifestations de nature très différente. Dans certains cas, comme à Venise ou à Moscou, les États et leur diplomatie occupent une place centrale dans la sélection ou la promotion des artistes qui sont exposés. Dans d’autres pays, la biennale n’est guère plus qu’une exposition thématique dispersée sur plusieurs sites et destinée ­essentiellement à drainer des tou­ristes et des revenus économiques.

Une deuxième interrogation porte sur le degré effectif d’internationa­lisation de l’art que présentent les biennales. Certes, comme l’a montré le sociologue Alain Quemin, ces dernières représentent, mieux que les foires, les artistes de pays « périphériques » dans le système-monde de l’art contemporain. Sans surprise, cette ouverture est plus prononcée dans les manifestations organisées en dehors de l’Occident, comme à La Havane, qui fut l’un des premiers lieux de mondialisation de l’art, ainsi que de construction d’un récit alternatif à l’histoire « occidentalo-centrée » et moderniste de l’art moderne et contemporain. En revanche, les sélections ou les palmarès d’une biennale comme celle de Venise tendent à reproduire fidèlement la hiérarchie des nations dans le monde de l’art où dominent les États-Unis, suivis de l’Allemagne et d’autres pays européens. Cette relativisation du caractère mondial de l’art exposé dans les biennales apparaîtrait également si l’on s’intéressait à la liste limitée de leurs commissaires : une poignée d’individus passant d’une manifestation à l’autre, la plupart du temps formés en Occident, quelles que soient par ailleurs leur origine nationale. La pluralité des artistes et la variété des formes représentées se trouvent naturellement affectées par une telle concentration culturelle du commissariat des biennales. Qu’importe en effet le lieu d’exposition ou la nationalité des intermédiaires si les commissaires du Nord et du Sud ont tous étudié au Nord, dans un cadre de pensée très proche ?

Les biennales n’en demeurent pas moins l’une des mises en scène à grande échelle les plus abouties de la diversité de la création artistique contemporaine. Mais cette diversité, nationale, esthétique, thématique, peut encore être étendue. Qu’on le déplore ou que l’on s’en félicite, les frontières de l’art n’ont pas fini d’être repoussées.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°410 du 28 mars 2014, avec le titre suivant : Les biennales, une mondialisation limitée

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