Chine - Diplomatie culturelle

Malgré la pandémie, la France maintient sa « sphère d’influence » en Chine

Par Michel Temman, correspondant au Japon · Le Journal des Arts

Le 7 mars 2022 - 1075 mots

CHINE

Les restrictions sanitaires ont ralenti mais pas arrêté les actions culturelles françaises en Chine, notamment à Shanghaï.

Exposition "Monet, Impression, Soleil Levant" au Bund One Art de Shanghai en 2020. © Faguowhenhua
Exposition « Monet, Impression, Soleil Levant » au Bund One Art de Shanghai en 2020.
© Faguowhenhua

Chine. Ce dimanche, dans les bois chauds et les intérieurs design du Icicle Space, une galerie et librairie d’art sise à l’ouest du centre-ville de Shanghaï, sur Hechuan Road, le poète et peintre Michel Madore, apôtre de la langue française, qui partage d’ordinaire sa vie entre Paris et Shanghaï, clame dans la langue de Molière, à l’occasion de sa toute dernière exposition, les mots de ses Carnets d’atelier. Face à lui, le public chinois, venu à sa rencontre malgré un froid glacial au-dehors, écoute dans un silence monastique ses phrasés aussitôt traduits, avant d’applaudir à tout rompre. Sourires. Moments rares.

Une politique « zéro Covid » stricte

En Chine, depuis les débuts de la pandémie de Covid-19, hors des grandes expositions, le rideau est tombé sur nombre d’événements mettant en avant les arts tricolores et francophones. En cause, les difficultés à exposer, à tenir une conférence, un concert ou à projeter un film. Tout, depuis deux ans, et comme si le filtrage des œuvres ne suffisait pas, est soumis à autorisation dans un cadre administratif « zéro Covid » strict. « Au moindre événement en lien avec l’étranger, le clignotant Covid s’allume. Nombre d’événements culturels portant les couleurs de la marque France ou plus anodins, regroupant du monde, ont été annulés, en raison d’une application extrêmement zélée de la politique sanitaire dans certaines régions », affirme-t-on à l’ambassade de France.

Les artistes français ne peuvent guère, non plus, faire le voyage. À la difficulté d’obtenir un visa (et un billet d’avion) s’ajoute la crainte de se plier, à l’arrivée en Chine, à vingt et un jours de quarantaine dans un hôtel sanitaire – à condition de ne pas être testé positif, les semaines s’allongeant alors. L’idée en gestation, depuis des années, d’une exposition commune de trésors chinois et français du château de Versailles à la Cité interdite à Pékin, tient donc pour l’heure du mirage. Le fait est que les techniciens français peuvent difficilement passer trois semaines murés dans une chambre pour venir monter une exposition en Chine. Le spectacle vivant et les échanges intellectuels sont touchés de la même façon.

Parade anti-Covid

Pour autant, dans une Chine forte en 2022 de 4 580 musées publics et privés, hissée au rang de puissance culturelle professionnalisant peu à peu son modèle économique, tout en jonglant avec la question de la censure des œuvres, la France semble avoir trouvé, malgré tout, la parade anti-Covid, en produisant d’abord, fin 2020, au Musée Bund One Art, à Shanghaï – mégalopole décidément aux avant-postes –, l’exposition « Monet. Impression, soleil levant » [voir ill.]. Un énorme succès – ce fut la seule exposition étrangère montée en Chine durant la première année de l’épidémie. La commissaire, Marianne Mathieu, directrice scientifique du Musée Marmottan Monet, a fait alors le voyage depuis Paris et s’est pliée aux quatorze jours sous cloche, tandis que les œuvres étaient récupérées, à la sortie de l’avion, par Myriam Kryger, l’attachée culturelle au consulat français, laquelle a lancé dans la foulée le Week-end du design franco-chinois, la 1re Nuit des idées, ou produit, à l’automne 2021, le pavillon de la France (« Sans tambours ni trompettes ») sur le salon d’art contemporain Westbund Art & Design – le seul monté par un pays étranger, avec les œuvres de quinze artistes tels que Philippe Cognée, Bernard Frize, Françoise Pétrovitch, Rakajoo, Julien Des Monstiers, Szeto Lap ou Yan Pei-Ming. De fait, un nouveau mode opératoire a été élaboré à distance. Ont suivi, entre autres, les expositions Pompidou au West Bund Museum, comme la rétrospective Kandinsky, l’exposition du Musée Guimet « Un firmament de porcelaine » au Musée de Shanghaï ou l’exposition du Quai Branly, « Territories of water », au Musée d’art de Pudong.

Après son annulation en 2020, la France a même relancé en 2021 son festival annuel Croisements, créé en 2006, qui, avec deux cents événements est devenu étonnamment le plus gros festival culturel étranger en Chine – sans qu’aucun artiste français ne puisse débarquer dans le pays alors que la France envoie chez elle, grâce à Campus France, 6 000 étudiants chinois par an ; 35 000 étudient à l’heure actuelle dans l’Hexagone. « Il est clair que depuis deux ans, on s’est complètement réadaptés, constate-t-on encore au sein des services culturels français en Chine. On a dématérialisé notre approche, on fait davantage appel aux artistes et interprètes chinois, heureux d’intégrer nos événements. » Des partenaires chinois sortent aussi plus facilement leur chéquier pour importer telle exposition prestigieuse.

Quant aux initiatives privées : la Fondation Cartier pour l’art contemporain, qui produit une à deux expositions par an à Shanghaï depuis 2018, en partenariat avec le Power Station of Art, a pu y présenter, en 2021, l’exposition « Trees ». « De Monet, Matisse à Bonnard » a été soutenue au Bund One Art de Shanghaï par la Fondation Bemberg. Récemment, l’agence MB Projects a accompagné le groupe Kering dans la création, avec le Centre Pompidou et le West Bund Museum, d’un festival de danse contemporaine, Women in Motion at West Bund. « Il était impossible de faire venir des artistes internationales, précise Marion Bertagna, sa fondatrice. Nous avons donc organisé une collaboration à distance entre la chorégraphe française Mathilde Monnier et la danseuse chinoise Duan Ni, qui a interprété une des créations de la première. » MB Projects gère d’ailleurs en continu les réseaux sociaux (WeChat, Weibo, Bilibili…) du Centre Pompidou, de la Fondation Cartier, de Paris Musées ou du château de Versailles.

La guerre de l’art

Depuis 2020, paradoxalement, malgré le Covid et les crises diplomatiques, la Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Union européenne devant les États-Unis. Et qui dit « commerce et intérêts économiques » (1 100 entreprises françaises sont implantées en Chine) dit « sphère d’influence » et même « batailles d’influence » mêlant soft et hard power. Des batailles d’image – et de séduction – auxquelles se livrent en douce, en Chine – et ailleurs en Asie –, dans l’art et la culture, la France et nombre de pays amis ou rivaux.

Dans un contexte pourtant tendu, les services culturels français en Chine ont géré ou supervisé, en 2021, dans le pays, près de cinq cents événements. Le paradoxe ne manque pas de sel. Après L’Art de la guerre, la guerre de l’art ? La France entend bien continuer à rayonner en Chine. Sauf qu’il se peut que la vraie guerre déclenchée en Ukraine par Moscou, vu l’importance aussi des liens sino-russes, pourrait rabattre certaines cartes. Déjà, l’exposition « Matisse » venant de France, qui était annoncée dans les prochains mois, vient d’être annulée.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°584 du 4 mars 2022, avec le titre suivant : Malgré la pandémie, la France maintient sa « sphère d’influence » en Chine

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