Annulation de l’exposition Matisse à Pékin : les Chinois « déçus »

« En apprenant la nouvelle, j’ai pensé que cette décision, c’était un scandale. Aujourd’hui, je me dis qu’elle était aussi irréfléchie et risquée ! » Ainsi ce proche du « dossier », à Pékin, juge-t-il la décision prise en France par le président du Département Nord, Christian Poiret, d’annuler ou de reporter l’exposition de 280 œuvres d’Henri Matisse, attendue ce 27 mars et pour trois mois au musée UCCA Pékin, avant d’occuper les murs du UCCA Edge à Shanghai. 

Alors que débutait l’agression russe et la guerre en Ukraine, le président du Département Nord aurait pris cette décision en pointant du doigt les liens politiques entre Pékin et Moscou ainsi que les risques liés au convoiement des œuvres. « On comprend l’émotion. On la partage. Mais on est déçu, on ne comprend pas cette décision française » témoigne une commissaire chinoise liée au UCCA – à qui on précise qu’en France, pays décentralisé, un président de département peut annuler seul, s’il le veut, l’envoi d’une exposition de son musée à l’étranger. 

Au sein du UCCA, la colère passée, l’amertume est perceptible. Contacté, son directeur et PDG, le critique et conservateur d’art américain Philip Tinari, n’épilogue pas mais sa réponse lapidaire en dit long. Christian Poiret se serait-il trompé de cible ? La commissaire précise que le UCCA est un « musée privé, libre, très respecté et très professionnel. Un des plus grands en Chine. Le président Macron l’a visité en 2018 et y a rencontré des artistes chinois – pas tous officiels. Philip Tinari, lui, a été le commissaire au Guggenheim de l’exposition sur l’art et la Chine après la répression de Tiananmen en 1989. » On explique qu’il n’a toujours pas reçu de lettre signée de Christian Poiret lui annonçant l’annulation ou le report de l’exposition Matisse, alors qu’en contrepartie, le UCCA s’était engagé à verser 300 000 euros au Musée Départemental Matisse du Cateau-Cambrésis, destiné à son actuelle rénovation. 

Pour le UCCA, le manque à gagner serait « considérable. » Le musée a investi des millions d’euros pour monter, aux côtés de tous les acteurs et de l’agence Doors, le show Matisse. Le UCCA avait recruté des spécialistes français et chinois de l’emballage, du transport logistique, de l’assurance, le scénographe Pascal Rodriguez et élaboré une monographie inédite – la première sur Matisse en Chine. 7 000 billets étaient déjà vendus avant l’annulation, qu’il faut rembourser. L’exposition avait aussi une dimension scientifique : une extension « très coûteuse », sur le lien de Matisse avec la Chine, les nimbes de l’Asie ou Tahiti et inversement sur son influence et celle des fauvistes en Chine. Une suite judiciaire serait maintenant à l’étude. 

En tirant un trait sur l’événement, Christian Poiret a ajouté vouloir stopper tout partenariat culturel entre son territoire et les établissements chinois. Une décision jugée en Chine « injuste » et « incohérente. » Le nord de la France est en effet la seconde destination des investissements chinois en France – et la Chine le premier investisseur asiatique dans l’Hexagone (avec 8,5 milliards d’euros de fonds investis, 900 entreprises et 51 000 employés selon la Banque de France). L’an passé, le groupe chinois Envision AESC a annoncé investir dans le Nord 2 milliards d’euros et créer mille emplois d’ici 2024 avec Renault. 

Malgré la position très ferme de l’Angleterre sur l’Ukraine, le U2 UCCA, nouvelle antenne du musée, a en tout cas inauguré lundi, comme prévu, l’exposition « Alice : Curious and Curiouser » du Victoria and Albert Museum.

De son coté, le Département du Nord, contacté à de nombreuses reprises, n’a pas souhaité nous répondre.