Russie - Ukraine

GUERRE EN UKRAINE

Les sanctions contre la Russie n’épargnent pas son secteur culturel

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 17 mars 2022 - 926 mots

RUSSIE

Les partenaires internationaux de différents événements culturels russes se désengagent les uns après les autres.

La Galerie Tretiakov à Moscou. © Mike1979Russia, 2016, CC BY-SA 4.0
La Galerie Tretiakov à Moscou.
Photo Mike1979Russia, 2016

Russie. Alors qu’un défaut de paiement de la dette publique russe se profile à l’aube de la troisième semaine de conflit, les sanctions décidées par les pays occidentaux à l’encontre de la Fédération de Russie ont déjà modifié le quotidien de ses habitants. Fermeture de l’espace aérien aux compagnies russes, suspension des paiements en Visa et Mastercard pour des achats à l’étranger, jusqu’au rideau baissé des enseignes Ikea, H&M ou McDonald’s, ces initiatives s’ajoutent à l’arsenal des sanctions économiques visant à isoler la Russie du reste du Monde.

Le secteur culturel rompt également les ponts avec la Russie. Le 9 mars, Le Monde annonçait le retour des prêts d’œuvres consentis par le Musée du Louvre, le château de Versailles et la Bibliothèque nationale de France pour l’exposition « The Duel » qui devait ouvrir au Musée du Kremlin. La position de la France convergeait alors avec celle de l’Espagne, du Royaume-Uni et de l’Autriche : « pas question de se désolidariser », annonçait le ministère de la Culture.

En Italie, l’invasion en Ukraine remet en cause une saison 2021-2022 placée sous le signe de la collaboration entre musées russes et italiens. Le ministère de la Culture transalpin suspend cet événement, et a dressé une liste des œuvres prêtées aux musées russes dont il pourrait demander le retour.

Démissions en série

Dès le 28 février, l’Ateneum-Galerie nationale de Finlande avait renoncé à prêter une dizaine de paysages signés Aleksi Gallen-Kallela à la Galerie d’État Tretiakov, pour une exposition monographique consacrée au peintre finlandais dont l’ouverture était fixée au 15 avril. « Nous ne pouvons pas garantir la sécurité des œuvres», soulignait alors Marja Sakari, directrice du musée.

Par ailleurs, Le Garage, ce musée d’art contemporain privé moscovite fondé par les oligarques Roman Abramovich et Dasha Zukova, suspend sa programmation d’expositions, qui devait accueillir Anne Imhof, Helen Marten ou Heimo Zobernig. Une décision en cohérence avec le positionnement de ce musée, ouvert sur la création occidentale et son marché de l’art : « Le Garage a toujours été une institution internationale ouverte à une pluralité de voix », rappelle le communiqué de presse.

À côté de ces annulations et suspensions, les institutions russes font face à une démissions en série. Vladimir Opredelenov, directeur adjoint du Musée Pouchkine ; Francesco Manacorda, directeur artistique de la Fondation V-A-C, ainsi que Simon Rees, directeur de la foire internationale d’art contemporain Cosmoscow, ont tous trois annoncé leur départ. « Mon appréciation des événements en cours ne coïncide pas avec celle de mes collègues du ministère de la Culture », fait valoir Vladimir Opredelenov dans un post Instagram.

La tenue en juin prochain de la 41e session du Comité du patrimoine mondial à Kazan est elle aussi sur la sellette. Exigée avec force par le Mémorial d’Auschwitz-Birkenau, la délocalisation de cette réunion de l’Unesco fait l’objet d’une demande formelle du Royaume-Uni, de la République tchèque, Pologne, Slovaquie, Lituanie et bien sûr de l’Ukraine. Il faudra toutefois réunir les deux tiers des 21 pays membres du Comité pour décider d’une relocalisation.

Des acteurs culturels russes mobilisés contre la guerre 
 

Depuis la publication de la loi russe du 4 mars, qui criminalise la diffusion d’« informations mensongères » sur l’armée russe, le texte d’une pétition ayant réuni plus de 18 000 signatures russes n’est plus accessible. De nombreux représentants du monde de l’art opposés à l’invasion de l’Ukraine, « artistes, conservateurs, architectes, critiques, historiens de l’art, gestionnaires d’art », comptaient parmi les signataires du texte. Le site russe Aroundart.org rapporte que les employés du MMoMA, le Musée d’art moderne de Moscou, ayant paraphé le texte ont été licenciés.À la Biennale de Venise 2022, il n’y aura pas de pavillon russe : les deux jeunes artistes russes et leur commissaire lituanien ont renoncé à présenter leur travail. « Il n’y a pas de place pour l’art quand des civils meurent sous le feu des missiles », a justifié le plasticien Kirill Savchenkov.Dans les rues de Moscou, les artistes font également entendre leur voix, comme le photographe russo-estonien Alexander Gronsky, arrêté le 27 février lors d’une manifestation contre la guerre. Double peine pour le créateur, dont l’exposition au Fotografia Europea a été annulée après que le festival italien a renoncé à la thématique russe initialement prévue pour son édition 2022.

 

Sindbad Hammache
 

Un élan international de solidarité 

Le monde culturel prend toute sa part dans le vaste mouvement de protestation contre la guerre et de solidarité à l’égard des Ukrainiens. Aux États-Unis, le Musée ukrainien de New York organise des soirées à guichets fermés, tandis que le Metropolitan Opera monte des concerts de soutien et que des manifestants ont envahi le Guggenheim. Le musée américain n’a pas été choisi par hasard : l’un de ses trustees, l’oligarque Vladimir Potanine, proche de Poutine, a été obligé de démissionner.En France, le ministère de la Culture a mis en place un fonds de soutien doté de un million d’euros pour l’accueil des artistes et des professionnels de la culture ukrainiens qui souhaiteraient venir en France, fonds auquel s’ajoute une enveloppe de 300 000 euros pour l’accueil des étudiants dans les écoles d’art. De son côté l’Académie des beaux-arts a ouvert un fonds d’urgence de 300 000 euros pour soutenir les artistes précarisés par la guerre. Plusieurs villes (Nîmes, Antibes…) organisent des ventes aux enchères ou des soirées dont les recettes sont destinées à aider les Ukrainiens. Fait notable, de plus en plus de manifestations de soutien ou d’aides pécuniaires concernent aussi les opposants en Russie, une manière de désolidariser Poutine de la société civile.

 

Jean-Christophe Castelain

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°585 du 18 mars 2022, avec le titre suivant : Les sanctions contre la Russie n’épargnent pas son secteur culturel

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