Les récentes avancées ukrainiennes sur un terrain qui a été occupé par les troupes russes révèlent une politique de pillage et de destruction systématiques. Des tentatives de reconstruction voient le jour.
Kiev. La base de données du ministère ukrainien de la Culture sur les destructions n’en finit pas de grossir, au fur et à mesure que les troupes russes reculent. C’est le cas dans la région de Kherson, ville reprise aux Russes le 11 novembre qui se trouve encore sous les bombes actuellement : l’historien militaire Cédric Mas, qui décrypte le conflit sur les réseaux sociaux et sur le site Mediapart, s’exclamait ainsi le 25 novembre : « Kherson brûle sous les bombes et les roquettes. » Car les troupes russes repliées à quelques kilomètres utilisent « des projectiles incendiaires contre les villes et les fortifications », projectiles interdits par les conventions internationales, précise-t-il. Peu de bâtiments ont résisté à ces bombes, notamment les bâtiments classés du XIXe siècle et de la période soviétique.
Dans le détail, les autorités ukrainiennes de Kherson signalent qu’une statue du prince Potemkine a été déboulonnée début novembre, pour être rapportée en Russie. En effet, les troupes russes semblent avoir reçu l’ordre de voler tout ce qui concerne ce personnage, le favori de l’impératrice russe Catherine II, fondatrice de la ville. Une rumeur courait selon laquelle les Russes auraient emporté les restes du Prince enterrés dans la cathédrale de la ville à son décès (1791) : elle a été confirmée par un reportage de la chaîne de télévision britannique Channel Four. Par ailleurs, les autorités locales russes ont ordonné début novembre l’évacuation des collections du Musée d’histoire de Kherson vers la Crimée. Après enquête, « plus de 15 000 peintures et objets ont été volés du musée et transférés à Simferopol entre le 31 octobre et le 3 novembre », déplorent les autorités ukrainiennes. Enfin il semblerait que plusieurs ateliers d’artistes aient été pillés à Kherson à la même période.
Mais l’avancée des Ukrainiens a accéléré le mouvement des collections vers la Russie : le ministre ukrainien de la Culture, Oleksandr Tkachenko, a déclaré que tous les musées de Crimée avaient évacué leurs collections vers Moscou en novembre, qualifiant cet acte de « crime de guerre ». Des milliers de pièces archéologiques scythes et tatares du Musée d’art de Simferopol se sont notamment envolées pour la Russie. Des experts ukrainiens soulignent l’opportunisme des Russes, puisqu’une exposition est prévue à Moscou en 2023 sur la Novorossia, une région de l’Empire russe du XVIIIe siècle englobant la Crimée et le sud-ouest de l’Ukraine. Ce pillage systématique rappelle que la Russie a pour objectif politique d’effacer une partie de la culture nationale, ce que nous a confirmé l’architecte français Martin Duplantier, président de l’association Architecture et maîtres d’ouvrage (AMO), de retour d’un séjour en Ukraine : « Le petit musée d’histoire locale de Tchernihiv (1873) a été bombardé six fois de suite, c’est une approche systématique de table rase de la culture ukrainienne. »
Ailleurs en Ukraine, les destructions sont plus sporadiques, sauf à Kharkiv où les bombardements sont incessants depuis le mois de février. D’après le ministère de la Culture, le Musée d’histoire de la ville serait intégralement détruit, ainsi qu’une partie de ses collections. À Louhansk, ce sont des bibliothèques qui ont été pillées ou incendiées, et à Marioupol occupée par les Russes, les collections des musées ont été évacuées en octobre vers les zones sous contrôle russe à Donetsk. Selon le ministre ukrainien de la Défense, « certaines collections privées ont également été pillées » à Marioupol, ainsi qu’un monument commémoratif de l’Holodomor (grande famine des années 1930 ordonnée par Staline), signe que les Russes veulent effacer les traces du passé.
Malgré l’ampleur des destructions, les Ukrainiens ont déjà commencé à restaurer une partie du patrimoine endommagé, et la « reconstruction de l’Ukraine » devient un sujet à part entière. Les Archives nationales ukrainiennes ont ainsi entamé un grand projet de numérisation de leurs collections, et plusieurs musées à Odessa ont reçu le soutien financier de l’Unesco pour sauvegarder ou restaurer leurs collections. Le J. Paul Getty Trust a promis en novembre dernier un million de dollars pour le patrimoine, en collaboration avec la fondation Aliph qui aide des musées en Ukraine.
Côté reconstruction, ce sont pour l’instant des projets locaux, comme le souligne Martin Duplantier au nom d’AMO : « L’architecture est consubstantielle à l’identité ukrainienne, et nous avons un projet d’archivage de l’architecture avec le soutien des autorités. » L’une des difficultés sera cependant « l’absence d’un organisme public chargé de l’urbanisme en Ukraine, et le fait que la protection du patrimoine n’y est pas centralisée ». Peu confiant dans l’action de l’Unesco jusqu’à présent, il explique que « sa liste des bâtiments remarquables est famélique, elle n’est pas représentative de la richesse de ce patrimoine en Ukraine ». Il existe des projets dans l’oblast de Tchernihiv où les autorités locales sont demandeuses de contacts avec des organismes étrangers. Sur la question du financement d’une telle reconstruction, il évoque « des levées de fonds auprès de l’Union européenne et de pays d’Europe centrale », et se veut optimiste malgré l’enlisement du conflit à l’approche de l’hiver.
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Un nouveau bilan des atteintes au patrimoine ukrainien
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°601 du 16 décembre 2022, avec le titre suivant : Un nouveau bilan des atteintes au patrimoine ukrainien