Alors que le duopole Christie’s et Sotheby’s s’est formidablement renforcé en vingt ans dans le monde occidental, il doit faire face à la montée en puissance d’une Chine protectionniste.
La mondialisation a considérablement modifié le paysage des ventes aux enchères. L’une des tendances les plus significatives de ces vingt dernières années est le très fort développement de Christie’s et Sotheby’s. Même si leur part sur le marché est passée de 70 % dans les années 1990 à 36 % en 2013 selon le cabinet de conseil Art Economics, ceci par un effet mécanique de la montée en puissance du marché chinois contrôlé par les opérateurs nationaux, leur poids réel est bien supérieur à ce qu’il était. En 1994, le chiffre d’affaires de Sotheby’s était de 1,3 milliard de dollars (944 millions d’euros). En 2013, il est de 6,3 milliards d’euros. Même constat chez Christie’s, puisque, en 1995, son chiffre d’affaires était également de 1,3 milliard de dollars alors que désormais il est de 7,1 milliards de dollars. Très tôt, les deux auctioneers se sont ouverts sur l’international en s’installant dans les grandes capitales. « Les autres maisons de ventes n’ont pas fait ce choix. Par exemple, en France, les commissaires-priseurs ont laissé s’échapper une belle opportunité, celle d’acquérir Parke-Bernet à New York, leader aux États-Unis dans les années 1950 », explique Bruno Faivre-Reuille, antiquaire à Paris. Or Sotheby’s a su saisir cette opportunité. À l’époque, la maison était encore anglaise mais cette acquisition va lui ouvrir les portes des grandes collections américaines. Cette implantation à l’échelle mondiale permet à ces sociétés de faire se rencontrer l’offre et la demande, en déplaçant les d’œuvres d’art d’un pays à un autre pour qu’elles se vendent au mieux. Les collectionneurs se déplacent aussi, achetant un jour à New York, le lendemain à Londres, rassurés par la marque solide que les deux maisons de ventes ont su bâtir.
Véritable réacteur nucléaire, les fichiers clients de Sotheby’s et Christie’s ont largement contribué à leur essor. Très bien renseignés, ils permettent d’inciter leurs clients à mettre des œuvres en vente ou à acheter en fonction de la nature de leur collection. Une des principales missions des experts avant une vente est de négocier des préachats. « Le but de l’expert n’est pas de traiter avec un client mais de traiter une deuxième fois avec ce client. Il faut donc le fidéliser et lui donner envie de retravailler avec nous », explique Thomas Bompard, ex-directeur du département d’art impressionniste et moderne de Sotheby’s Paris, désormais marchand indépendant.
Le succès de ces deux auctioneers repose aussi sur un marketing très sophistiqué : « Sotheby’s et Christie’s parviennent à transformer une simple communication commerciale en une redoutable machine à rêve. Il y a une surmédiatisation impliquant une fascination mêlée de répulsion pour les œuvres d’art qui valent très cher et que l’on ne comprend pas », souligne Thomas Bompard. Catalogues prestigieux, frais à la charge de l’acheteur négociables : difficile pour les concurrents occidentaux de jouer sur le même terrain. Et dans un marché fondamentalement déterminé par l’offre, c’est-à-dire par la qualité des marchandises mises en vente, les deux entreprises parviennent à « sortir » de belles pièces, en convainquant soit leurs propres clients, soit de nouveaux vendeurs séduits par leur image.
Milliardaires chinois
Mais toute la planète n’a pas succombé aux sirènes anglo-saxonnes. Une nouvelle capitale du marché de l’art s’est imposée ces dix dernières années : la Chine. Elle s’est hissée dans le duo de tête, alors qu’au début des années 1990 le pays était dépourvu de maison de ventes. Excepté Hongkong rétrocédée à la Chine en 1997 et qui bénéficie d’un statut à part, la Chine continentale a pu développer un marché local contrôlé par des acteurs locaux, parmi lesquels Poly Auction (créée en 2005) et China Guardian Auctions Co. (née en 1993), les deux principales sociétés de ventes chinoises. En 2013, la Chine a cumulé 7,5 milliards d’euros d’adjudications, soit 33 % du marché mondial des enchères (source Art Economics). À quoi est due cette ascension fulgurante de la Chine ? Au début des années 2000, elle est en plein boom économique, ce qui va favoriser l’émergence de nouveaux milliardaires chinois, qui dépensent sans compter, « soucieux de se réapproprier les œuvres du passé mais également attirés par l’art contemporain », rapporte le Conseil des ventes volontaires.
Explosion de l’art contemporain
L’envolée des maisons de ventes, emmenées par Christie’s et Sotheby’s repose aussi sur l’explosion du marché de l’art contemporain. Selon Art Economics, en 2013, ce secteur a augmenté de 11 % en valeur, atteignant un pic historique de 4,9 milliards d’euros. Durant la dernière décennie, c’est le secteur du marché de l’art qui a enregistré la plus forte croissance ( 480 % en valeur entre 2003 et 2007), mais c’est aussi un secteur très volatil, celui qui a été le plus durement touché lors de la récession (– 60% de sa valeur). Depuis 2009, son taux moyen de croissance par année est de 40 % environ.
L’appétit des grands auctionners est sans limite, comme en témoigne leur incursion de plus en plus intrusive sur les plates-bandes des marchands. Les ventes de gré à gré (ventes privées), qui sont apparues aux alentours des années 2000, pèsent maintenant d’un poids significatif, en moyenne pour 16 % chez les deux leaders du marché, et ce n’est qu’un début. Du côté des ventes sur Internet, elles tâtonnent encore. S’il est aujourd’hui possible d’enchérir en ligne au même titre que par téléphone dans la plupart des grandes vacations en salles, les ventes organisées uniquement sur Internet sont encore rares. Chacun cherche encore le bon modèle, confronté à cette réalité que l’objet d’art n’est pas un produit comme un autre et que les acheteurs veulent voir et toucher avant d’acheter. Il existe encore des réflexes primitifs dans un univers devenu très sophistiqué.
Divorces : Tajan perd un Ader et Binoche son Godeau
Me Rémi Ader s’en va. Après la dissolution de la Société civile professionnelle Ader-Tajan prononcée le 26 janvier par le tribunal de grande instance de Paris, Me Rémi Ader se sépare de Me Jacques Tajan et de son frère Me Antoine Ader, pour s’installer dans de nouveaux bureaux […] Rémi Ader reprochait à Me Tajan d’avoir mis en péril leur étude par des ventes « désastreuses » au Japon et des dépenses de publicité et de promotion « inconsidérées », notamment pour les ventes de prestige à l’Hôtel George V. Me Tajan, quant à lui, accusait son associé de ne pas avoir rempli ses devoirs envers la société […] Jean-Claude Binoche, 51 ans, et Antoine Godeau, 42 ans, les commissaires-priseurs associés de l’étude Binoche-Godeau, 5, rue La Boétie à Paris, ont décidé de se séparer « sans rancune » après onze ans. La fin de leur association s’est formalisée par le dépôt d’un dossier auprès du Procureur. (...)
Nicolas Powell
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Un monde bipolaire
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°410 du 28 mars 2014, avec le titre suivant : Un monde bipolaire