UKRAINE
Avec l’avancée des troupes russes en Ukraine, ce sont plusieurs centaines de musées et de sites qui sont en danger.
Ukraine. Le décompte est lugubre : en l’espace de trois semaines, la guerre a provoqué trois millions de réfugiés et causé des milliers de morts, sans compter les blessés. Des centaines de bâtiments civils ont été détruits, dont des monuments et bâtiments classés. Car les bombardements russes n’épargnent pas le patrimoine ukrainien, riche de milliers d’églises et de monastères orthodoxes, ainsi que de collections muséales méconnues.
L’Ukraine compte en effet une multitude de musées publics et privés, notamment des musées d’art et d’histoire implantés dans chaque province. Dans la seule province de Lviv, pas moins de 170 musées représentent 14 % des collections nationales. À Lviv même, le Musée national possède près de 12 000 manuscrits anciens et livres rares, ainsi qu’une collection unique d’icônes du XVe au XIXe siècle. L’Ukraine héberge d’ailleurs la plus vaste collection d’icônes au monde après la Russie. À Odessa, le Musée d’art conserve plusieurs toiles de Kandinsky ; celui de Kharkiv possède nombre de toiles du peintre russe Ilya Répine et de ses contemporains ukrainiens. Il n’est pas rare de trouver dans ces musées des œuvres de Picasso, Rubens, Van Dyck, ainsi que des pièces archéologiques exceptionnelles. À lui seul, le Musée national de l’histoire de l’Ukraine à Kiev dénombre 800 000 pièces dans ses collections. Enfin, le pays possède sept sites inscrits au Patrimoine mondial, dont la cathédrale Sainte-Sophie de Kiev, datant du XVIIe siècle. Plusieurs sites archéologiques antiques sont également considérés comme très importants pour l’histoire des civilisations européennes.
Le risque de voir disparaître des pans entiers de la culture ukrainienne est donc réel. Le directeur du Musée national de l’histoire de l’Ukraine à Kiev l’a confirmé dans un message posté sur les réseaux sociaux : « Il n’y a aucune garantie que le patrimoine culturel ukrainien ne sera pas volé et transféré dans les musées russes. » Son homologue au Musée national de Lviv, Ihor Kozhan, va plus loin : « Ce sont tous les musées du pays qui sont désormais en danger. » Car les destructions de musées et de sites patrimoniaux ont déjà commencé, en particulier dans la région de Kharkiv au Nord-Est. Selon l’historienne de l’art Nadiia Bernard-Kovalchuk, curatrice au Musée de l’école de photographie de Kharkiv et doctorante à Sorbonne Université, « au moins deux églises ont été endommagées, dont la cathédrale de l’Assomption qui date du XVIIe siècle. Plusieurs bâtiments universitaires sont détruits, et le 7 mars le Musée des beaux-arts a été touché par un bombardement ». Se pose désormais la question de la sauvegarde des œuvres, privées des mesures de conservation réglementaires (hygrométrie, température) : « les œuvres sont clairement en danger », s’alarme Nadiia Bernard-Kovalchuk. Dans le centre-ville, les bombardements ont frappé des immeubles classés de la période soviétique : le patrimoine architectural est lui aussi à risque. D’autres villes de l’est du pays ont vu leurs musées bombardés, comme Soumy, et Horlivka près de Donetsk où un musée des traditions locales a été très endommagé selon Nadiia Bernard-Kovalchuk. L’historienne de l’art ne cache pas son appréhension : « Malgré le discours de Poutine, les Ukrainiens ne croient pas que les Russes préserveront les édifices culturels », dit-elle, en pensant au patrimoine de Marioupol, ville assiégée, et d’Odessa, dans le sud du pays. Concernant les pillages, peu d’informations sont confirmées, sauf au château de Popov dans la province de Zaporijia. À voir comment les sites de Crimée ont été pillés en 2014 après l’annexion russe, les conservateurs ukrainiens s’attendent au pire.
Plusieurs grands musées ont donc entrepris de déplacer leurs collections dans des sous-sols aménagés avec les moyens du bord. Caisses en bois, emballages rembourrés et réserves verrouillées sont devenus le quotidien des musées de Kyiv et Lviv, où le personnel dort sur place selon l’Unesco, qui soutient ces actions. Un obstacle empêche cependant d’en faire plus : le ministère de la Culture ukrainien a adopté « une position très ferme qui interdit de sortir du pays les collections nationales », précise Nadiia Bernard-Kovalchuk. Elle-même a organisé avec ses collègues de Kharkiv le déplacement des collections du Musée de l’école de photographie jusqu’à Lviv, « en finançant nous-mêmes le transport », précise-t-elle. La prochaine étape sera l’acheminement des œuvres en Allemagne, puisque le musée est privé et peut donc sortir ses collections d’Ukraine. Nadiia Bernard-Kovalchuk souligne la réactivité des équipes muséales partout dans le pays, et les nombreuses initiatives locales.
Car si les organisations internationales et les institutions culturelles ont déclaré soutenir l’Ukraine dans la protection de son patrimoine, sur le terrain ce sont surtout des ONG locales qui agissent, en entourant les statues de sacs de sable par exemple. Plusieurs conservateurs ukrainiens, soutenus par le ministère de la Culture, animent ainsi des sites Web et des pages Facebook qui recensent toutes les destructions. À ces critiques, l’Unesco répond que l’organisation « a très tôt fait marquer de l’insigne du Bouclier bleu [symbole de la protection dont bénéficient des monuments en vertu de la Convention de La Haye de 1954, NDLR] les principaux sites, Sainte-Sophie et les grands musées ». Elle a en outre mis en place un « monitoring des destructions avec une surveillance par satellite » et envisage d’activer le Fonds d’urgence pour le patrimoine après les combats. Interviendront également l’Icom (Conseil international des musées) et la fondation Aliph, qui va financer une quinzaine de projets de sauvegarde de collections, projets tenus confidentiels. Aux États-Unis, la Smithsonian Institution a lancé un programme de cartographie des sites patrimoniaux à risque, et en Norvège la Fondation des musées appelle aux dons pour soutenir les musées de Kyiv. C’est cependant en Pologne que les musées ont été les plus actifs, pour accueillir les personnels des musées ukrainiens en fuite, et pour organiser le transport d’œuvres d’art menacées.
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Le patrimoine ukrainien sous la menace des missiles russes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°585 du 18 mars 2022, avec le titre suivant : Le patrimoine ukrainien sous la menace des missiles russes