Musée

Art contemporain

Un Palais de Tokyo autonome

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 26 mai 2009 - 1062 mots

PARIS

Le 20 mai, la ministre de la Culture, Christine Albanel, a finalement tranché en faveur du rapport d’Olivier Kaeppelin, délégué aux Arts plastiques. L’aile ouest du Palais de Tokyo, à Paris, va devenir un lieu autonome, regroupant l’actuel Site de création contemporaine et une nouvelle plateforme dédiée à la scène française. Écarté du projet, le Centre Pompidou ne sera plus l’affectataire des murs.

PARIS - Après des mois d’atermoiements, la Rue de Valois a finalement tranché le 20 mai en faveur du rapport rédigé par le délégué aux Arts plastiques, Olivier Kaeppelin. Rejoignant le point de vue du Conseil pour la création artistique, celui-ci prend le Centre Pompidou à contre-pied et préconise la mise en place au Palais de Tokyo d’un lieu unique, regroupant sous le statut de société par action simplifiée (SAS) l’actuel Site de création contemporaine et une nouvelle plateforme dédiée à la scène française, dont l’ouverture est prévue en 2012.

Comment expliquer cette volte-face, alors même qu’en septembre 2008 Christine Albanel déclarait que les espaces en friche du Palais de Tokyo deviendraient un organisme associé du Centre Pompidou, postulat repris dans une lettre d’intention adressée en février 2009 à Alain Seban, président de cette dernière institution ? « Progressivement, nous nous sommes rendu compte que la formule proposée par Olivier Kaeppelin allait résoudre beaucoup de problèmes, indique-t-on au cabinet de Christine Albanel. Nous mettons fin à la guerre de tranchées entre le Site de création contemporaine et le Centre Pompidou, dans laquelle on a dû jouer les casques bleus. » Pour Olivier Kaeppelin, la cohérence globale du fonctionnement de l’aile ouest du Palais de Tokyo a été « déréglée » par la remise en dotation du bâtiment le 13 février 2007 au Centre Pompidou, lequel encaissait depuis cette date le produit des redevances sans assumer ses responsabilités de syndic. Le bâtiment sera de fait retiré de la dotation attribuée au Centre et réaffectée au ministère de la Culture. Plus prosaïquement, le choix du ministère en faveur du projet Kaeppelin s’explique par le climat de disette budgétaire. Le Centre Pompidou avançait en effet des travaux de réaménagement évalués à 40,7 millions d’euros par les cabinets Crosnier et Parica. Sollicité par Olivier Kaeppelin, l’agence Lacaton & Vassal, aménageur du Site de Création contemporaine, table pour sa part sur une muséographie moins léchée estimée à 15 millions d’euros.

Synergie avec le MAMVP
Pour éviter toute « balkanisation » du Palais de Tokyo, le délégué aux Arts plastiques souhaite que la future plateforme fonctionne « selon une gouvernance ouverte et collective, dans un principe de circulation avec le Site de création contemporaine ». Les monographies d’artistes confirmés vivant en France se déploieront sur une surface de 2 000 m2. L’une des idées phares consiste à accueillir ou coproduire des expositions organisées en régions. Un espace de 800 m2 permettra d’élargir le cercle des intervenants en donnant carte blanche à des critiques d’art, des écrivains, mais aussi des collectionneurs et des entreprises. Deux autres modules de 150 m2 hébergeront une œuvre spécifique d’un artiste, une commande particulière ou le choix d’un collectionneur ou d’une galerie. Un « village ouvert » de 1 200 m2 devrait enfin accueillir des commerces, des projets privés, voire des mini-foires d’art. À cela s’ajoute un pôle de privatisation totalisant 1 000 m2 et permettant à la structure d’assurer ses recettes propres. « Rien que sur ce plan, le lieu unique relève du bon sens, observe le producteur Marin Karmitz, président du Conseil pour la création artistique. Deux espaces privatisés, l’un au-dessus de l’autre, auraient été en concurrence. À un moment, l’un des deux aurait souffert économiquement. » La mixité public-privé distingue le dispositif d’Olivier Kaeppelin de celui conçu par la conservatrice Catherine Grenier pour le Centre Pompidou. Reste une faille majeure : l’absence de circulation des expositions à l’étranger, point fort du canevas proposé par Beaubourg. En revanche, une synergie avec le Musée d’art moderne de la Ville de Paris (MAMVP), sis dans l’aile est du bâtiment, sera enfin au programme, ne serait-ce qu’au niveau de l’aménagement de la terrasse séparant les deux ailes. Déjà mise en pratique en 2008 pour l’exposition « Jonathan Monk », la collaboration entre le musée et le Site de création sera renouvelée en 2010 dans le cadre d’une manifestation commune portant sur la jeune scène en France.

Christine Albanel ne s’est pas contentée de donner son blanc-seing au rapport d’Olivier Kaeppelin. Dans la foulée, elle a nommé son auteur directeur du projet, voie de sortie ad hoc alors que le sort de la délégation aux Arts plastiques reste obscur dans le cadre de la révision générale des politiques publiques. Mais le délégué n’aura-t-il pas été juge et partie dans cette histoire ? Selon le directeur du MAMVP, Fabrice Hergott, « ce qui est important, c’est d’avoir un interlocuteur en face sur l’ensemble du bâtiment. Olivier est un homme de dialogue ». Un jugement que conforte Marc-Olivier Wahler, directeur du Site de création contemporaine : « Olivier nous a toujours soutenus, et il fait partie de ceux qui défendent les artistes en premier. » Une soixantaine de créateurs, parmi lesquels Christian Boltanski, Mathieu Mercier, Anselm Kiefer et Claude Lévêque, ont toutefois protesté contre la mise à l’écart de Catherine Grenier via une pétition adressée à la ministre le 11 mai. « On nous avait affirmé que le ministère avait en tête un projet commercial de multiplexe, du coup, on était forcément contre. Nous n’avions pas idée du contenu ni de l’existence d’un contre-projet », regrette Mathieu Mercier. Alain Seban a continué à entretenir la confusion en prétendant dans les colonnes du Figaro daté du 19 mai 2009 que l’angle choisi par la Rue de Valois était « commercial », et qu’en aucune façon le Centre Pompidou ne pourrait s’y associer.

Camouflet
Beaubourg a visiblement du mal à encaisser le camouflet, ce d’autant plus qu’une compensation n’est pas à l’ordre du jour. « Il n’est pas question de dédommagement, s’offusque-t-on au ministère. Dans le plan de relance, le Centre a eu la plus grosse subvention de tous les établissements publics. L’achat pour le Musée national d’art moderne du Chirico dans la vente Yves Saint Laurent a obéré le Fonds [national] du patrimoine pour trois ans. » Bref, le Centre Pompidou devra repenser de fond en comble sa stratégie et viser à pallier autrement son décrochage de la scène contemporaine en général, et française en particulier.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°304 du 29 mai 2009, avec le titre suivant : Un Palais de Tokyo autonome

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