Chine - Galerie

Comment les galeries françaises s'acclimatent à la Chine

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 23 janvier 2020 - 1050 mots

Si les galeries parisiennes sont de plus en plus nombreuses à tenter l’aventure et à implanter une succursale à Shanghaï, Pékin ou Hangzhou, il n’est pas toujours facile de s’adapter aux contraintes du régime chinois.

Façade de la Galerie Perrotin à Shanghai. © Perrotin.
Façade de la Galerie Perrotin à Shanghai.
© Perrotin.

Shanghaï, Pékin, Hangzhou. Alors que le bâtiment du Centre Pompidou de Shanghaï ouvrait ses portes au public le 8 novembre dernier dans le nouveau quartier de Westbund, la même semaine on ne comptait pas moins de trois nouvelles galeries françaises parmi les exposants de la septième édition de la foire d’art contemporain Art021 à Shanghaï : In Situ-Fabienne Leclerc ; Nathalie Obadia et Almine Rech. « Nous travaillons depuis quelque temps avec des conseillers chinois rencontrés sur la Fiac [Foire internationale d’art contemporain], explique Antoine Laurent, directeur de la galerie In Situ-Fabienne Leclerc. Et nous avons recruté il y a deux ans un collaborateur qui parle couramment la langue. Sans lui, cette première expérience à Art021 n’aurait pas été la même. D’autant que nous arrivions avec des artistes pointus, peu connus sur la scène mondiale : Damien Deroubaix, Mark Dion, Marcel van Eeden, Martin Dammann… » Le choix de montrer des œuvres sur papier témoignant d’une forme de virtuosité s’est également révélé payant. Seul bémol : les douanes, particulièrement pointilleuses, et le taux de TVA, qui s’élevait à 14,5 %… cette semaine-là.

Car, comme le souligne Niklas Svennung, codirecteur de la galerie Chantal Crousel, « en Chine, les règles peuvent varier tous les mois. Il faut avoir l’esprit souple ». L’intérêt de la galerie pour ce marché asiatique remonte à plusieurs années, mais voilà deux ans qu’elle participe à la West Bund Art & Design Fair ainsi qu’à Art021, dont « les réseaux ne se recoupent pas », estime Niklas Svennung. Être présent dans ce contexte ne va pas sans effort. « La Chine n’est pas connue pour être très ouverte aux importations. Ce serait plus facile s’il y avait moins de barrières douanières. Le contrôle y est permanent, et l’instabilité constante. »

Magda Danysz, l’une des toutes premières à avoir ouvert une galerie en 2009 à Shanghaï, reconnaît ce flottement, tout en relativisant : « Il y a dix ans, on ne rentrait pas dans les cases, tout était à inventer, c’était plus aventurier. Aujourd’hui, c’est devenu beaucoup plus rigide. » La galerie n’a pas eu besoin de s’adosser à un partenaire local, mais une de ses collaboratrices chinoises est récemment rentrée au capital. C’est un atout autant qu’un risque à courir quand la loi est aussi ductile. « Il faut rester vigilant », concède Magda Danysz.

Les amateurs d’art chinois font-ils des bons clients quand il s’agit de s’acquitter des sommes dues ? Hadrien de Montferrand, qui s’est établi dans l’Art District 789 à Pékin en 2009 et a depuis ouvert une seconde adresse à Hangzhou, assure que la seule fois qu’il a eu affaire à un client insolvable, il s’agissait d’un ressortissant français. Reste que tout marchand étranger doit être capable de flexibilité pour se faire payer dans un pays où s’exerce une restriction à la sortie des devises – limitée à 50 000 euros. « Il y a plusieurs moyens pour facturer, détaille Niklas Svennung : soit en direct, soit en passant par Hongkong, car souvent les acheteurs ont un lien bancaire avec l’île ; soit encore en faisant appel à un intermédiaire. Cela dépend des montants. » La censure ? Ce n’est pas vraiment un sujet, assure Hadrien de Montferrand. « Mais il existe une application officielle sur laquelle nous sommes tenus de télécharger les images des œuvres présentées à la galerie. »À Shanghaï, Magda Danysz, pour sa part, en réfère au bureau de la culture. Sans que cela ait jusqu’ici posé de problème. Même si elle raconte avoir passé quatre heures dans un bureau de la préfecture à s’expliquer sur la démarche d’un artiste photographe.

Pour s’intégrer, mieux vaut bien s’entourer. « Ce sont mes équipes locales qui préparent le stand sur Art021, je le découvre avant l’ouverture, c’est toujours un choc esthétique », s’amusait en novembre Emmanuel Perrotin, dont la succursale de Shanghaï a ouvert en 2018. « Cependant, nous n’avons pas monté des galeries à l’étranger pour nous comporter exactement comme à Paris. Mes partenaires chinois sont les mieux à même de décider ce qu’ils doivent faire sur place. C’est difficile d’exister dans un contexte aussi chaotique que la foire Art021 ; ils s’adaptent. Pour ouvrir une galerie en Asie, comme partout, il faut travailler avec des personnes clés qui font la différence. »

Une opportunité pour les artistes occidentaux

À défaut de s’établir en Chine, certaines galeries s’affranchissent d’ailleurs des frontières par le biais de collaborations. Approché par la galerie pékinoise Vitamin Creative Space, Jocelyn Wolff a ainsi bien développé sa clientèle chinoise, qu’il cultive à travers une présence sur la plateforme de microblogs Weibo et l’application de messagerie WeChat, toutes deux incontournables en République populaire. Le site de la galerie parisienne, comme les cartes de visite de ses collaborateurs, affiche par ailleurs dès sa page d’accueil une version en mandarin. Chantal Crousel a recruté pour sa part il y a trois ans une directrice chinoise qui la représente à Pékin. « Elle est le visage de la galerie dans les événements ; elle rencontre les commissaires, les directeurs de musée…, précise Niklas Svennung. Nous avons également mis en place un partenariat avec la galerie Magician Space, afin de représenter David Douard à Pékin. »

Car entre eldorado et terra incognita, la Chine représente également une opportunité pour les artistes occidentaux. « Prune Nourry, Charles Pétillon, et dans une certaine mesure JR, n’auraient pas pu développer les mêmes projets, ni avoir la même carrière, s’ils n’avaient pas exposé ici », observe Magda Danysz. « Nous avons vendu des œuvres monumentales de Felice Varini, invité à exposer lors de l’inauguration des Galeries Lafayette en 2017 à Shanghaï », rapportent Eva Albarrán et Christian Bourdais (Agence Eva Albarrán & Co). « Anri Sala et Gabriel Orozco ont désormais un réseau de collectionneurs chinois, constate Niklas Svennung. À Shanghaï, nous recevons plus de 200 personnes par jour en moyenne à la galerie, et nous avons ouvert de nouvelles perspectives à nos artistes. Un très grand nombre d’entre eux ont vu leur marché se développer bien au-delà de nos espérances. » Un relais de croissance non négligeable ? « Les clients chinois représentent un quart du chiffre d’affaires de la galerie », affirme Jocelyn Wolff. C’est à peu près la part de la Chine sur le marché mondial de l’art contemporain.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°537 du 17 janvier 2020, avec le titre suivant : Comment la France s’acclimate à la Chine

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