Les cinq semaines de guerre ont causé des dégâts considérables dans l’est et le centre du pays, mais les principaux sites culturels semblent avoir été épargnés.
Ukraine. Le 27 mars dernier, le ministre ukrainien de la Culture a dressé un bilan des destructions causées par la guerre : Oleksandr Tkachenko a affirmé qu’environ « une centaine de monuments et sites avaient été endommagés ». Son collègue du ministère des Infrastructures déclarait, le 26 mars, que quarante églises au moins avaient été touchées par les bombardements russes, ainsi que plusieurs synagogues et mosquées. À ce bilan s’ajoutent des dizaines de bâtiments classés, quelques théâtres et des musées. Les sites inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco semblent avoir été épargnés, ce dont se félicite un diplomate proche du dossier : « La protection qu’offre ce classement de l’Unesco semble fonctionner pour l’instant. »
Si le ministère ukrainien de la Culture a mis en ligne une base de données qui s’avère très utile, la prudence s’impose cependant : parmi les dizaines de dommages recensés, plusieurs sont mineurs au regard de l’intensité des combats. Car le site mentionne autant des bris de vitres dans une petite église que l’effondrement total de bâtiments Art nouveau à Kharkiv.
Quelques tendances se dégagent de cette liste en constante évolution, dont le sort relativement positif des grands musées. À part le Musée des beaux-arts de Kharkiv, peu de musées importants ont été touchés. À Tchernihiv, où les bombardements ont été intenses depuis un mois, la direction du principal musée d’art fait savoir avec soulagement que « le musée est intact pour l’instant ». En revanche, des petits musées locaux ont subi des dégâts. Dès les premiers jours du conflit, un musée local consacré à la peintre Maria Primachenko avait été entièrement détruit près de la ville d’Ivankiv, suscitant de vives réactions internationales. Plus récemment, le Musée d’art Kuindzhi près de Marioupol qui abritait des copies d’œuvres et des objets personnels de l’artiste a été très endommagé. Un bombardement aérien, le 21 mars, serait à l’origine de cette destruction partielle. Toujours à Marioupol, le musée privé de « l’informatique vintage » serait entièrement détruit, d’après des sources locales.
En ce qui concerne les autres lieux culturels et patrimoniaux, la situation est plus préoccupante. Ce sont les églises qui payent le plus lourd tribut aux combats, notamment dans les zones périurbaines. Le ministère ukrainien de la Culture recense des dizaines d’édifices partiellement ou totalement détruits, dont le monastère de la sainte Dormition à Sviatohirsk près de Donetsk, un ensemble architectural exceptionnel datant du XVe siècle et doté d’un statut important au sein de l’Église ukrainienne. À Marioupol, c’est la mosquée du sultan Soleiman qui a subi des dégâts conséquents sur son dôme, transpercé par une bombe. Ce type de dégât résulte des armements utilisés par les troupes russes, qui pilonnent les villes avec de l’artillerie lourde, comme le rappelle l’expert militaire Michel Goya : « C’est surtout l’artillerie qui détruit les villes, et non les frappes aériennes, spectaculaires mais rares. » Pour les églises, le risque réside dans leur fragilité structurelle, selon l’historienne de l’art Nadiia Bernard-Kovalchuk : « Les églises sont traditionnellement construites en bois et plâtre, ce qui les rend vulnérables. »
Pour les sites mémoriels, le décompte reste imprécis mais, d’après le ministère de la Culture, un mémorial juif a été touché par les bombardements, à Drobitsky près de Kharkiv, où la sculpture monumentale qui commémore le massacre de 15 000 Juifs a été très abîmée [voir ill.]. À cela s’ajoutent de nombreuses destructions de statues et plaques commémoratives de la résistance ukrainienne à différentes périodes, destructions souvent filmées par les troupes russes elles-mêmes.
Mais ce sont les bâtiments et immeubles classés qui ont le plus souffert des combats. Michel Goya explique ainsi que « les Ukrainiens résistent par une manœuvre de freinage fondée sur les bastions urbains », stratégie à laquelle les Russes opposent siège et pilonnage. À Marioupol, ville assiégée, le théâtre municipal a été rasé par une frappe aérienne massive, alors que le bâtiment servait d’abri à un millier de civils. Le reste de la ville serait détruit à 60 % selon la Mairie. À Kharkiv, les bombardements incessants laissent un centre-ville en ruine, alors qu’il s’agit d’un fleuron d’architecture moderniste (1900-1910) et constructiviste (1930). Parmi ces immeubles, le plus connu est le Slovo (« mot » en ukrainien), construit en 1928 et désormais à terre. Nadiia Bernard-Kovalchuk explique l’importance de cet immeuble construit sur fonds privés : « C’est un bâtiment emblématique pour les Ukrainiens, des artistes et des écrivains persécutés s’y retrouvaient pendant la période stalinienne. » Non loin du Slovo, le Derzhprom a lui aussi été détruit : il s’agissait du premier gratte-ciel de l’ère soviétique (1928) qui hébergeait à l’époque la Maison de l’industrie. Enfin, les bibliothèques de plusieurs régions ont été ciblées par des bombardements et des attaques : des témoins rapportent des scènes de pillage aux archives locales et des destructions de livres d’histoire par les troupes russes.
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Patrimoine ukrainien, un premier bilan des dommages
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°586 du 1 avril 2022, avec le titre suivant : Patrimoine ukrainien, un premier bilan des dommages