Dans le prolongement des années 1970, le développement, voire le triomphe des installations, du land art, mais aussi des performances, traduit un désir d’établir un rapport direct avec le réel, dialogue entre l’œuvre et son espace environnant.
La peinture, ce lieu consacré depuis toujours à la représentation, semblait comme une pratique dépassée, anachronique. Mais en réalité, plus que de la peinture, c’est le destin de l’image qui est en jeu. L’image ne disparaît pas, mais elle doit s’adapter, se déguiser même, pour garder sa légitimité. À commencer par la photographie, en passant par le document sous toutes ses formes et, pour finir, par les nouveaux médias. Et c’est précisément le rôle central que joue l’image dans la société actuelle qui fait que la peinture revient comme une pratique d’avant-garde par rapport aux bouleversements survenus dans l’art.
Le plus souvent figurative (même si les artistes ne font plus une quelconque séparation avec le registre de l’abstraction), affectée d’un coefficient de réalité, sa force est résolument d’être en dehors du réel, d’être toujours en rapport de défaut vis-à-vis de cette réalité. De même, son « handicap », celui de l’absence d’une troisième dimension, fait naître sa nécessité d’inventer, de procéder par suggestion, par allusion.
Insolence et désinvolture
Sans doute, la peinture reste travaillée par le poids d’une tradition lourde, voire écrasante. Toutefois, la « nouvelle peinture » joue souvent sur la tension entre l’histoire de cette discipline et la mise à plat de ses éléments constitutifs. L’ironie, l’insolence, la désinvolture, le refus de l’originalité sont parmi les moyens radicaux employés par les créateurs dans cet effort vers la désacralisation.
Travail de sape, qui peut porter aussi bien sur la forme que sur le fond, et dont la meilleure démonstration – non sans certaines ambiguïtés – reste le phénomène étonnant que fut la nouvelle école de Leipzig. Née après la chute du mur de Berlin en 1989, emblématisée par sa vedette Neo Rauch, cette tendance reprend volontiers le réalisme socialiste en le détournant et le plaçant hors de toute idéologie. Poussés par les galeries en Allemagne, mais aussi aux États-Unis, les jeunes peintres (Jonathan Meese, Franz Ackermann…) atteignent avec une rapidité météorique les sommets du marché de l’art. Succès inséparable d’un certain « exotisme » que représente l’Europe de l’Est et qui va être partagé également par l’art russe et de façon spectaculaire par les peintres chinois. Tous ces créateurs ont en commun l’esprit du néo-pop qui s’empare du quotidien et de l’actualité, via les images de presse ou de télévision. Certaines œuvres se mettent à ressembler à celles qu’elles critiquaient ; la verve s’épuise, l’illustration gagne, la dérision devient séduisante et frôle souvent le kitsch. Quoi qu’il en soit, le retour de la peinture est couronné également par des expositions qui feront date (« Cher peintre. Peintures figuratives depuis l’ultime Picabia », au Centre Pompidou, en 2002). Controversées, ces manifestations ouvriront un débat qui obligera la critique et les institutions à réévaluer la place réservée à cette discipline dans l’art contemporain.
Non moins importante est la création d’artistes plus isolés, dont la production picturale est d’une inventivité remarquable. Pour ne citer que quelques noms, on trouve la vedette incontestée des bourses et prix, Peter Doig et ses lacs féeriques ; le Belge Luc Tuymans, ses paysages tout en grisaille et en retenue ; la Sud-Africaine Marlene Dumas, ses personnages étranges et transparents, les Français Djamel Tatah ou Marc Desgrandchamps et son univers d’ailleurs. Mais Steven Parrino clôt provisoirement le débat en déclarant avec une ironie froide : « Certes la peinture est morte mais je n’ai rien contre la nécrophilie. »
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La peinture, plus que jamais
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°410 du 28 mars 2014, avec le titre suivant : La peinture, plus que jamais