Chronique mitterrandienne (III) : le passif des prédécesseurs

Par Jean-Christophe Castelain · lejournaldesarts.fr

Le 24 juin 2010 - 1959 mots

PARIS [24.06.2010] - Frédéric Mitterrand n'est certainement pas un homme de rupture. Les dossiers de son ministère s'inscrivent dans la continuité des décisions engagées par ses prédécesseurs.

En mai 2002, Jacques Chirac est réélu pour un second mandat à la tête de l'État. En coulisses, au Centre Georges Pompidou, un autre « Corrézien » s'apprête à entrer aux affaires. En fait de Corrézien, Jean-Jacques Aillagon (mai 2002-mars 2004), qui prend le portefeuille de la Culture, n'aura passé que trois ans à enseigner l'histoire aux lycées d'Égletons et de Tulle. Sa première rencontre avec Jacques Chirac date seulement de 1990, alors qu'il est devenu, avant de présider aux destinées du Centre Pompidou, l'un des piliers de l'administration culturelle de la Ville de Paris, dont Jacques Chirac est alors maire.

Les deux hommes ont également une connaissance commune, Michel Guy, secrétaire d'État à la Culture du gouvernement Chirac de 1974 à 1976, mais aussi mentor du nouveau ministre. Avant d'arriver à la Rue de Valois, Aillagon s'est préparé au poste. Il sait que Jacques Chirac n'a pas pu, durant son premier mandat, s'appuyer sur une personnalité forte à la Culture.

Après le bref passage de Philippe Douste-Blazy (1995-1997), la cohabitation a ramené la gauche aux affaires, laissant à Catherine Trautmann (1997-2000) puis Catherine Tasca (2000-2002) le soin de piloter le ministère. Avec Aillagon, Chirac ambitionne de séduire les milieux culturels et opte pour une personnalité qui semble alors capable de transcender les clivages politiques. Dans les colonnes du Journal des Arts (n° 150, 31 mai 2002), Frédéric Mitterrand – qui semble encore bien loin d'imaginer qu'il sera l'un de ses successeurs – déclare : « Si on devait simplifier, on dirait qu'ils ont trouvé un Lang de droite. » De son côté, Aillagon ne semble guère douter de sa capacité à marquer l'histoire du ministère de la Culture.

Jean-Jacques Aillagon : an I (mai 2002-juin 2003)

À la barre, le sémillant ministre, qui s'entoure d'une équipe de techniciens compétents emmenés par son directeur de cabinet, Guillaume Cerutti – un jeune inspecteur des Finances qui l'a déjà assisté à Beaubourg –, veut marquer le tempo. Habile communicant, il est largement soutenu par les grands médias. Les premières annonces interviennent rapidement. Durant l'été, le ministre prévient notamment qu'il veut mettre un terme à deux grands projets : la Cité de l'architecture et du patrimoine et les travaux de la Cinémathèque, rue de Bercy. Il n'en sera rien.

Son premier budget est ensuite un tour de passe-passe. Afin de maquiller une baisse de 4,3 % de ses crédits, Aillagon revendique un arbitrage qui aura de lourdes conséquences : il efface les crédits non consommés de restauration des monuments historiques, soit 215 millions d'euros, pourtant engagés dans des opérations pluriannuelles. Le ministre, qui lancera peu après le schéma directeur du Grand Versailles, ne peut alors ignorer que les chantiers patrimoniaux s'inscrivent sur la durée. Les conséquences seront désastreuses, et de nombreux chantiers devront être interrompus. Il faudra plus de quatre ans au secteur pour s'en relever.

Mais dans l'immédiat, la crise n'est pas encore visible. Dès novembre, le ministre annonce la rationalisation des actions en faveur des arts plastiques et affecte le Jeu de paume à la photographie. Entraînant par là même la dissolution de l'association du patrimoine photographique, qui gère les donations faites à l'État, dont les ayants droit dénoncent depuis les conditions de conservation déplorables. En décembre arrive la grande affaire du ministre, le projet de loi sur le mécénat. Votée en août 2003, cette loi constitue une avancée réelle et permet à la France de se doter de la fiscalité la plus attractive en matière de participation des entreprises privées au financement de la culture. Elle est aussi un préalable impératif à l'autre grand chantier du ministre : la réforme de la gouvernance des musées nationaux, présentée en Conseil des ministres en juin 2003. Partisan d'une plus large autonomie des musées – qui implique aussi un niveau de ressources propres important, notamment via le mécénat –, Jean-Jacques Aillagon renforce l'autonomie des grands établissements (Louvre et Versailles) et accorde le statut d'établissement public à Orsay et Guimet. Bouleversant ainsi l'équilibre des relations avec la Réunion des musées nationaux (RMN), déjà victime d'un déficit chronique.

La libéralisation touche également le domaine de l'archéologie préventive. Le ministre réforme la loi de 2001 et ouvre le marché des fouilles préventives aux opérateurs privés. Les archéologues sont en grève et lui réservent une bronca lors de tous ses déplacements officiels. La lune de miel avec les acteurs de la culture semble déjà loin.

Mais Jean-Jacques Aillagon reste droit dans ses bottes. Décidée par le Premier ministre, la relance de la décentralisation, annoncée en avril 2003, doit aussi concerner la culture. Dès janvier, le ministre avait révélé que Metz, ville de ses ambitions électorales, accueillerait un satellite du Centre Pompidou. Les autres mesures concernent l'inventaire des richesses artistiques de la France, création d'André Malraux, transféré aux régions, et surtout la dévolution de monuments appartenant à l'État aux collectivités. En bon historien, le ministre prend la précaution de circonscrire cette possibilité et de préserver les monuments insignes de la nation, une liste étant établie sous la responsabilité de l'historien René Rémond.

Aillagon : une fin de mandat marquée par le conflit avec les intermittents du spectacle

Les négociations sur l'assurance chômage des intermittents du spectacle s'enlisent. Le ministre semble à ce moment sous-estimer la radicalisation du mouvement. Durant l'été, plusieurs festivals sont annulés, dont celui d'Avignon, créant une situation sans précédent. Les jours du ministre sont alors comptés. En mars 2004, après une humiliante cérémonie des Césars puis la déroute de la majorité aux élections régionales, Renaud Donnedieu de Vabres est préféré à Jean-Jacques Aillagon. Ce dernier, fraîchement élu conseiller régional d'opposition en Lorraine, voit ses ambitions brisées. Rue de Valois, le temps de l'action est révolu. Ses successeurs devront dès lors gérer le passif.

Renaud Donnedieu de Vabres : an I (mars 2004-avril 2005)

Avec Renaud Donnedieu de Vabres (mars 2004-mai 2007), c'est un autre style qui s'impose. Énarque, l'homme est un inconnu du grand public mais aussi des milieux culturels. Il est en revanche plus identifié en politique. Proche de François Léotard, il a subi en 2004 les affres du procès du financement du Parti républicain et a écopé d'une condamnation dont il a aujourd'hui été réhabilité. Roi de l'annonce et piètre discoureur, le nouveau ministre sait se montrer affable et volontaire et affiche une réelle boulimie culturelle. Sa principale mission est toutefois simple : éteindre l'incendie du conflit des intermittents. Il se place à distance et laisse les syndicats négocier, tout en créant un fonds spécial pour les exclus du statut. L'autre grand dossier sera la loi DADVSI (droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information), dont le volet pénal est rejeté par les parlementaires avant de subir la censure du Conseil constitutionnel.

Renaud Donnedieu de Vabres doit aussi gérer les dossiers laissés en jachère par son prédécesseur. En août 2004, les nouvelles lois de décentralisation reprennent les dispositions Aillagon et, dès novembre, une liste de monuments transférables est publiée. La politique d'implantation en région des grands musées se poursuit avec le choix de Lens pour accueillir un petit Louvre. Le Grand Palais rouvre après des travaux menés a minima et la création d'un nouvel établissement public, réfutant ainsi l'idée d'une gestion privée préconisée par Jean-Jacques Aillagon. Après quatre mois de vacance du poste, la RMN est enfin dotée d'un nouveau pilote.

RDDV II : Villepin et le Louvre-Abou Dhabi

Fervent militant de la cause européenne, le ministre organise un grand raout avant le référendum sur la Constitution et parvient à réunir à Paris, en mai 2005, quelque 500 intellectuels pour discourir sur la notion ambiguë d'Europe de la culture. Dans la foulée, le projet de Bibliothèque numérique européenne est confirmé. Début juin, celui qu'on appelle RDDV passe le cap du remaniement. Il devra toutefois désormais composer avec les velléités culturelles du nouveau Premier ministre, Dominique de Villepin. Ce dernier reprend à son compte les principales annonces. À la Fiac, en octobre 2005, le Premier ministre annonce une série de mesures sur les arts plastiques (création des futures manifestations « La Force de l'art » et « Monumenta » au Grand Palais), censées faire oublier l'abandon par François Pinault de ses projets français. À Amiens, en septembre 2006, c'est le patrimoine qui fait enfin l'objet d'un véritable plan d'urgence.

Mais RDDV marquera surtout son passage à la Rue de Valois par la signature du contrat du Louvre-Abu Dhabi, en mars 2007, opération menée dans le plus grand secret jusqu'à ce que Le Journal des Arts lève le voile, dès septembre 2006. Le projet provoque un tollé. Le ministre n'en a cure. La France entre alors en campagne électorale.

Christine Albanel : an I (mai 2007-juin 2008)

En mai 2007, Nicolas Sarkozy est élu président de la République. Et choisit une femme pour la Culture, Christine Albanel (mai 2007-juin 2009).
L'ancienne présidente du domaine de Versailles est une figure de l'ombre. La majeure partie de sa carrière s'est déroulée dans les pas de Jacques Chirac, dont elle a été la plume. On lui doit notamment le discours du Vél’d'Hiv en 1995. D'abord titulaire du porte-parolat du gouvernement, la ministre est vite déchargée de cette tâche. Travailleuse et discrète, Christine Albanel n'est pas une habile communicante. Le Président goûte peu son style, jugé fade, et la discrétion de celle qui avoue ne pas aimer sortir le soir. Au milieu de l'été, le 1er août 2007, une missive annonce la couleur. Le président de la République lui adresse une lettre de mission en forme de programme pour la culture qui annonce la fin de la tutelle de l'État sur le secteur. La ministre sait d'emblée qu'elle disposera de marges de manœuvre très minces et qu'il lui faudra appliquer la politique du gouvernement sans sourciller. Outre les priorités (réforme audiovisuelle, Création et Internet), il faudra expérimenter la gratuité dans les musées et monuments nationaux, malgré la fragilité budgétaire des établissements. Christine Albanel doit aussi s'attaquer à un tabou : envisager l'aliénation des collections nationales. Elle fait alors rempart en sollicitant l'expertise de Jacques Rigaud qui remet, en janvier 2008, un rapport qui conforte l'inaliénabilité.

Christine Albanel an II : la fin des illusions

Mais depuis décembre 2007, Christine Albanel sait que son ministère va subir une autre épreuve et servir de test pour la grande réforme de l'État, la Révision générale des politiques publiques (RGPP). Dans un contexte de tension budgétaire, une vaste recomposition doit s'opérer à marche forcée et tous les services du ministère sont mobilisés sur le sujet. Provoquant une paralysie en termes de décisions qui saura profiter aux nouvelles baronnies constituées, notamment le musée du Louvre. Le président de la République porte lui-même le coup de grâce en annonçant la constitution d'un Conseil de la création artistique, confié au producteur Marin Karmitz, censé être « un agitateur d'idées », et coprésidé par Nicolas Sarkozy. L'autorité de la ministre est bafouée. En avril 2009, les parlementaires et la Cour des comptes, dans un rapport sur la RMN, s'interrogent sur l'autorité du ministère de la Culture. Le président du Louvre serait-il devenu vice-ministre de la Culture ? La ministre tente de réagir en recadrant les ambitions du Centre Pompidou sur le Palais de Tokyo. Mais le cœur n'y est plus. Christine Albanel ne croit plus en son avenir à ce poste. Les dossiers filent ou s'enlisent, telle l'affaire de l'hôtel Lambert, dans laquelle la ministre se range derrière l'avis contestable de la Commission supérieure des monuments historiques, malgré l'indignation de l'opinion.

Le psychodrame parlementaire du projet Hadopi provoquera sa chute en juin 2009, lors d'un nouveau remaniement faisant suite aux élections européennes. Entre-temps, le ministère de la Culture a fêté son cinquantenaire. Et personne ne s'en est rendu compte.

Légende photo

Frédéric Mitterrand pendant les débats sur HADOPI 2 (23 juillet 2009) - Photographe Richard Ying - Licence Creative Commons 2.0 

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque